Rencontre avec le talentueux Guillaume Lechevalier-Boissel. Après avoir découvert les œuvres de ce jeune passionné, nous avons souhaité vous les faire partager.
La Gazette du Patrimoine: Qui êtes vous Guillaume et quel est votre parcours?
Guillaume Lechevalier-Boissel: J’ai 23 ans. Je suis originaire de la Basse-Normandie plus précisément dans le département de la Manche dans la ville de Valognes (ville de 6750 habitants). La ville de Valognes est surnommée depuis toujours le « Versailles Normand , en partie du fait qu’il y ait beaucoup d’hôtels particuliers du XVIIe et XVIII siècles.
Après mon Brevet des collèges, je me suis volontairement orienté vers un Bac Professionnel (Technicien d’Études du Bâtiment, option A, Étude et Économie de la construction), je souhaitais une formation plus concrète sur un thème précis. La formule proposée par le lycée général est parfois trop abstraite pour un jeune. Alors, je me suis dirigé vers les métiers du bâtiment.
En 2013, le secteur du bâtiment tournait au ralenti, les chantiers d’envergure étaient peu nombreux, il ne fallait pas se tromper. Il y avait beaucoup plus de garanties d’embauche pour ceux qui s’orientaient vers des formations telles qu’économiste ou encore métreur. Pour cause, ce métier n’est pas très vendeur mais, contrairement au métier d’architecte, celui-ci n’est pas bouché.
En effet, être architecte de nos jours, c’est beaucoup plus compliqué, la concurrence est forte. Aujourd’hui, il y a environ 35 000 architectes en France contre 3 500 Avant-Guerre. En 2016, J’obtiens deux diplômes : un Brevet d’études professionnelles ainsi qu’un Bac Professionnel. Après avoir étudié le « Gros œuvre » pendant ces 3 ans de bac pro, je me suis orienté vers le « Second œuvre » en faisant un Brevet de Technicien Supérieur, option Études et réalisation d’agencement. C’est une formation très prenante qui demande beaucoup d’investissement personnel. On nous forme d’avantage sur le dessin industriel, l’économie, les matériaux, les métiers du bois et ses dérivés, gestion d’entreprise, styles architecturaux. Le métier d’agenceur est bien plus vaste que celui d’un architecte d’intérieur, il ne s’agit pas de choisir la couleur des rideaux ou d’un fauteuil mais de concevoir techniquement et esthétiquement des structures faites sur-mesure, mobiliers, menuiseries d’intérieurs/d’extérieurs, sols, plafonds, devantures de magasins, cloisons etc.
En 2018, pour achever mon parcours, j’ai choisi de faire une licence « complémentaire » en Infographie Multimédia à l’école Brassard de Caen. Cette école supérieure propose d’excellentes formations dans le domaine de la communication publicitaire, du dessin artistique sur ordinateur, impressions, web designer, motion design. Les débouchés peuvent être nombreux, vous pouvez travailler en entreprise, en collectivité, en association ou en freelance.
La Gazette du Patrimoine: Vous exercez un art très particulier? Comment vous est venue cette envie de dessiner des orgues ?
Guillaume Chevallier-Boissel : Étant très jeune, je ne dessinais pas des orgues mais plutôt la nature, les maisons, j’aimais observer ce qui m’entourait ! Bien que je fréquentais rarement les églises, à l’âge de 15 ans j’ai eu l’envie de jouer d’un instrument de musique. Encore aujourd’hui je ne l’explique pas, mais l’idée de jouer de l’orgue m’est venue ! Je ne connaissais pas vraiment cet instrument. Simplement je le trouvais fascinant, une de mes grands-mères en jouait. Il y a 10 000 orgues en France: quand j’ai joué la première fois sur un orgue à tuyaux, je me suis dit « un orgue joué, un orgue dessiné » !
Le dessin d’orgue N°1 est né en 2012. A ce jour, j’ai joué sur 129 orgues en France et à l’étranger. Il est arrivé un temps où les dessins ne pouvaient pas suivre cette cadence, alors rapidement, je me suis mis à dessiner les orgues qui me plaisaient bien. En postant mes dessins sur les réseaux sociaux, certains amateurs d’orgues ont eu l’envie d’en posséder un chez eux. Aujourd’hui, j’ai réalisé 77 dessins d’orgues à la main et 20 sur logiciel informatique.
La Gazette du Patrimoine: Depuis combien de temps en avez-vous fait un métier parallèlement à vos études ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Parallèlement à mes études, j’ai pris la décision de créer ma micro-entreprise durant la fin de l’été 2018. Les commandes devenaient de plus en plus nombreuses, cela devenait du sérieux. J’ai orienté mon entreprise vers le dessin d’orgue (ma spécialité fondatrice), des projets d’orgues à construire, affiches, illustrations, mise en page et rédaction de documents associatifs ou culturels puis créations de logos.
La Gazette du Patrimoine : Vous êtes très doué en informatique, alors pourquoi faites-vous l’essentiel de vos dessins à main levée ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Aux yeux des gens, le dessin fait sur logiciel informatique est encore mal défini voire parfois dénigré injustement. Il faut savoir que ce n’est pas simple de dessiner sur ordinateur, bien au contraire. Cela demande beaucoup de technique. Pour réaliser une illustration, il faut dans la majeure partie des cas la dessiner à main levée, voire faire plusieurs essais puis scanner et reconstruire l’illustration avec l’aide d’un logiciel. Cela demande des heures de travail. Au bout du compte, vous êtes quand-même le créateur de l’image, ce n’est pas un robot qui dessine à votre place. Pour ce qui est de mes dessins d’orgues réalisés informatiquement, il est dit que cela perd de son charme, trop précis, pas d’accidents de traits. Évidemment, avec l’ordinateur, on peut zoomer de très près et rentrer beaucoup plus dans les détails. Bilan, le dessin fait sur logiciel donne une image impersonnelle pour le public (disparition de la « patte » de l’artiste), ce n’est pas vendeur. Bien que cela n’ait pas tout son charme, j’ai beaucoup de plaisir à dessiner sur ordinateur, l’illustration informatique aura toute sa place parmi mes travaux mais d’une manière différente.
La Gazette du Patrimoine : Créez-vous des prototypes ou vous ne dessinez que des modèles existants ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Principalement des modèles existants pour ce qui est des dessins artistiques. La demande est forte. Les prototypes existent également mais ils ne sont pas révélés au public pour le moment. Je collabore depuis peu avec une manufacture d’orgues. Je conçois des silhouettes d’instruments neufs, contemporains. Ayant été formé en économie de la construction, je sais approximativement combien coûte un trait sur le papier pour le transformer en main d’œuvre et matériaux à la construction. En effet, il faut adapter son trait en fonction du budget accordé tout en étant astucieux, économique et original. Je veux de l’inédit, je ne crée pas de répliques d’instruments plus anciens. La nostalgie stylistique, il faut la garder pour les restaurations et non pas pour les nouvelles constructions.
La Gazette du Patrimoine : On a dû vous poser cent fois cette question, mais jouez-vous de cet instrument ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : L’orgue c’est comme les pompiers ! Il y a des pompiers professionnels et des pompiers volontaires. En ce qui me concerne, l’orgue est un pur loisir, j’en joue de temps en temps en tant qu’amateur. Ce qui m’intéresse ce n’est pas spécialement de le jouer mais de regarder sa conception, l’historique de l’instrument, l’entretien, l’histoire du constructeur, faire le lien avec son époque jusqu’à aujourd’hui. Car, l’orgue ce n’est pas qu’un instrument de musique, c’est aussi une œuvre d’art, un meuble, une architecture, une machine, une esthétique musicale. On parle réellement de patrimoine vivant.
La Gazette du Patrimoine : Vous êtes très jeune. Les gens ne sont pas surpris par votre âge quand ils vous passent commandes ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : C’est une bonne question, je n’ai pas eu de retour vis à vis de cela. L'habit ne fait pas le moine.
La Gazette du Patrimoine : À ce sujet, qui sont vos clients ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Mes clients sont des particuliers principalement amateurs d’orgues ou professionnels dans ce domaine mais il y a aussi des associations, des festivals, des mairies et des entreprises.
La Gazette du Patrimoine : À l’heure où nous vivons une période un peu compliquée en général et pour le patrimoine en particulier, pensez-vous que le dessin d’orgue peut être un vrai métier d’avenir, surtout à l’ère du numérique ?
Guillaume Lechevalier Boissel : L’orgue est à lui tout seul, un véritable parc patrimonial en France, c’est l’affaire de tous de le sauvegarder. Il faut savoir que la grande majorité des orgues appartiennent aux collectivités, villes et à l’État pour ceux qui sont classés Monuments Historiques. L’autre partie des instruments appartiennent aux paroisses. Le dessin d’orgue est un outil conceptuel ou artistique mais il sera surtout une arme de défense afin de mettre en valeur ce patrimoine. Il y a énormément d’associations autour de l’orgue pour le faire vivre, à travers des concerts, animations, tourisme, leur histoire, réseaux sociaux, Youtube. Il n’y pas de secret : s’il n’y a pas d’initiatives collectives ou individuelles, c’est comme cela que le patrimoine part en poussières. Il faut veiller sur l’objet ou le bâtiment par des présences, et créer des associations. Il faut des jeunes, des moteurs pour convaincre les collectivités, et pour mettre en valeur ce patrimoine. Il faut aussi des gens qui ont plus d’expérience dans la vie professionnelle ou associative, confronter les générations, les volontaires peuvent être simplement des mélomanes voulant s’investir dans une association. Mes journées sont généreusement remplies mais je tiens vraiment à garder du temps pour me consacrer au patrimoine. On a toujours du temps pour ça !
La Gazette du Patrimoine : Y a t-il un orgue précis que vous affectionnez particulièrement ? Si oui, pour quelle raison ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Beaucoup de gens pourraient dire qu’ils préfèrent les grandes orgues de Notre-Dame de Paris. En ce qui me concerne, je ne vais pas fantasmer sur des grands instruments « stars » comme on peut trouver si facilement dans la capitale. L’orgue que j’affectionne peut se trouver dans les campagnes, dans une petite église de village. J’aime les instruments de taille modeste qui ne sont pas du tout connus. La province regorge de merveilles ! Ce sont eux qui devraient être au premier plan. J’affectionne plus particulièrement les orgues sortis des ateliers « Louis Debierre », facteur d’orgue à Nantes, mais aussi ses successeurs comme George Gloton ou bien encore Joseph Beuchet. Il y a également les orgues de Pierre Ménard, grandioses !
La Gazette du Patrimoine : Vous n’avez pas encore beaucoup de recul pour répondre à cette question, mais quel est jusqu’alors votre plus beau souvenir professionnel ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Le plus récent, la commande de la Ville de Versailles. Pendant un mois et demi, j’ai réalisé en dessin à la main les 19 orgues de la ville (hors conservatoire). Cela représente 152 heures de travail ! J’ai été reçu par Monsieur le Maire François de Mazières pour un entretien d'une heure autour de mes œuvres en présence du directeur des services de communication et des partenariats de la ville. Versailles est une ville d’art et d’histoire par son passé mais aussi par son présent. Ils ont réellement compris ce que représente le patrimoine aux yeux des gens ! La culture y a toute sa place, c’est une ville exemplaire qui ne rayonne pas uniquement par son passé mais aussi avec les nouvelles générations d’artistes.
La Gazette du Patrimoine : Et le pire ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Tout travail mérite salaire. Quand vous allez chez le boulanger pour lui acheter une baguette de pain, vous réglez aussitôt ! Non pas 4 mois plus tard. Beaucoup d’entreprises sont confrontées à ce problème, les retards de payement peuvent être vraiment irrespectueux face à un travail accompli en temps et en heures.
La Gazette du Patrimoine : Envisagez-vous de dessiner d’autres instruments ou souhaitez-vous rester fidèle aux orgues ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Je n’envisage pas de le faire. Je préfère me concentrer réellement sur un instrument que j’affectionne plutôt que de m’éparpiller. L’orgue mérite d’être connu auprès du grand public, les autres instruments avantagés comme la guitare ou le piano n’ont pas vraiment besoin de cela.
La Gazette du Patrimoine : Quels sont vos projets dans les deux ou trois ans qui viennent ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Je viens de terminer mes études. Ma micro-entreprise reste plus ou moins une activité secondaire, il faut désormais que je me trouve un travail fixe dans les prochains mois ! En ce qui concerne mes futurs projets artistiques, nul ne le sait pour le moment, le temps nous le dira.
La Gazette du Patrimoine : Comment vous présentez-vous ? Comme un artiste ou comme un dessinateur d’orgues ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Je me présente surtout comme un artiste et un designer. Mon premier savoir-faire reste bel-et-bien la reproduction d’orgues existants. Cependant, j'exerce une large créativité dans l’illustration et dans la conception stylistique.
La Gazette du Patrimoine : Puisqu’en France on aime bien parler d’argent, pouvez-vous nous dire combien coûte un de vos dessins et combien d’heures vous faut-il pour réaliser un modèle.
Guillaume Lechevalier-Boissel : Pour un dessin d’orgue réalisé à la main, il me faut entre 6 heures et 19 heures. Cela dépend du modèle choisi par le client, il y a des petits, des moyens et de grands instruments. Je facture entre 105 et 500 euros. Cela comprend le temps passé, le niveau de difficulté, l’usage du matériel nécessaire mais aussi le conditionnement. J’ai une nomenclature imposée sur chaque dessin. Ils sont tous au format A4, sur papiers à grain, feutres professionnels à base d’alcool. Je n’intègre pas l’édifice sur la représentation, l’orgue y est volontairement dessiné seul. Chaque dessin sont signés et numérotés.
La Gazette du Patrimoine : D’ailleurs, en parlant de modèle : Vous faites comme un portraitiste qui va passer des heures devant son modèle vivant, ou une simple photo vous suffit ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Je ne fais pas comme le portraitiste, le choix s’est rapidement tourné vers la photo. Il me faut généralement trois photos pour réaliser un orgue. Cependant ma demande est très codifiée, il me faut des points précis. Comme énoncé précédemment, je dessine les orgues en deux dimensions (2D). A partir des photos, je dois faire plusieurs calculs pour obtenir les bonnes proportions, cela demande beaucoup de préparation avant de commencer le premier trait. Les dessins en 2D me plaisent vraiment, cela sollicite de la précision. La 2D n’existe pas dans la réalité, elle permet ainsi d’apporter une vue inédite, qui, auparavant, a pré-existé sur un plan industriel. Ma méthode est très technique, il ne s’agit pas de recopier ou de repasser par-dessus une photo !
La Gazette du Patrimoine : Quel est votre plus grand rêve professionnel, votre quête du Graal ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Les rêves sont nombreux ! Je pourrai passer ma vie professionnelle à dessiner les orgues de la France même si cela me demande énormément d’énergie. Je pourrais en faire un ouvrage assez extraordinaire en fin de carrière. Un de mes plus grands rêves serait de créer une nouvelle manufacture d’orgue dans le département de la Manche ! La dernière qui a existé s’est éteinte à la fin du XIXe siècle. Elle se situait dans la ville de Coutances où elle avait bonne réputation. Le facteur d’orgue Pierre Ménard, de Coutances, avait une relation privilégiée avec le célèbre facteur d’orgue Aristide Cavaillé-Coll, constructeur des grandes orgues de Saint-Sulpice, de la Cathédrale Notre-Dame à Paris mais également l’Abbaye aux Hommes à Caen, Cathédrale de Lisieux, Saint-Denis etc. Pour construire une nouvelle manufacture, il faudrait un jeune (déjà salarié dans une manufacture) voulant s’installer après avoir été diplômé du Centre National de Formation d'Apprentis Facteurs d'Orgues à Eschau. Il faut également des menuisiers. Posséder une manufacture permettrait de bien entretenir le patrimoine local avec un rayon d’action qui pourrait s’étendre à deux ou trois régions environnante. Une manière de faire revivre l’artisanat de l’orgue et de fortement sensibiliser sur ce patrimoine.
La Gazette du Patrimoine : Dans 20 ans, vous vous imaginez comment ?
Guillaume Lechevalier-Boissel : Je ne peux vous le dire mais j’avance sereinement, je suis très optimiste ! Je crois sincèrement que l’art aura toujours toute sa place dans notre société. A l’heure où nous arrivons à l’apogée du numérique, il y aura un retour aux choses simples, aux vraies valeurs ! Avançons dans la confiance.
La Gazette du Patrimoine : Une citation ou un proverbe qui vous définit ?
Guillaume Lechevalier Boissel : Deux citations :
« Rester soi-même dans un monde qui tente constamment de te changer est le plus grand accomplissement » — Ralph Waldo Emerson
« Agissez comme s’il était impossible d’échouer » — Winston Churchill
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