Suite à notre mobilisation contre le démantèlement du Muséum d'Histoire Naturelle de Rouen, nous recevons beaucoup de messages de soutien. Un des signataires de notre pétition nous a envoyé cet article dont il est l'auteur.
Un article d'une très grande justesse, c'est la raison pour laquelle nous avons tenu à le partager.
2024 marque les 150 ans de l’Impressionnisme. À cette occasion, se multiplient expositions, films documentaires, ouvrages et autres manifestations, notamment en Normandie, l’un des berceaux de ce mouvement artistique.
Le musée d’Orsay, quant à lui, en parallèle avec l’accrochage de 130 chefs d’œuvre originaux, propose une immersion en réalité virtuelle de l’exposition organisée par les peintres eux-même, en 1874, dans les anciens ateliers Nadar, boulevard des Capucines, à Paris.
Les reconstitutions, virtuelles ou non, ont le vent en poupe. Le tourisme à « remonter le temps » fait un triomphe !
On ne compte plus les « Guédelon » et autres « Puy du Fou », les cités gallo-romaines que l’on fait revivre à grand renfort de combats de gladiateurs, les demeures d’écrivains et d’artistes remises en l’état, comme si leurs propriétaires les avaient quittées la veille !
Et les rouennais, eux aussi, pourront bientôt plonger au cœur du monde viking, grâce à la « Cité Immersive Viking », installée dans le Hangar 105.
Bref, les passionnés de culture, les curieux de tout poil, les touristes avides de découverte, tout le monde adore ces immersions temporelles…
Ce nouvel engouement culturel projette une lumière étrange sur ce qui se joue actuellement, à Rouen, autour d’un autre événement muséal, le grand projet « qui vise à réunir le Muséum et le musée des Antiquités pour en faire un nouveau pole muséal en 2028. »
En effet, alors qu’on s’évertue, actuellement, à reconstituer le patrimoine disparu pour que les visiteurs puissent l’appréhender en immersion totale, pourquoi démonter (au sens propre du terme) un musée qui a miraculeusement traversé les âges, dans le but de construire, au même endroit, un « pôle muséal » flambant neuf ?
Pourquoi ne pas tirer parti de l’existant en restaurant ce que le temps nous a légué ?
À l’annonce de ce grand projet, j’étais enthousiaste. J’avais naïvement pensé que les images présentées dans le formidable livre des éditions Point de vues Le muséum de Rouen en chair et en os, un carnet de voyage, allaient servir de référence pour la conception de ce futur musée.
Mais, hélas, Il semble bien que non. On se dirige vers une « immersion interactive dans le savoir » basée sur un changement total d’environnement où l’on ne retrouvera plus rien de l’esprit des collections et de l’âme du lieu…
D’ailleurs, le vocable technocratique et déjà démodé de « pôle muséal » augure mal des transformations, alors que le concept de « quartier des musées », précédemment crée par la ville de Rouen, était cent fois plus séduisant, évocateur et encourageant pour les promeneurs déjà sous le charme du cœur historique de la capitale normande…
Rouen est l’une des rares villes a pouvoir offrir à ses habitants et à ses nombreux visiteurs un authentique flashback dans le passé sans besoin de recourir à l’image virtuelle (voir plus haut) ou aux clones (comme les nombreuses grottes préhistoriques devenues inaccessibles pour des raisons de conservation).
Le coût d’une opération de remise en état du Museum serait sûrement important, mais l’enjeu n’en vaut-t-il pas la chandelle ?
Les grilles du Museum et du Musée des Antiquités deviendraient alors des sas spatio-temporels qui projetteraient ceux qui s’y aventurent, non pas dans « un espace muséal » sans âme, comme on en voit tant aujourd’hui, mais dans un autre univers.
Un univers situé quelque part entre Jules Verne et Gustave Flaubert*, aux limites du rêve et de la réalité d’une autre époque redevenue présente. Un univers fait de connaissances et d’ambiances authentiques, de découvertes et de nostalgie, d’uchronie et d’esprit steampunk. Un univers où les nouvelles technologies ne seraient utilisées que pour rendre discrètement possible la préservation de cette expérience temporelle.
La ville de Rouen réaliserait alors une véritable innovation, tout en exécutant un authentique « legs » patrimonial aux générations futures : un vrai « Retour vers le futur » !
Est-il trop tard pour éviter la dissolution du Museum dans l’espace muséal ? Les dés sont-ils déjà irrémédiablement jetés ?
Si c’est le cas, consolons nous en nous disant que, dans 140 ans, peut-être, on nous annoncera avec éclat la recréation en réalité virtuelle du Museum et du Musée des Antiquités, ainsi que leur square au charme désuet. Équipés de casques de réalité augmentée, on pourra alors les revoir tels qu’ils étaient en 2024 !
Mais, hélas, je ne serai plus là pour en profiter !
Claude Duty
* La petite promenade que nous proposait la ville de Rouen pour « L’année Flaubert » dans l’ancienne maison du ferronnier Ferdinand Marrou est un exemple probant d’une authentique incursion dans l’univers de Flaubert qui nous en disait bien plus long sur cet auteur que beaucoup de savants et pesants discours.
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