Il y a trois ans, au lendemain des élections présidentielles, j’avais écrit mes espoirs concernant l’avenir du patrimoine et sa sauvegarde. L’idée de cet article aujourd’hui n’est pas de faire un bilan, mais un constat. Le constat qu’à part quelques « mesurettes » faisant croire que le patrimoine est sauvé, rien n’a changé et on peut même se demander si les choses n’ont pas empiré.
Car si le patrimoine n’a pas le cœur à la fête, les pelleteuses, elles, s’amusent en grignotant un peu plus chaque jour les témoins de notre identité culturelle.Stéphane Bern, à la sortie du confinement, a lancé un appel en faveur du « petit patrimoine », afin que celui-ci devienne une grande cause nationale. Cela fait des années que nous demandons que la lumière soit faite sur ce patrimoine souvent délaissé. Nous espérons donc que l’appel de « Monsieur Patrimoine » sera entendu, mais sans grand espoir.
Pessimisme ? Non : réalisme ! Car si nous regardons bien la situation présente, force est de constater que le Ministère de la Culture post-confinement est pour l'essentiel à l'écoute des requêtes que lui formulent les « grandes » associations institutionnelles qui défendent les grands châteaux et autres édifices classés, bien loin du « petit patrimoine » des territoires qui est immuablement oublié et méprisé par les « grands faiseurs et grands diseurs » de la sauvegarde du patrimoine.
Le courrier envoyé le 22 avril par le ministre Riester à VMF, la Demeure Historique, les Ateliers d’Art de France et le Groupement des Entreprises de Restauration des Monuments Historiques (GMH) est sans ambiguïté aucune et sa/leur définition du «patrimoine » invalide par avance le « petit » patrimoine. Et l'entretien en visio-conférence entre le Ministre de la culture et ces mêmes acteurs corrobore ce constat, la question du « petit patrimoine » tombant aux oubliettes.
Les propriétaires de ce « petit patrimoine », qu’il soit public ou privé, n’ont pas fini de « ramer » pour survivre.Mais au fait, qu’est-ce que le « petit patrimoine » ?
En théorie, ce sont les édifices qui ne bénéficient d’aucune protection au titre des monuments historiques. Ce qui, dans l’esprit étroit de certain, signifie qu’ils n’ont aucun intérêt. Et c’est bien là tout le problème et c’est sur ce point-là que beaucoup s’appuient pour démolir sans vergogne, en particulier lorsqu’il s’agit du patrimoine de XIXe. Nous en avons le parfait exemple avec la chapelle Saint-Joseph qu’Urgences Patrimoine et La Gazette du Patrimoine tentent de sauver sans beaucoup d’illusions, puisque l’argument principal du propriétaire est que, justement, « cette chapelle n’a aucun intérêt architectural puisqu’elle n’est pas protégée au titre des monuments historiques ». Nul doute que si la demande avait été formulée, elle aurait été accordée par la DRAC. Mais quand on ne demande pas, on n’a pas. Donc, abandonnons, démolissons et écroulons tout ce qui n’est pas protégé, ça fera de la place pour de jolis parkings et des immeubles en cube.
Mais alors ne plaçons plus « le petit patrimoine » au cœur des débats, puisque pour débattre il faut être nombreux et que, pour le moment, c’est un monologue, face à un Ministère sourd et à une DRAC muette.Mais ce débat n’est pas nouveau, puisqu’en son temps Victor Hugo se battait déjà contre les démolisseurs et qu’exactement deux cents ans plus tard rien n’a changé.
Pour ceux qui auront le courage de continuer à lire cet article, voilà donc ce que j’écrivais il y a exactement trois ans : La sauvegarde du patrimoine ne fut pas un grand thème de campagne des élections présidentielles, c'est donc avec une certaine fébrilité que nous attendions les orientations du nouveau Président sur le sujet. J'ai pris connaissance des dispositions qui pourraient être prises en faveur de la culture et j'avoue être un peu soulagée de constater que ce sujet fera partie des "grands chantiers" envisagés par Monsieur Macron. Comme mon implication et mes compétences concernant la culture se limitent à la sauvegarde du patrimoine, je ne vais pas me permettre de juger les mesures en dehors de celle-ci. Le Patrimoine, qu'il soit matériel ou immatériel, mérite des mesures d'urgence et sans doute des réformes en profondeur.
1/ le Patrimoine ne devrait-il pas avoir un Ministère dédié ou au moins un Secrétariat d'état, en dehors de celui de la culture, car après plus de trente ans d'abandon manifeste, la tâche me paraît démesurée pour être traitée par un seul Ministre?
2/ Ne serait-il pas temps de redonner une réelle valeur à ce que l'on appelle communément « le petit Patrimoine », qui est pourtant celui qui fait le charme et l’intérêt de nos beaux paysages de France, celui de nos territoires souvent oubliés par nos instances parisiennes et qui, pourtant, contribue au rayonnement touristique du pays ?
3/ Consciente que l'état ne pourra pas engager toutes les sommes nécessaires à la restauration des édifices en grand péril, il faudrait davantage d'implication et de mobilisation citoyenne. Pour se faire, il faut donner un peu plus de pouvoir aux associations locales ou nationales, grandes ou petites, qui bien souvent peuvent réaliser de grandes choses.
4/ En terme de démolitions, la « veille » de l'état doit être plus approfondie, car si certains Architectes des Bâtiments de France font un travail formidable, dans bien des cas ils ne peuvent pas intervenir, ou simplement à titre consultatif, et laissent toute latitude aux élus «démolisseurs », peu sensibles au Patrimoine de leur commune. Il serait là aussi judicieux de rendre obligatoire une concertation publique, afin que les administrés puissent faire entendre leur voix, s'agissant de la destruction d'un bien commun (de nos jours, on se demande quand même quelles sont réellement les missions de la DRAC, du moins s’agissant de l’abandon des patrimoines protégés, et bien entendu, des démolitions).
5/ Ne pas hésiter à encourager et développer toutes les initiatives éducatives et de sensibilisations à la fois auprès des élus, ainsi qu'auprès des jeunes, qui seront les futurs acteurs de la sauvegarde du Patrimoine.
6/ Le Patrimoine ne se limitant pas au bâti, une cause importante est à mettre en lumière, celle de la transmission du geste et du savoir-faire. C'est en redonnant le goût de la transmission aux jeunes générations que nous sauvegarderons des savoir-faire inégalés, qui contribuent également au rayonnement de notre pays et peuvent créer des milliers d’emplois. (sur ce sujet, des dispositifs sembleraient être mis en place… à suivre).
7/ Il existe des mesures simples à mettre en place pour trouver des sources de financements supplémentaires, en passant par la fiscalité, car certaines mesures pourraient aisément encourager le monde de l'entreprise et les classes aisées à agir davantage pour cette cause (et pas seulement pour les grands édifices). Le sujet est si vaste qu'il pourrait y avoir cent mesures toutes aussi importantes, chaque acteur de la sauvegarde du Patrimoine, grand ou petit, institutionnel ou simple citoyen pouvant apporter sa « pierre à l'édifice ».En revanche, il est un « détail » à ne pas négliger : 2018 sera l'Année Européenne du Patrimoine Culturel, il est à mon avis urgent d'agir, afin d'affirmer la position de la France par rapport à ce sujet, qui rappelons le, concerne et préoccupe bon nombre de nos concitoyens. (Preuve que le patrimoine n’intéresse pas vraiment l’État puisque qu’en France, il n’y a pas eu de grandes actions en rapport avec cet événement).
Le Patrimoine est l'ADN même de notre pays, il doit retrouver sa place dans les grands dossiers de l'Etat !
« Le Patrimoine ne peut pas lutter. Ensemble, nous pouvons ».
Où en sommes-nous 3 ans après? Il est évident que nous ne sommes pas plus avancés, et l'on peut même dire que nous avons régressé.Pour conclure, on peut aujourd’hui confirmer que le patrimoine reste un grand oublié des causes publiques, alors qu’il est un des principaux vecteurs économiques et touristiques de notre pays.
Jusqu’à quand?
Alexandra Sobczak-RomanskiPrésidente d’Urgences Patrimoine
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