Ça y est, « la vague Bachelot , qui vient de déferler, se calme et, dans quelques jours, il n’en restera qu’un peu d’écume… Car, comme d’habitude, il ne faut qu’une quinzaine de jours pour être frappé d’amnésie quand il s’agit de l’avenir du patrimoine religieux.
Mais avant toute chose, un regret : celui de n’avoir pas entendu notre « nouvelle » Ministre de la Culture, Madame Rima Abdul Malak, prendre la défense de nos pauvres clochers, ou tout du moins, s’insurger contre les délires démolisseurs de celle qu’elle a remplacée.
Nous aurions pourtant apprécié que Madame Abdul Malak s’exprime, comme l’a immédiatement fait la Ministre des sports, Madame Amélie Oudéa-Castéra, au sujet des propos de Noël Le Graët concernant Zinédine Zidane. Certes, Zidane es, dit-on, au foot ce que Notre-Dame de Paris est au patrimoine et il était normal que la Ministre des sports réagisse immédiatement. Mais alors pourquoi la Ministre de la Culture n’a pas fait de même alors qu’il a été question, au même moment, de détruire sans sourciller les petits témoins de notre identité culturelle. Et n’oublions pas que, même quand ils sont « moches », nos clochers n’en restent pas moins les marqueurs forts de l’identité de nos territoires.
Ah mais oui, c’est vrai : les hautes sphères de l’État sont au chevet de Notre-Dame, ce qui semble leur conférer une immunité totale concernant l’avenir du patrimoine religieux.
Alors, faut-il alors brûler nos églises pour qu’elles aient soudain un intérêt ?
De tels propos de ma part vont en faire bondir certains, mais pourtant, c’est la vérité que je vais illustrer par un exemple : en avril 2021, un terrible incendie ravageait la petite église de Romilly-La-Puthenay dans le département de l’Eure. Toute la presse écrite et audiovisuelle avait relaté les faits, nous renvoyant directement aux terribles images de Notre-Dame en flammes.
Une église qui brûle, est une tragédie. Alors pourquoi une église démolie n’en est pas une ? C’est la question que je me pose, car en juillet 2021, à 140 kilomètres plus loin, dans le département de la Seine-Maritime, on détruisait l’église de Puisenval dans le silence le plus total.
Pas un seul média, même local, n’a relayé l’information. Vous vous dites peut-être que cette église était une église du XIXe « sans intérêt », comme dirait Madame Bachelot. Et bien pas du tout, l’édifice était présent depuis le XIe siècle (donc antérieur à Notre-Dame), mais rien, pas un mot. Donc, pour s’émouvoir du sort d’une église ou d’une chapelle en France, il faut qu’elle brûle, mais omerta totale s’agissant d’une démolition. Nous avons pu le constater d’ailleurs lors de la démolition de « notre » chapelle Saint-Joseph à Lille. Rares ont été les médias à relayer les images de sa démolition : encore une fois « pas de vagues », silence ça tombe !!!
Autre exemple et non des moindres : le cas de l’église du Sacré-Cœur de Denain. Qui parmi vous a entendu parler du projet de démolition de cette grande église du XIXe ? Pas grand monde. Et pour cause : l’affaire est sortie en même temps que le projet de démolition du Château de Louvroil en juillet 2022. Buzz total pour ce dernier, qui doit être rasé pour faire place à une enseigne Aldi. Toute la presse s’est emparée du sujet, ce qui a permis à la pétition en ligne de dépasser les 40.000 signatures. Celle contre la démolition du Sacré-Cœur dépasse péniblement les 1500 et, à part la presse locale, qui a relayé l’info ? Personne.
Alors certains diront : restaurer une église, ça coûte trop cher. Donc il faut se résigner. Sauf que, dans le cas de Denain, c’est un budget de près de 3 millions d’euros qui est alloué à la démolition. Les professionnels de la restauration du patrimoine ne me contrediront certainement pas si je dis, qu’avec 3 millions d’euros, on peut en faire des restaurations sur un édifice qui ne présente pas de désordres structurels majeurs. Enfin, réjouissons-nous, le permis de démolir n’est pas encore déposé, ce qui nous laisse toute latitude pour déposer un recours le moment venu.
En attendant, pour résumer : d’un côté on nous dit qu’il faut protéger le patrimoine religieux français, à grands coups de rapports, de tribunes, ou autres publications dans les journaux nationaux, et, de l’autre, on choisit de se murer dans le mutisme le plus total quand les pelleteuses pointent le bout de leur nez.
Alors l’action, c’est pour quand ? Sans doute quand plus personne ne sera frappé d’amnésie.
Souvenez-vous, en juillet 2015, Dalil Boubakeur, alors recteur de la Grande Mosquée de Paris avait suggéré que certaines chapelles abandonnées pourraient occasionnellement devenir des lieux de prière pour les musulmans. Une pétition en ligne avait alors été lancée par feu Denis Tillinac, et avait été signée par une grande majorité de la classe politique, Nicolas Sarkozy en tête, ainsi que par bon nombre d’intellectuels. Nous aurions aimé une telle mobilisation lors de la démolition de Saint-Joseph, mais seuls des universitaires du monde entiers sont venus plaider la cause de l’édifice. Donc, en substance, cela signifie que céder une église pour un autre culte c’est mal, mais la démolir c’est bien…
Pourtant, l’argument des signataires de la pétition était à chaque fois sensiblement le même : « nos clochers font partie de notre patrimoine, ils sont les témoins de notre histoire collective et de nos racines chrétiennes. » Bien évidemment, je suis tout à fait d’accord avec cet argumentaire. Sauf que lorsqu’il s’agit de démolir, une église ou une chapelle ne serait plus un témoin de notre histoire et de nos racines chrétiennes?
Il est évident que tous les signataires de cette pétition ont effectivement été frappés d’amnésie depuis.
Un an plus tard, le 26 juillet 2016, le Père Hamel est sauvagement assassiné dans son église. À nouveau, nous sommes tous catholiques et fiers de l’être et nos églises sont, ce jour-là, plus que jamais, les symboles de notre fierté. C’est à ce moment-là qu’Yves Jégo lance l’idée d’une loi interdisant purement et simplement la destruction de notre patrimoine religieux. Cette proposition avait alors recueilli tous les suffrages, mais comme d’habitude, quelques semaines plus tard, l’amnésie a encore frappé et plus personne n’en a reparlé. Précisons tout de même, qu’Yves Jégo a été le seul « politique », à avoir soutenu notre combat contre la démolition de Saint-Joseph. J’avais d’ailleurs lancé un appel à tous les « parlementaires courageux », via une annonce sur le Boncoin, afin qu’ils se mobilisent contre la démolition de la chapelle, mais aucune réponse.
Cela dit, peut-être que leur « démobilisation » était due au fait que la chapelle Saint-Joseph allait être démolie par l’institution catholique elle-même, comme se fut le cas pour l’église Notre-Dame-des-Anges à Belfort en 2016, ou comme cela risque d’être le cas au Mans, avec la chapelle Saint-Joseph (décidemment) au cœur d’un projet de restructuration d’un établissement d’enseignement catholique.
Mais, au fait, elle dit quoi l’institution catholique par rapport à la destruction de son patrimoine? Et bien souvent, elle dit « qu’il faut vivre avec son temps, et que de toute façon, l’Église, ce ne sont pas les bâtiments, mais les fidèles. » D’ailleurs, il est important de rappeler que certains Diocèses sont experts en démolitions. N’oublions pas que les édifices construits après 1905 sont propriétés des Diocèses et pas des communes.
Ce fut par exemple le cas à Saint-Jean-de-Monts, où la chapelle Sainte-Thérèse et la chapelle de Goëlands ont fini broyées, au prétexte qu’elles ne correspondaient plus aux normes. Sans commentaires…
Mais là encore, cela ne fera pas la une du journal télévisé et puis c’est l’institution catholique qui est à l’origine de la démolition. Donc, c’est une affaire interne. Inutile d’en faire état.
Je vais m’arrêter là, car je sais bien que les articles trop longs ennuient tout le monde, mais je crois que ce petit « pense-bête », pour rafraîchir la mémoire des amnésiques, peut être utile.
Et sinon, on se penche quand sérieusement sur le sujet de l’avenir du patrimoine religieux, ou plutôt non, on agit quand ?
À quand une vraie politique du « zéro blabla, zéro gravât » plutôt que celle de la tabula rasa?
Alexandra Sobczak-Romanski
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