Pour faire suite à notre précédent article « Patrimoine religieux, la Loi du silence », voici quelques constats supplémentaires, alors même que le sujet fait toujours couler beaucoup d’encre dans les médias. Encore une fois, je persiste à dire que c’est en se posant les bonnes questions que nous obtiendrons les bonnes réponses.
Voici donc quelques points essentiels qui, d’après moi, participent à l’abandon et à la destruction de nos édifices religieux.
Il faut vivre avec son temps
Il semblerait que nos pauvres vieilles églises ne soient pas au goût de tout le monde et, lorsqu’il s’agit de les démolir au profit d’un projet immobilier, ce qui fut le cas pour la chapelle Saint-Joseph, il nous a été rétorqué, alors que nous sollicitions l’appui des familles de ceux qui avaient contribué à sa construction à la fin du XIXe siècle, « qu’il fallait vivre avec son temps » et que l’édifice n’était qu’un tas de pierres et qu’au XXIe siècle, il était souhaitable de regarder devant soi, et de ne pas s’attarder sur le passé. Pourtant, si la France est ce qu’elle est, elle le doit à son histoire et à ses témoins.
L’étendard de la laïcité
Même si la majorité des édifices religieux construits avant 1905 sont à la charge des communes, certains élus, sont très mal à l’aise par rapport à ce sujet et mettent en avant les « sacro-saints » principes de la laïcité. Sauf que ces édifices sont des « bâtiments communaux » et que, de ce fait, les communes ont une obligation d’entretien.
Les élus respectueux de la Loi restaurent et entretiennent leurs églises. Certains font le strict minimum en catimini, afin de ne pas heurter la sensibilité des citoyens. D’autres ne font rien du tout, en ouvrant le « parapluie des priorités », généralement la réfection d’une école ou la construction d’une salle « multi-services intergénérationnelle ».
Tout ça parce qu’une poignée d’administrés sont farouchement opposés à ce que l’argent public soit utilisé pour un lieu de culte. Sauf qu’au-delà de sa fonction première, une église est un marqueur de l’identité du territoire et, bien souvent, participe à son attractivité. Vous avez déjà vu des touristes faire un détour pour visiter une salle multi-services intergénérationnelle ? Moi pas. D’ailleurs, aux élus qui essaieraient de me convaincre qu’il est toujours difficile de justifier l’utilisation de l’argent public pour la restauration des édifices religieux, je répondrai ceci : en ce cas, j’invite tous ceux qui ne font pas de sport à manifester leur opposition farouche à la construction d’un nouveau gymnase ou à sa restauration.
Il faut raison garder. L’église est un bâtiment communal un point c’est tout, et tous les élus qui ne respectent pas cette obligation d’entretien sont de facto et de jure hors la Loi.
Quelques mois après la création d’Urgences Patrimoine, j’avais même envisagé de porter plainte symboliquement contre l’ensemble des élus de France qui laissaient pourrir leurs églises en toute impunité. Notre avocat de l’époque m’en avait dissuadée, au prétexte que cela me rendrait parfaitement impopulaire. J’ai donc, mais avec le nombre croissant d’édifices menacés aujourd’hui, je vais peut-être revoir ma copie. D’autant que peu importe d’être impopulaire si l’on se bat pour une cause qui nous semble juste.
Les « Y a qu’à, faut qu’on »
On peut dire que l’espèce n’est pas en voie de disparition, et même en augmentation constante, grâce, ou plutôt à cause, des réseaux sociaux.
Ceux-là vous donnent des leçons en permanence, bien au chaud devant leur ordinateur. Mais leur activisme s’arrête là. Les plus nuisibles d’entre eux écriront, s’agissant d’un édifice menacé de démolition, que « c’est une mosquée qui sera construite à la place ». Je rappelle que cela qui ne fait pas avancer le débat d’un iota, et que cela dessert grandement la cause, faisant passer les défenseurs du patrimoine pour de dangereux individus. Le patrimoine est un bien commun et il est contre-productif de politiser le débat. Donc, non, on ne détruit pas les églises pour construire des mosquées. On détruit les églises pour faire de « jolis parkings », ou des espaces végétalisés (généralement, quatre pots de fleurs fluos aux quatre coins d’un espace bétonné). Ah, oui, j’oubliai, sur ces places, certains élus ont le bon goût d’afficher fièrement un trophée, en mémoire de l’édifice détruit. C’est le cas à Asnan, dans la Nièvre, où la cloche de l’église trône au milieu de trois bouts d’herbe, pour rappeler qu’avant se dressait en ces lieux, fièrement, une église.
D’ailleurs, Asnan est un cas d’école pour les « Y a qu’à, faut qu’on ». À l’époque, une pétition en ligne avait récolté plus de 10.000 signatures contre la démolition. Il fallait 100.000 euros pour sauver l’édifice (et un peu plus de volonté municipale pour conserver l’édifice, j’en conviens). Et bien si chaque signataire de la pétition avait donné 10 euros, le compte était bon. Mais, là encore, dès qu’il est question d’agir concrètement, c’est « courage fuyons ».
Souvent la raison invoquée est la raison fiscale : « je paye déjà assez d’impôts, donc je ne vois pas pourquoi je donnerais, même si je suis contre la destruction de cet édifice. »
Ou alors, ils se disent : « plein de gens vont donner, donc, inutile que je me déleste de “10 balles” qui me seront plus utiles pour engraisser la Française des Jeux avec l’achat de tickets à gratter qui, eux, peuvent me rendre riche. »
Alors que 10 euros pour une église, ce sont 10 euros à fond perdu ?
En tout cas, moi, je n’ai jamais vu quelqu’un pleurer parce que son ticket à gratter était perdant. En revanche, j’ai vu beaucoup de gens pleurer devant le spectacle affligeant des pelleteuses dévorant un clocher. Et, sur ce point, je rejoins Roselyne Bachelot, qui, dans sa propagande pour la tabula rasa de nos petites églises de provinces, a déclaré qu’il fallait que les citoyens se bougent un peu. Au passage, je rappelle que des milliers de personnes, sur l’ensemble du territoire, ne ménagent pas leurs efforts pour sauver l’église de leur commune et je ne dis absolument pas que personne ne fait rien. Je dis simplement que si les « Y a qu’à faut qu’on » passaient à l’action, certains édifices pourraient espérer un avenir meilleur que celui de finir en parking.
La prise d’otage
Là encore, c’est par expérience que j’ajoute cette cause a ma liste. Dans certaines communes, il n’est pas rare que l’épineux sujet qu’est la restauration de l’église, soit l’objet de débats houleux, entre le maire et les élus d’opposition. Tellement houleux, que c’est l’édifice qui trinque sous couvert de paix sociale.
L’exemple le plus ubuesque qui me vient à l’esprit, est le cas de l’église de Charonville, en Eure-et-Loir. Lorsque l’ancien maire avait été élu, la restauration de l’église du XIIe siècle de la commune était en tête de son programme. Après son élection, il avait entrepris de faire chiffrer le montant des travaux et avait établi un budget prévisionnel. Les finances de la commune étaient extrêmement saines. Donc, cela passait tout seul. Et là, gros putsch au sein du Conseil Municipal et le maire se retrouve minoritaire. Impossible pour lui de lancer les travaux. Comme ce cas ne s’était jamais présenté, même la Sous-Préfète n’a pu faire appliquer la Loi. Malgré l’obligation d’entretien et de restauration qui incombe à la commune, les travaux n’ont jamais pu démarrer. Le maire n’a pas été réélu aux dernières municipales, et l’église poursuit sa lente agonie, tout ça à cause de querelles internes.
Sans doute que la nouvelle équipe municipale attend que l’édifice s’écroule tout seul, dans l’indifférence générale. D’ailleurs, à l’époque où nous avions été sollicités par le vaillant collectif de sauvegarde, qui s’est mobilisé de façon exemplaire pour tenter de sauver l’édifice, nous avions signalé à la Direction Générale des Affaires Culturelles qu’une statue de la vierge datant du XVIIIe, inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, était attaquée par des insectes xylophages depuis un certain temps, et que, si elle ne bénéficiait pas de soins urgents, son avenir était lui aussi compromis. Deux ans plus tard, la statue n’avait toujours pas été « exfiltrée » et, aujourd’hui, il est possible qu’elle ne soit plus que poussière. Je parlais de déposer plainte contre les communes qui ne respectaient pas le devoir d’entretien de leur église, peut-être devrait-on commencer par Charonville ?
Mensonges et trahison
J’ai déjà évoqué le cas de l’église du Sacré-Cœur de Denain dans mon précédent article, mais une « petite couche » supplémentaire ne peut pas nuire.
En effet, la réhabilitation de l’édifice était au cœur de la campagne électorale de Madame la Maire, tellement au cœur, qu’elle s’est engagée à la racheter pour la sauver de l’abandon.
À ce moment-là, elle considérait que l’édifice était un des grands témoins de la mémoire de la ville et qu’il fallait tout faire pour assurer son avenir. Deux ans plus tard, le projet de « réhabilitation » ne devient ni plus ni moins qu’un projet de démolition. Sauf que, pour se donner bonne conscience, la Maire nous fait le coup du « trophée », en ne conservant que le clocher et tout ça avec « moins de 3 millions d’euros » dit-elle fièrement. Ce budget suffirait amplement à réhabiliter l’édifice dans son ensemble. Lors des élections, il était aussi question d’organiser une concertation publique afin de présenter le projet et, le cas échéant, interroger les administrés afin qu’ils donnent leur avis sur les nouvelles fonctions de l’édifice. Il n’y a eu aucune concertation publique avant la décision du Conseil Municipal de démolir l’édifice. En revanche, il est question d’organiser une concertation après la démolition, ce qui ne présentera pas grand intérêt une fois le Sacré-Cœur en miettes. Se faire élire grâce au patrimoine et le détruire une fois élue nous semble tout de même curieux.
Nous pensons que dans cette triste histoire, la Maire ne connaît tout simplement pas le sens du mot « réhabilitation », qui figurait bien pourtant sur l’appel d’offre.
Comme je ne suis qu’une simple mortelle, j’ai demandé à un grand professionnel de l’architecture, sa définition du mot « réhabilitation ». Voici donc la réponse nette et précise de François Gruson, Architecte DPLG, Docteur en architecture et aménagement de l'espace, Professeur des Ecoles Nationales Supérieures d'Architecture : « Réhabiliter, au sens propre, c'est rendre à nouveau utile. On parle donc de réhabilitation d'un édifice au sens où on le rend à nouveau propre à son usage. »
Il est peu probable que cette pauvre église, une fois amputée de toute sa structure, puisse se rendre utile. Enfin, tous les espoirs sont encore permis, puisque le permis de démolir n’est pas encore signé, et que nous serons présents aux côtés du collectif de sauvegarde local afin de sauver l’édifice.
Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui, mais je reviendrai bientôt, avec cette fois quelques modestes idées, pour enrayer la vague de patrimonicides qui déferle sur nos clochers.
Alexandra Sobczak-Romanski
PS : Si quelques « y a qu’à, faut qu’on » se trouvent parmi nos lecteurs, je sais qu’ils ne m’en voudront pas et qu’ils se hâteront de donner leurs 10 euros d’adhésion à Urgences Patrimoine.