Victor Hugo qui fit la guerre aux démolisseurs serait bien consterné de nos jours. Je n'imagine pas son chagrin face à Notre-Dame, ravagée par les flammes. La cathédrale, qu'il sauva avec Viollet-le-Duc et Lassus, est un symbole, comme son combat. N'oublions jamais ces hommes, comme lui, comme Alexandre Lenoir et d'autres encore à qui l'on doit une prise de conscience patrimoniale puis l'élaboration d'un cadre législatif dans l'espoir de sauver ou à tout le moins de préserver les témoignages de notre grand passé. L'indignation de Hugo, le travail acharné des grands restaurateurs du XIXe siècle à nos jours sont nôtres. Notre combat pour le patrimoine, quel qu'il soit, n'est ni vain ni d'arrière-garde.
Non seulement, aujourd'hui, un nombre impressionnant d'églises nécessitent des restaurations, mais en plus certaines sont de plus en plus vandalisées voire pillées. De très beaux objets liturgiques, accumulés au fil des siècles, faisaient la gloire de l'église Saint-Saturnin-de-Séchaud à Port d'Envaux en Charente-Maritime, connue pour être une sorte de musée d'art religieux.
C'est le samedi 22 février 2020 que l'église a été profanée. Monsieur le Maire du village indique « qu'il y a eu effraction par une petite fenêtre qui donne sur la sacristie. Des objets de culte d'une grande valeur ont été dérobés, notamment dans une armoire, avec pratiquement l'intégralité du trésor emporté. Ils ont fracturé les tabernacles des autels pour en voler les calices ».
Le Père Feliho, curé de la paroisse, le maire et les villageois sont, bien sûr, sous le choc. De tels actes n'étaient plus arrivés depuis des dizaines d'années. Une messe de réparation sera célébrée le 2 mars à 18h30, l'église ayant été profanée.
Si vous pouvez vous y rendre, vous verrez surgir soudain, quittant Port-d'Envaux en direction du hameau de Saint-Saturnin-de-Séchaud, au bout de la ligne droite, l'aimable façade gothique flamboyant, œuvre délicate du XIXe siècle, de cette charmante église qui est tel un précieux écrin. L'abside, le chœur, le carré du transept à coupole sur trompes et les croisillons sont romans bien que très remaniés. On peut estimer que l'ensemble des vestiges romans actuellement visibles, dont les bras du transept font également partie, remonte aux premières décennies du XIIe siècle. Si une église antérieure a existé, il n'en reste rien.
On va du transept à la nef par des passages étroits comparables à ceux de l'Abbaye-aux-Dames de Saintes, de Geay et surtout à ceux du Berry. La nef possède des voûtes d'ogives du XIIIe siècle. Au chevet, des arcatures alternent avec les fenêtres. Sur la souche romane du clocher carré a été monté un étage gothique à baies trilobées. A l'aide d'une chambre de refuge à créneaux et meurtrières, l'église a été fortifiée au XVe siècle.
L'intérieur de l'église est un véritable musée d'art liturgique, notamment du XIXe siècle. Statues, candélabres, lustres, vitraux, autels sont des exemples parfaits de la magnifique production d'un temps où le style gothique avait été remis à l'honneur. Le mobilier de grande qualité, le bronze, les marbres, les peintures ont été employés avec justesse et créent une ambiance de solennité exceptionnelle. La chaire aux élégantes colonnettes de marbre de différents coloris fait l'admiration des visiteurs. La statue de Jeanne d'Arc, au-dessus, est particulièrement réussie. A l'entrée du chœur, vous pourrez voir le chapiteau des trois âges de la Vie, œuvre des frères Arnold, sculpteurs originaires de Saintes. La voûte du chœur présente, elle, une somptueuse décoration néo-classique à caissons peints en trompe-l’œil du plus bel effet.
Si vous vous déplacez , vous remarquerez aussi que le clocher est surmonté du drapeau français. Il date de la Seconde République (1848-1852), la commune étant une des rares à avoir conservé ce symbole de l'élan patriotique de cette époque.
Dans ce délicieux village, dont la devise est « Sol omnibus lucet » (le soleil brille pour tout le monde), vous ne manquerez pas la prévôté où l'on gardait les larrons reconnus coupables sur les villages alentour, la chaussée romaine (reconstruite au XIIe siècle, Saint-Louis l'aurait emprunté en 1242) immortalisée par Delacroix dans son tableau «La Bataille de Taillebourg» et le Fief de la Tour, maison forte du XIVe siècle, face à l'église. Pendant la Guerre de Cent Ans, y logeait le sénéchal anglais nommé par le Roi d'Angleterre et chargé de la justice.
Vous pouvez retrouver Saint-Martin-de-Séchaud dans mon livre La Charente-Maritime pour les Curieux, aux Éditions Le Passage des Heures à Saint-Savinien.
François Hagnéré
Historien de l'art et de l'architecture
Rochefort, le 27 février 2020.
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Crédits photographiques : François Hagnéré
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