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La Gazette du Patrimoine est le média en ligne d'Urgences Patrimoine. 

Cette publication relaie les combats de notre association.

Elle permet la diffusion des informations relatives aux patrimoines et à ses acteurs. 

Photo du rédacteurAlexandra Sobczak

Evreux : des passionnés indexent le « Cimetière des fous » avant qu’il ne disparaisse sous le bitume

Ce n’est pas la première fois qu’Anaïs Poitou nous fait part de sa passion pour le patrimoine funéraire, mais aujourd’hui elle nous dresse le bilan d’une journée de travail très particulière. Journée qui aura permis d’indexer le cimetière de Navarre, plus communément appeler « Cimetière des Fous », afin que les noms des défunts ne disparaissent pas pour toujours au moment où les travaux de la déviation d’Evreux feront table rase du lieu.



Anaïs Poitou est actuellement en Service Civique à la Conservation départementale de l’Eure. Suite à sa Licence d’Histoire et à son Master Valorisation du Patrimoine, elle a choisi de s’engager dans la protection et dans la valorisation du patrimoine funéraire pour lequel elle porte un grand intérêt. Membre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire et du collectif Les Gilets Bleu Horizon, elle souhaite s’impliquer dans cette cause qui lui tient à cœur.



Un dimanche au cimetière



Dimanche 11 Juillet, afin de permettre l'indexation du cimetière des indigents de Navarre, situé à l'écart de l'hôpital psychiatrique d'Evreux, j'ai réuni une dizaine de volontaires. Parmi eux, ma famille et mes amis étaient présents, ainsi que deux membres de l'association Les Gilets Bleu Horizon, le président Alain Raoul et sa vice-présidente Laure Guillaud. Deux volontaires ayant un ancêtre dans le cimetière nous ont également rejoint dans ce projet. Tout ceci a pu se faire dans le cadre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire, mise en place par l'association Urgences Patrimoine.



Le cimetière étant à l'abandon depuis plus de 10 ans, nous avons eu beaucoup de travail ! Le site se divise en quatre grandes parties, que nous avons décidé de nommer carrés A, B, C et D en partant d'en haut à gauche. En nous séparant en différents groupes, nous avons pu effectuer un travail méthodique et rapide.




Une équipe de cinq volontaires était au débroussaillage, un travail fastidieux, d'autant plus dans le carré C qui était presque en totalité recouvert de ronces qui cachaient un grand nombre de stèles et de tombes en pierre. Ce travail a permis de retrouver plusieurs noms et matricules tombés dans l'oubli, uniques vestiges de l’identité de ces défunts. Au niveau des carrés A et B, le principal travail de débroussaillage se situait vers le haut. En effet, plusieurs arbustes avaient poussé, cachant deux à trois rangées de tombes, ce qui nous a permis de les rendre visibles et de pouvoir les photographier par la suite. Le carré D n'a pas nécessité de débroussaillage particulier, car les sépultures qu'il contenait ont en grande majorité étaient relevées au cours de ces dernières années. Aujourd'hui, il ne reste qu'une dizaine de tombes, entourées d'hautes herbes. Il y aurait eu dans ce carré les tombes des religieuses ayant eu en charge, pendant plusieurs années, le secteur dédié aux femmes de l'hôpital, mais elles auraient été exhumées et déplacées dans leur monastère d'origine, en Vendée.



Deux autres équipes, composées de trois volontaires chacune, se sont quant à elles concentrées sur le travail d'indexation. Pendant qu'un volontaire notait les noms et autres informations disponibles sur les stèles et les monuments, un second prenait chaque tombe en photo à deux reprises. La première photo est pour l'ensemble de la sépulture, et la seconde est un gros plan des plaques ou matricules en zinc visibles, mais aussi des noms gravés dans la pierre. Le troisième volontaire déposait des morceaux de laine sur les tombes afin d'avoir un repère pour ne pas faire de répétitions avec les noms et les photos. La première équipe a pris en charge les carrés A et C, et la seconde les carrés B et D.



Cette indexation a duré toute la journée, ce qui nous a permis de vraiment prendre le temps de trouver une majorité de tombes disparues, mais aussi de retrouver des noms. Si pour les croix et stèles de bois, il était simple de déchiffrer le nom ou le matricule gravé sur les plaques, cette expérience était plus difficile pour les tombes en pierre. Au fil du temps, les noms et dates inscrits dans la pierre se sont effacés, et il a fallu souvent utiliser papier et crayon pour déchiffrer les informations. Ce fut une découverte à chaque inscription qui apparaissait.



Dans l'après-midi, suite à un piquenique champêtre, sous le couvert des arbres, nous avons continué notre indexation en modifiant quelque peu nos équipes. Certaines personnes ne pouvaient pas rester l'après-midi, mais le débroussaillage était terminé.



Nous avons donc divisé notre groupe de huit en deux groupes de quatre. La quatrième personne des équipes avait en charge le nettoyage des plaques ou des tombes en pierre, avant le passage du photographe, puis elle épelait les noms, ce qui facilitait l'avancée de la personne en charge de les noter. Pendant notre indexation, nous avons eu la chance de rencontrer Manon Maurin et Aldéric Tardivel. Manon est à l’origine de la pétition pour la préservation du cimetière qui a aujourd’hui atteint plus de 1 000 signatures. Grâce à cette pétition, le cimetière des indigents a été découvert ou redécouvert par de nombreuses personnes, en témoignent les visiteurs que nous avons pu rencontrer le jour de notre indexation.



L’un des plus beaux témoignages que j’ai pu voir au cours de mes nombreuses visites ces dernières semaines, ce sont les dépôts de roses fraîches sur les tombes de pierre et aux pieds des stèles de bois, sans aucune distinction. Ce beau geste est émouvant car une tombe fleurie est une tombe qui n’est pas abandonnée, et cela prouve que des personnes se rendent encore dans le cimetière.



Ce travail a pour but de ne pas oublier ces défunts, ainsi que ce cimetière, dont l'histoire est liée au Nouvel Hôpital de Navarre. A travers ce projet d'indexation, nous souhaitons sauvegarder la mémoire de ce lieu avant que les travaux de la déviation Sud-Ouest ne le fasse disparaître.



Avec nos différents croquis, registres de noms et les nombreuses photos prises au cours de cette journée, nous avons pu établir un travail précis avec la localisation de chaque tombe et des informations que l'on a pu trouver.




Dans le futur, nous pourrons comparer nos découvertes avec les registres du cimetière. Le site possède par ailleurs du mobilier, comme un four crématoire situé en haut du carré A, à l'extérieur du cimetière, un abri pouvant servir au gardien dans la partie basse du carré C ou encore un calvaire en son centre. Un ossuaire, servant à déposer les ossements des sépultures les plus anciennes du cimetière afin d'y faire de la place, est visible dans la partie droite, en haut du carré B.




Nous avons d'ailleurs pu retrouver, grâce à un travail de description de dalle funéraire, la tombe d'un prêtre, placée à la gauche du calvaire, dans le bas du carré A. Ce prêtre, Jean-Charles LEMONNIER, a travaillé à l'hôpital, tout comme plusieurs infirmières et infirmiers, au nombre de six, se trouvant eux-aussi dans le cimetière. La sépulture d'Adrien BARILLON, soldat Mort pour la France, se trouve quant à elle en haut à gauche du carré C. La tombe d'un médecin, aujourd'hui relevée, se trouvait quant à elle dans le carré D.



Concernant les autres sépultures de pierre, stèles et croix de bois, il semblerait que ces tombes soient celles des patients de l'hôpital. Parmi ces tombes, une grande majorité se compose de stèles sous forme de croix en bois, mais on compte aussi une quarantaine de tombes en pierre, et environ une vingtaine de stèles plates en bois. Sur les 522 sépultures retrouvées, 97 d'entre- elles n'ont pu être identifiées, et une dizaine possèdent un matricule sans nom. Seules les sépultures de pierre ont pu être datées, les dates apparaissant en dessous des noms, mais ce n'est pas le cas de toutes. Sur l'ensemble, on remarque d'ailleurs qu'il y a une majorité de femmes identifiées et inhumées dans le cimetière, pour environ 210 tombes, les hommes identifiés étant probablement au nombre de 189. Au cours de notre indexation, nous avons pu observer des animaux se promener sur le site, comme des lapins ou encore des souris, mais aussi de nombreux insectes, notamment des papillons : la nature reprend peu à peu ses droits sur la forêt.


Au cours de notre journée, nous avons pu faire la rencontre de nombreux visiteurs venus se recueillir en ce lieux, ou en faire la découverte. Parmi eux, il y avait un adepte du cimetière : il s'y rend régulièrement depuis 2007 ! En discutant avec lui, il nous a partagé l'une de ses idées concernant le devenir du cimetière et de la mémoire des défunts. Si les exhumations ne peuvent être faites, nous aimerions qu'il y ait au moins l'élévation d'un monument ou d'une stèle à la mémoire de ces personnes.



Si l'hôpital a proposé de déplacer le calvaire du cimetière afin de conserver une trace du lieu, ce visiteur aimerait élever une petite chapelle du souvenir, et placer toutes les plaques d'identifications en zinc, qui auraient été préalablement récupérées dans le cimetière, afin de les placer sur les murs de la chapelle. Ce serait comme un mur du souvenir, rendant hommage à ces personnes tout en conservant une trace de leur identité. C'est une belle idée qui mérite réflexion.



Afin de compléter ce descriptif de notre travail, j'ai demandé à mes proches de me décrire leur ressenti au cours de cette journée.



« Cette journée m'a permis de donner du temps pour une bonne cause, même si le cimetière est voué à la destruction d'ici peu. Participer à cette indexation nous permet de ne pas oublier tous ces défunts et de conserver leurs traces. De plus, effectuer ce travail nous a permis d'avoir une autre réflexion sur les cimetières et sur le patrimoine funéraire en général, sur le devenir de ces défunts. Le cimetière nous concerne tous, et ce qui frappe ici, c'est l'immoralité envers ces morts oubliés pour leur folie, et prochainement recouverts par les remblais de la déviation. » Laurence Poitou.



« Cette indexation nous a permis de créer des liens et de faire des connaissances autour d'un sujet qui nous rapproche malgré nos différents horizons. Ce projet était à la fois étrange, car nous n'avons pas forcément l'habitude de nous rendre au cimetière. Dans mon cas, le cimetière des indigents est une découverte totale car je ne connaissais pas son existence. Ce fut un cadre de travail agréable car nous nous trouvions au cœur de la forêt et dans le calme. Nous n'avions rien à gagner en menant ce projet, mais nous étions heureux de donner ce que nous pouvions donner pour cette indexation. Même si l'endroit reste agréable, le lieu est très triste. A chaque instant, la peur de piétiner une tombe se fait ressentir. Mais l'envie de redonner une identité à ces défunts prend le dessus et nous donne la force de travailler. Le lieu, malgré l'omniprésence de la nature, confère un aspect triste et délabré à ces stèles de bois et de pierres. C'est une page qui se tourne. » Angeles.




« Le premier sentiment que j'ai ressenti en arrivant dans ce cimetière c'est de la tristesse. La tristesse de voir ce lieu chargé d'histoire abandonné. Puis en apprenant l'histoire de cet abandon c'est de la colère que j'ai ressenti. Comment peut-on laisser à l'abandon un lieu plein d'histoire, surtout lorsqu'il y a un soldat inhumé, tout cela pour une question d'argent et de politique. Participer à ce projet m'a vraiment plu. J'ai l'impression d'avoir été utile à une bonne cause et sortir toutes ces personnes de l'oubli a été à mes yeux la plus belle récompense à nos efforts. » Laure Guillaud, vice-présidente de l’association Les Gilets Bleu Horizon.



« Tout au long de ce travail, j'ai eu un ressenti étrange car je n'aurais jamais imaginé me rendre dans un cimetière pour faire une indexation il y a encore quelques mois. Mais faire partie de ce projet, c'est avant tout aider ma fille, mais aussi donner de mon temps pour une bonne cause, ce qui m'a fait plaisir. Nous avancions rapidement et méthodiquement, sortant ces défunts de l'oubli. En effet, la plupart des stèles de bois avaient été recouvertes par la végétation des lieux. Nous avons également retrouvé de nombreuses plaques, redonnant une identité à ces personnes. » Stéphane Poitou.




Je tiens à remercier chaleureusement les volontaires, familles, amis comme nouvelles connaissances, d'être venus m'aider dans ce projet : notre travail d'équipe a porté ses fruits. Merci à mes parents Laurence et Stéphane Poitou, et également à Victor Patry, mon conjoint. Merci à Alain et à Laure d'avoir fait le déplacement depuis Rouen, mais aussi à Agathe et à Didier, que j'ai été ravie de rencontrer. Je tiens également à remercier Angeles, Mathilde et Antoine d'être venus. C'est grâce à vous et à votre travail que cette indexation a pu être réalisée.


Pour en savoir plus, n’hésitez pas à me contacter : anais27000@hotmail.fr



Pour contacter la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire : urgences.patrimoine@gmail.com



Le cimetière des indigents en quelques chiffres :



  • 522 tombes, dont environ 210 pour les femmes et environ 189 pour les hommes

  • 97 inconnus

  • 454 croix de bois

  • 45 sépultures en pierre

  • 18 stèles de bois, symbolisant une appartenance religieuse différente autre qu'à la religion chrétienne

  • 13 matricules sans noms

  • 4 monuments composés de sépultures en pierre et de croix de bois

  • 1 soldat Mort pour la France

  • 6 infirmiers, dont 2 infirmières

  • 1 médecin

  • 1 prêtre

  • 1 calvaire

  • 1 four crématoire

  • 1 ossuaire

  • 1 abri de gardien


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