Nous ignorons où s’arrêtera la bêtise humaine, mais nous en avons là un bel exemple. Merci à Sébastien Perrot-Minnot pour cet article qui au-delà du fait de dénoncer un acte de vandalisme, nous permet de découvrir un patrimoine d’exception peu connu qui mériterait une mise en valeur et surtout quelques bons soins afin de lui assurer un avenir.
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Lors d’une visite sur le site précolombien du Galion (commune de La Trinité, Martinique), le 24 avril dernier, des archéologues ont fait une bien triste découverte : une des roches gravées du lieu avait été taguée avec une bombe bleue, assez récemment, semble-t-il. Les graffitis représentent des motifs géométriques évoquant vaguement des pétroglyphes, une tête humaine aux cheveux longs et un serpent ; ils comportent aussi l'inscription « CHIVA INdIEN ». Leur auteur savait visiblement qu’il s’en prenait à une roche gravée - en l’occurrence, l’imposant Bloc 2 du Galion, d’une hauteur de 2,30 m.
Ce genre d’acte de vandalisme sur des pétroglyphes amérindiens est inédit en Martinique, pour autant que je sache. Après avoir été informée du délit, la Direction des Affaires Culturelles de Martinique a entrepris les démarches pour un dépôt de plainte. Il faut dire que le Bloc 2 est situé sur une propriété de l’État (administrée par le Conservatoire du Littoral), et que les roches gravées du Galion ont été inscrites au titre des Monuments Historiques en 2020.
Localisé sur le littoral Atlantique de la Martinique, à la lisière d’une forêt lacustre et aux abords des champs de canne de l’Exploitation Agricole du Galion (EAG), le site amérindien du Galion a été signalé aux autorités en 1992. Depuis, il a fait l’objet de travaux archéologiques ponctuels (y compris, de l’auteur). Des pétroglyphes précolombiens ont pu y être identifiés avec certitude sur trois blocs. Leur style essentiellement géométrique et abstrait est inhabituel dans l’art rupestre des Petites Antilles, mais le thème du visage à la bouche en forme de trident, présent sur les Blocs 2 et 3 du Galion, se retrouve sur un autre site de roches gravées de Martinique : celui de Montravail, dans le sud de l’île (commune de Sainte-Luce).
Le contexte archéologique des pétroglyphes du Galion demeure problématique, le sondage creusé au pied du Bloc 2 en 2015 et les prospections effectuées autour des roches gravées n’ayant pas révélé de mobilier indiscutablement amérindien. Toutefois, la relation avec Montravail, des comparaisons avec l’iconographie de la céramique précolombienne et des gisements archéologiques localisés à proximité du site des roches gravées du Galion suggèrent que ces dernières se rattachent à la phase du Saladoïde Cedrosan Moyen-Récent (350-700 après J.-C.).
D’après les données dont nous disposons, ces blocs ornés se trouvaient à l’écart de l’habitat amérindien, une caractéristique assez commune de l’art rupestre précolombien des Antilles. Leur fonction était vraisemblablement rituelle.
Malheureusement, avant même le récent acte de vandalisme, l’état de conservation des roches gravées du Galion était déjà critique. Les motifs rupestres, en partie couverts de mousses et altérés par des fissures et des éclats, sont, pour la plupart, difficilement reconnaissables… Il serait important de réaliser des relevés photogrammétriques de haute précision des blocs, ainsi qu’un bilan sanitaire et un nettoyage de ces derniers, tout en renforçant la protection du site et en sensibilisant le public à la valeur et à la fragilité de ce patrimoine ancestral.
Sébastien Perrot-Minnot
Archéologue (Éveha)
Chercheur associé au laboratoire AIHP GEODE (Université des Antilles)