Mardi 20 octobre, j’ai eu le plaisir de découvrir la très belle commune de Bergues. Invitée par la municipalité, je suis venue modestement apporter un regard extérieur et, je l’espère, objectif sur le patrimoine de ce que certains appellent « la belle endormie des Flandres ».
Pas si endormie que ça, car la multitude de commerces atteste d’un dynamisme incontestable. C’est bien connu, dans une ville qui dort le commerce est inexistant — ce qui n’est absolument pas le cas ici. C’est accompagnée de Marc Bourel, premier adjoint élu à la culture et au patrimoine, et de Patrick Descamps, directeur du musée, que j’ai pu apprécier la diversité et la qualité du patrimoine Berguois. Ses remparts, son célèbre beffroi, son étonnant Musée du Mont-de-Piété, les vestiges de l’ancienne Abbaye Saint-Winoc, ses canaux, ainsi que son bel Hôtel de Ville.
Même si Bergues a subi les assauts de la guerre et qu’une grande partie de l’architecture est celle de la « reconstruction », tout ici est très homogène à quelques rares exceptions près. J’ai également pu apprécier la propreté de cette commune qui ne laisse planer aucun doute sur la qualité du travail des employés municipaux et des services techniques. Peut-être que certains habitants ne partageront pas ma vision des choses, mais en comparaison avec beaucoup d’autres communes, Bergues est un modèle à suivre dans ce domaine, même si tout modèle est perfectible.
Mais soyons clairs. On ne m’a pas fait venir pour que je fasse la promotion de Bergues (mais si vous ne savez pas où passer un week-end, allez-y les yeux fermés), mais pour que j’apporte quelques idées quant à la valorisation du patrimoine local.
Il est évident qu’il va falloir très vite apporter les soins nécessaires à la sauvegarde de l’Hôtel de Ville. En termes de financement, il s’agit d’un projet coûteux pour une commune de moins de 4000 habitants. Tout comme pour la mise aux normes du Musée et la restauration des remparts. Parce que tous ces édifices sont protégés au titre des monuments historiques, ils pourront bénéficier d’aides et de subventions et il ne fait aucun doute que la municipalité les trouvera afin de ne pas trop fragiliser les finances de la commune. C’est peut-être aussi le moment de se faire entendre afin de bénéficier du plan relance patrimoine dans lequel 40 millions d’euros sont destinés au patrimoine protégé. Une petite candidature au loto du patrimoine serait peut-être une bonne chose. Quoi qu’il en soit, le patrimoine Berguois est entre de bonnes mains, car il y a une réelle volonté municipale d’agir en sa faveur et nous le savons tous : « lorsqu’il existe une volonté, il existe un chemin ». En parlant de chemin, j’ai découvert au bout de l’un d’entre eux, un endroit incroyable qui se nomme « les 3 bastions ». Une plaque de bronze rappelle qu’ici vingt personnes ont perdu la vie pendant la seconde guerre mondiale.
Si l’endroit dégage quelque chose à la fois d’étrange et de solennel, il est également un lieu de rassemblement de jeunes qui souhaitent être un peu isolés du reste de la ville. Certains « tags », comme on en trouve dans beaucoup de communes de France et d’un goût parfois contestable, n’offrent pas à ces murs chargés d’histoire la dignité qu’ils méritent. M’est alors venue l’idée de faire des trois Bastions, un vrai lieu de mémoire dont certaines parties pourraient très bien être recouvertes de fresques en hommage aux héros morts ici pour la France. Un lieu de mémoire ne doit pas être forcément un lieu figé, bien au contraire. Et ici, je pense sincèrement que l’on peut réunir passé et présent, tout en faisant vivre cette petite partie de la ville qui ne demande qu’à exister. Cette proposition a eu l’air de séduire mes interlocuteurs : nous verrons bien si les Berguois trouveront cela judicieux ou non.
Car, comme je l’ai dit avant ma visite, l’important pour le patrimoine, c’est qu’il soit porté non seulement par les élus, mais également par les habitants. Le patrimoine est un bien commun et il doit le rester, même si ce sont les élus qui ont la lourde charge de son entretien.
J’ai découvert également l’ancienne poudrière qui est à l’abandon. Mais en ce qui la concerne, le problème est en passe d’être résolu, car un appel à projet a été lancé et il ne fait nul doute que quelqu’un saura offrir à ce lieu une seconde vie, sans que cela ne coûte un centime d’argent public. Merci, Monsieur le Maire, d’avoir opté pour l’appel à projet plutôt que d’avoir fait un « appel à pelleteuses ».
L’ancien abattoir cherche lui aussi une nouvelle destination, mais ce charmant bâtiment du Centre-Ville trouvera sans doute une nouvelle destination rapidement. Là encore, il est fort probable que les habitants soient sollicités pour donner leur avis.
Quelques idées simples ont également retenu l’attention de mes « guides », mais il faut bien garder une petite part de « mystère ». D’ailleurs, j’en profite pour rappeler à certaines personnes qui se demandaient quelle était ma légitimité pour venir donner mon avis sur LEUR ville, qu’effectivement je n’en ai aucune, mais que parfois un regard extérieur permet de mettre l’accent sur des petites choses que l’on ne voit pas ou que l’on ne voit plus, simplement parce qu’elles sont familières. Donc, le regard de « l’étrangère » que je suis ne peut être que positif —du moins, c’est ainsi que je l’entends. Même si, je le répète encore une fois, je ne détiens pas la vérité absolue.
Enfin, je ne pouvais pas faire un compte rendu de ma visite sans évoquer une histoire qui m’a énormément touchée. Près des ruines de l’ancienne église Saint-Martin se trouvait un jardin en friche. Paulette et Yves habitaient juste en face et ont décidé, avec l’accord de la municipalité, de redonner vie à ce jardin oublié. Le résultat est magnifique. Ayant eu connaissance de cette histoire avant ma venue grâce à un Berguois amoureux de sa ville, j’ai souhaité absolument voir ce petit jardin dans lequel trône une statue de Saint Martin qui a hélas perdu sa tête pendant la guerre.
« Monsieur Yves » était devant sa porte. J’ai juste eu le temps de lui dire : « Bravo, ce que vous avez fait est juste magnifique ». Ce à quoi il a répondu : « oh ce n’est pas grand-chose ». Après être repartie, j’ai dit à Marc Bourel que j’avais pensé à une chose qui lui paraîtrait hors sujet, mais, comme « Madame Paulette » a été emportée par le Covid en début d’année, il serait peut-être bien de donner son prénom à ce petit jardin. Ma suggestion a donné lieu à un sourire et l’élu m’a répondu : « Ne vous inquiétez pas, c’est ce que nous avons prévu de faire, le jardin portera le nom de Paulette et d’Yves. » Il n’en fallait pas plus pour illuminer ma journée.
Certains diront que je m’éloigne un peu de la cause du patrimoine en relatant cette histoire, pourtant, le patrimoine sans la main de l’homme n’existerait pas et que serait l’homme sans le patrimoine ? Ce bien commun qui raconte notre histoire collective sera promis à un bel avenir si nous sommes nombreux à agir chaque jour en sa faveur, avec nos moyens, à notre niveau, comme l’ont fait Paulette et Yves par exemple. Certes, nous sommes bien loin des millions nécessaires à la restauration des édifices emblématiques de la commune, mais si chacun apporte sa pierre à l’édifice, aussi modeste soit-elle, alors je gage que des solutions seront trouvées.
Nous allons maintenant réfléchir à des actions concrètes à mener rapidement, en fonction des choix des élus et bien entendu de tous les Berguois.
Alexandra Sobczak-Romanski
Présidente d’Urgences Patrimoine
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