Le patrimoine funéraire est un sujet qui intéresse de plus en plus de monde. Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir agir concrètement pour ce patrimoine dont hélas beaucoup de témoins sont en déshérence totale dans la majorité de nos cimetières.
Grâce à cet article d'Alexandrine Espinasse, vous allez découvrir que la législation est telle qu’il est difficile, voire impossible, de s’impliquer dans la valorisation et la sauvegarde de ce patrimoine. Urgences Patrimoine souhaite depuis quelques temps sensibiliser et mobiliser les citoyens et les élus autour de cette problématique et souhaite mettre en place une commission réunissant les plus grands experts du sujet, afin de trouver des solutions permettant d’inscrire dans l’avenir ce précieux patrimoine, témoin de l’histoire et de la mémoire collective.
Introduction
L'origine gréco-latine du mot cimetière, coemeterium, qui signifie « lieu pour dormir, dortoir » rappelle que c'est initialement un lieu de repos, d’inhumation des défunts, mais également un lieu de communion et d'échanges. D'échanges familiaux certes, mais aussi culturels, inhérents à la société.
Le cimetière tel qu’on le connaît aujourd’hui en France, c’est-à-dire un lieu à la périphérie des villes, clos de mur et laïque, nait avec l’Edit de Saint-Cloud (le décret du 23 prairial an XII) du 12 juin 1804, qui donne un cadre juridique à ces lieux et à la mort. Avant la fin du XVIIIe s., on enterrait à l’intérieur des églises ou aux abords, dans des terrains privés, ou bien dans les fameuses « fosses communes ». Ce décret marque le début des fosses individuelles, laissant place à l’architecture funéraire originale traversée notamment par le courant romantique de l’Europe du XIXe siècle. Le rapport à la mort évolue : on se promène au cimetière, on cherche à rendre hommage au défunt, mais aussi à montrer son statut au reste de la société via le monument funéraire.
La sécularisation lente de la société et les deux guerres mondiales inversent cette tendance de balade au cimetière, puisque la mort s’intériorise : les individus meurent à l’hôpital, seuls. L’industrialisation des monuments funéraires profite à l’uniformisation des lieux de sépulture.
Patrimoine familial évident, la sépulture est devenue au fil du temps, patrimoine culturel, de part notamment l’intérêt historique, artistique, architectural, paysager, etc. qu’elle présente. C’est aussi bien la qualité de la personne inhumée que le monument en lui-même qui peut être considéré patrimoine culturel funéraire.
Depuis une vingtaine d’années on assiste à un regain d’intérêt pour les cimetières, lieux de tourisme alternatif, mais aussi lieux de verdure, à l’instar du Père Lachaise et de ses quarante-deux hectares, poumon vert de Paris. Le cimetière est donc un espace public, ouvert tous les jours, le dimanche et les jours fériés et on peut y déambuler librement. Cependant la sépulture est privée : elle appartient aux propriétaires de la concession. L’articulation du public et du privé est difficile et ne facilite pas la préservation et la valorisation du patrimoine culturel funéraire. Cet article ambitionne de faire un état des lieux de la législation funéraire qui concerne le patrimoine.
En effet, quels sont les moyens mis en place pour préserver le patrimoine, d’un point de vue légal ? Comment protéger le patrimoine quand les procédures peuvent s’avérer être longues ? Qu’est-il possible de faire et ne pas faire ?
Il s’agira dans un premier temps de passer en revue le cadre juridique global funéraire, pour ensuite appréhender le pan patrimonial et les mesures possibles en ce qui concerne l’inscription et le classement aux Monuments Historiques. Enfin, nous verrons en quoi la procédure de reprise d’une concession perpétuelle par la collectivité peut être un moyen concret de valorisation patrimoniale.
I. La législation générale encadrant les cimetières.
Avant d’insister sur le pan patrimonial de la législation funéraire française, il semble important de rappeler succinctement le cadre juridique global des cimetières.
L’Edit de Saint-Cloud marque une première forme de législation funéraire. Pour faire face aux préoccupations hygiénistes de l’époque et à la saturation des lieux d’inhumation à l’intérieur des villes, il est décidé de déplacer les cimetières à la périphérie et de les emmurer. C’est également le début de la fosse individuelle et de la concession privée. L’Ordonnance royale du 6 décembre 1843 étend ces principes « à toutes les communes du royaume », autrement dit, au monde rural. Il devient également possible d’acquérir une concession, c’est-à-dire de louer une parcelle pour une durée donnée (concession temporaire (cinq à quinze ans aujourd’hui), trentenaire ou perpétuelle), le tarif étant établi par la commune. La loi du 3 janvier 1924 donne la possibilité d’acquérir une concession centenaire, mesure qui sera abrogée par ordonnance du 5 janvier 1959. Celle du 24 février 1927 permet la création de concessions cinquantenaires. Toutes ces concessions peuvent être individuelles, familiales ou collectives.
Le cimetière est un espace en théorie religieusement neutre depuis 1881, c’est-à-dire qu’il ne doit pas y avoir de séparation entre les cultes en son sein. Dans les faits, certains cimetières proposent aujourd’hui des carrés confessionnels, créés au fil du temps.
Enfin, la dernière loi importante est celle du 19 décembre 2008 qui donne un statut juridique aux cendres, réglemente la création des sites cinéraires, etc. Aujourd’hui, le texte de référence utilisé par les collectivités au quotidien est le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT).
La réglementation du funéraire ne s’est donc pas faite en un jour et concernant le patrimoine culturel des cimetières, l’articulation privé-public complique les démarches. Le cimetière est un lieu d’expression et d’hommage après la mort. Il est important de noter que le/la maire ne peut en aucun cas limiter la pose d’un monument pour des raisons esthétiques ou à cause d’emblèmes religieux. Il/elle peut seulement fixer les dimensions maximales d’un monument (Art. L2223-12-1 du CGCT) et se porte garante du « maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières » (Art. L2213-9 du CGCT). Autrement dit, il/elle ne peut directement intervenir que si un monument menace l’ordre public et la salubrité de l’endroit.
La notion d’esthétisme est donc à proscrire pour un monument funéraire. Cependant, un monument peut être considéré comme patrimoine par son intérêt artistique, architecturel, historique, etc. Quelles sont donc les mesures envisageables concernant leur protection ?
II. La protection du patrimoine funéraire : lois et mesures.
Un emplacement et son monument relèvent du privé, la concession se transmettant automatiquement et gratuitement de génération en génération. Imposer des conditions en matière de pose de monument peut s’avérer délicat en contexte de deuil pour les familles.
Il est possible qu’un monument face l’objet d’une inscription ou d’un classement aux Monuments Historiques grâce à la Loi du 31 décembre 1913. La protection se fait aux motifs que la sépulture est celle d’une personnalité publique, que le monument présente un intérêt artistique, architectural, historique, une qualité paysagère, etc. Le cimetière tout entier ou bien une zone spécifique peuvent être protégés. Ces mesures sont relatives au Code du Patrimoine.
a) Inscription et classement au titre des Monuments Historiques : les tombeaux individuels.
« À ce jour, environ 450 cimetières ou parties de cimetières, tombes et tombeaux, caveaux, mausolées, stèles, dalles funéraires et pierre tombales sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques » (Réponse du ministère de la Culture à la question écrite de M. Alain Joyandet en ce qui concerne la sauvegarde du patrimoine funéraire en France. Publication dans le JO Sénat du 27/12/2018, page 6749. URL).
L’inscription
L’inscription au titre des Monuments Historiques se fait à l’échelle de la région, c’est-à-dire que la demande peut se faire par le propriétaire de la concession, la collectivité territoriale, le préfet, une association de défense du patrimoine, etc. Il n’y a pas besoin de l’accord du propriétaire. Un exemple récent d’inscription pour la qualité de la personne inhumée est la sépulture de Prosper Mérimée au cimetière du Grand Jas à Cannes, le 7 juin 2019 par arrêté préfectoral. On peut également citer la Chapelle Fournier au cimetière de Montmartre à Paris, inscrite en 2013, pour l’intérêt historico-artistique qu’elle présente.
Le classement
Le classement se fait à l’échelle nationale. Un monument inscrit peut devenir classé sur proposition du préfet auprès du ministère de la Culture et après accord du propriétaire. Toutefois, du fait d’un grande quantité de propriétaires non identifiables (notamment quand les sépultures sont trop anciennes), la procédure de classement se fait rare. La Chapelle Potocka du cimetière de Montmartre à Paris, classée en 2014 est un très bon exemple de chapelle classée pour sa qualité artistique et architecturale.
Dans les deux cas, celui de l’inscription ou du classement, le propriétaire a la responsabilité de la conservation de son monument inscrit ou classé. Il peut percevoir des aides de l’Etat dans le cadre de travaux de confortement, restauration, réhabilitation du monument. La maitrise d’œuvre est gratuite pour les monuments inscrits et les subventions n’excèdent pas 40% du coût total des travaux. En cas de classement, l’aide peut dépasser les 40%. Ces procédures sont évidemment encadrées, suivies par des professionnels et pour un monument classé, on fait appel à un architecte du patrimoine.
A noter que si le propriétaire ne respecte pas son engagement, peut être envisagée une procédure d’expropriation. Le ministre de la Culture peut exécuter d’office les travaux en faisant payer une partie des frais aux propriétaires.
Cette démarche reste tout de même difficile à mettre en place par le ministère de la Culture notamment, car elle repose sur des critères multiples et il faudrait protéger une quantité considérable de monuments, qui ont tous, à différente échelles, un intérêt patrimonial. C’est notamment pour ces raisons qu’est privilégiée la protection par zones du cimetière.
b) La préservation par zones d’un cimetière.
Il est possible d’inscrire ou de classer une zone spécifique d’un cimetière. Par exemple, une aire confessionnelle du cimetière, à l’instar de la partie orthodoxe du cimetière municipal de Sainte-Geneviève-des-Bois, inscrite aux Monuments Historiques par arrêté du 31 janvier 2001. Peut également être inscrit un équipement funéraire comme le crématorium du Père Lachaise (17 janvier 1995) ou encore des lieux spécifiques d’un cimetière : le porche d’entrée, la mosquée et le carré militaire du cimetière musulman de Bobigny sont inscrits depuis le 25 janvier 2006.
La protection au titre des sites d’un cimetière, qui se fait via le ministère de l’Ecologie et d’après le Code de l’Environnement permet la reconnaissance de la valeur du patrimoine écologique et végétal.
Autre mesure possible, celle des Sites Patrimoniaux Remarquables (SPR) depuis le 7 juillet 2016. Elle permet la protection en faveur du patrimoine urbain et paysager. Elle qualifie un ensemble et le protège. Après enquête publique et délibération du conseil municipal de la ville de Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence), un SPR a été décrété incluant le cimetière (9 octobre 2019).
III. Intervention directe de la collectivité : la procédure de reprise d’une concession perpétuelle.
L’inscription, le classement, la mise en place de zones protégées sont des mesures qui ont valeur à mettre en lumière des monuments. Ce sont des procédures longues et coûteuses pour les familles, et qui sont tout de même exceptionnelles.
La collectivité a possibilité de devenir propriétaire d’une sépulture laissée à l’abandon, dans le but de la conserver et de la valoriser si elle présente un intérêt patrimonial. Les conditions pour mettre en place cette procédure sont inscrites dans le Code Général des Collectivités Territoriales (Article R2223-12 et 13) :
- La concession doit être perpétuelle ;
- Trente années doivent s’être écoulées depuis l’acte de concession ;
- Il n’y a pas eu d’inhumation depuis au moins dix ans ;
- Le monument / emplacement doit présenter des signes d’abandon.
Il existe un vide juridique en ce qui concerne « l’état d’abandon ». Il est habituellement admis qu’une sépulture en état d’abandon présente des signes clairs de non-entretien, autrement dit, qu’elle n’est plus fleurie et/ou tombe en ruine. La circulaire numéro 62-188 du 22 mars 1962 précise que cet état se décèle par des signes extérieurs nuisibles au bon ordre et à la décence du cimetière. Par exemple, si une tombe est envahie par les ronces ou autre végétation sauvage, c’est en soit une bonne raison d’engager une procédure de reprise. Même si les ayants droits ne se font pas connaître légalement, une sépulture peut être entretenue par d’autres usagers.
Quand tous ces critères ont été validés, la collectivité doit contacter la famille (courriers, plaques sur monument, affichage en mairie, etc.) et opérer un procès-verbal de constat d’abandon. Le maire met ensuite en demeure les descendants de rétablir la concession en bon état d’entretien.
La procédure dure environ trois ans et demi : durée obligatoire pour que la famille se manifeste et décide d’entretenir la tombe. Dans le cas contraire, la collectivité devient propriétaire de la parcelle et dispose librement du monument (conservation, revente, réutilisation, etc.). Si elle décide de revendre l’emplacement, il faut que les restes mortels soient exhumés.
Ce dispositif est la pratique la plus courante en ce qui concerne la préservation et la gestion du patrimoine culturel funéraire. Par exemple, au cimetière du Nord à Rennes, plus de deux cents emplacements ont été repris par la ville depuis 2016. Au final, une cinquantaine d’emplacements sans monuments vont être remis à la vente après exhumation des restes mortels, ce qui de fait, permettra de libérer de l’espace dans un cimetière arrivé à saturation. Pour les autres emplacements repris, il existe plusieurs possibilités :
- En présence d’une personnalité ou d’un monument ayant un intérêt patrimonial précis, la commune peut décider de la laisser sur place et valoriser, restaurer, etc. ;
- Si le monument est en mauvais état mais présente des parties intéressantes, ces dernières pourront être proposées à la vente aux usagers, à condition que ces éléments restent au sein des cimetières rennais (Ex : une croix ou un socle en granit) ;
- Le monument peut être mis en vente à l’euro symbolique ou aux enchères. La nouvelle famille aura alors l’obligation de restaurer le monument.
- La ville peut engager via sa régie une campagne globale de remise en état de monuments ciblés après accord des familles, par exemple.
Autre mesure envisageable en ce qui concerne la protection du patrimoine funéraire, c’est l’entretien d’une sépulture par la collectivité après donation ou une disposition testamentaire par la famille. La sépulture de Jean Leperdit au cimetière du Nord à Rennes est par exemple entretenue par le Service des Jardins, même si elle appartient toujours à la famille.
A noter qu’un individu, une collectivité, une association ou autre institution qui n’a pas l’accord des ayants-droits ne peut entretenir un monument : on peut considérer cela comme profanation de sépulture d’un point de vue légal.
Conclusion
La préservation du patrimoine funéraire fait partie des préoccupations de certaines collectivités depuis quelques années seulement. Toutefois, jongler entre exploitation funéraire (inhumations, cérémonies, renouvellement des concessions, etc.) et protection patrimoniale semble encore très difficile en France. Les sensibilités différentes, la méconnaissance du sujet, mais surtout la lente mise en place d’un point de vue légal de procédures sont autant d’éléments qui poussent à renoncer à tout type d’intervention.
Alors qu’est-ce qu’on peut faire, à notre échelle ?
En tant qu’usager et propriétaire d’une sépulture, on peut déjà entretenir cette dernière pour assurer la pérennité du matériau. Il ne s’agit pas de venir tous les jours frotter la pierre, mais simplement d’y penser et de suivre les indications précisées dans le « petit guide à l’usage des personnes souhaitant entretenir une sépulture » édité par le ministère de la Culture et de la communication et le Laboratoire de recherche des monuments historiques (lien ici.).
On peut aussi demander à sa commune si elle remet à la vente des monuments anciens. Cette opération présente les avantages suivants : protection du patrimoine local par la réutilisation, coût moindre pour un monument car achat d’occasion, impact environnemental moindre puisque les matériaux proviennent du même cimetière et ne sont pas importés. De plus, si vous êtes intéressés par un monument ancien pour votre future dernière demeure, baladez-vous dans les cimetières de votre commune et soyez à l’affut : certaines sépultures en procédure de reprise par la collectivité pourraient être mises en vente par la suite. Certains cimetières proposent la vente aux enchères ou encore la vente à l’euro symbolique de chapelles funéraires anciennes par exemple.
Enfin, il ne faut pas hésiter à visiter les cimetières quand vous voyagez. Ce sont des lieux faits pour les vivants et c’est le meilleur endroit pour connaître l’histoire locale, puisque toutes les personnalités sont en théorie enterrées au cimetière communal. Des visites guidées, des spectacles, des évènements divers peuvent être organisés par l’Office de Tourisme de la ville ou le service funéraire directement. D’ailleurs, à la fin mai est organisé le Printemps des cimetières dans différentes communes (pour plus d’informations : printempsdescimetieres.org ). C’est le moment de découvrir le patrimoine funéraire !
Contact :
LinkedIn : Alexandrine Espinasse
Sources
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