Vous avez été très nombreux à nous envoyer la vidéo (ici) de Monsieur Julien Cohen, célèbre marchand vedette de l’émission « Affaire Conclue » sur France 2.
Cette vidéo visible sur les réseaux sociaux est un appel à « coups de main » en direction des artisans et autres bénévoles habiles pour la restauration de la chapelle Notre-Dame-de-Pitié, à Nevers, édifice datant du XVIIe siècle : « Toutes les bonnes volontés sont les biens venues (sic), peintres, plâtriers, maçons, électriciens et plombiers ou juste bons bricoleurs vous êtes tous les bienvenus. »
Jusque-là, tout est louable et ce n’est pas nous qui irons contre un projet de sauvegarde du patrimoine et la seconde vie d’un édifice abandonné.
Le seul souci, c’est que cette chapelle n’est pas un bien appartenant à la collectivité et pour laquelle Monsieur Cohen mettrait sa notoriété au service du bien public. Non, cette chapelle est sa propriété, puisqu’il l’a achetée en juillet 2019.
Si le projet d’ouverture d’une boutique ou, plutôt, d’une salle d’expertises, permet de donner une nouvelle destination à un lieu délaissé est séduisant, ce qui l’est moins est la façon dont M. Cohen souhaite réaliser les travaux de restauration.
Aux dernières nouvelles, il n’est pas dans le besoin — loin de là — et il n’est pas non plus à la tête d’une association ou fondation reconnue d’intérêt général ou d’utilité publique (mais nous imaginons qu’il va le devenir sous peu) et, pourtant, il fait appel à la générosité publique pour éviter de payer la restauration de l’édifice.
Et là, soudainement, tout le monde veut apporter son « geste à l’édifice », parce qu’il s’agit d’une personne publique et que donner son temps pour Julien Cohen, c’est mieux que d’œuvrer pour la petite chapelle de sa commune qui tombe de toute part. Évidemment, nous ne pouvons pas empêcher les gens de se faire « exploiter » par un millionnaire, mais nous ne pouvions pas ne pas nous exprimer sur ce sujet.
Nous sommes d’autant plus légitimes à le faire, que l’opération « Un Geste à l’Édifice » d’Urgences Patrimoine, qui consiste à faire intervenir des artisans bénévolement dans le cadre du mécénat de compétences, a maintes fois été la cible de critiques cinglantes de la part d’artisans criant à la concurrence déloyale, alors que dans notre cas, les patrimoines restaurés gracieusement sont des biens appartenant à la collectivité et pour lesquels il n’existe aucun budget.
M. Julien Cohen surfe sur la vague du « Patrimoine Business » où l’intérêt financier passe bien avant l’intérêt pour le patrimoine.
Autre élément à souligner et pas des moindres, l’édifice est protégé, depuis 2006, au titre des Monuments Historiques. Il faut donc tout d’abord une étude préalable réalisée par un architecte du patrimoine. Puis, il faut que la DRAC donne son accord pour le lancement des travaux.
Nous imaginons fort mal les services de la culture accepter que « n’importe qui » vienne restaurer un patrimoine protégé, à moins bien entendu qu’ils n’aient eux aussi cédé à l’appel des sirènes de la notoriété télévisuelle, mais nous n’y croyons pas.
Et soulignons ici que, parce que la chapelle est inscrite, elle bénéficie, de fait et de droit, de subventions publiques.
Vous n’êtes pas convaincu par nos propos et vous pensez que cela pourrait venir d’une quelconque jalousie de David face à Goliath ?
Alors imaginez que vous ayez besoin de faire restaurer une résidence secondaire ou votre future boutique, pensez-vous que nombreux seraient les artisans qui viendraient travailler gratuitement chez vous ? Que penseraient les artisans auxquels vous avez demandé des devis et qui apprendraient que vous faites faire des travaux « à l’œil » par d’autres artisans en mal de reconnaissance ? Enfin, une fois votre bien restauré, imaginez que vous le vendiez avec une très jolie plus-value, que penseraient les artisans et tous les bénévoles qui sont intervenus gracieusement ?
Tout simplement que vous vous êtes enrichi sur leur dos.
Et bien là, en l’espèce, nous assistons exactement à cela. Un propriétaire, qui a les moyens de faire restaurer un monument historique à destination d’une activité commerciale, le fait restaurer sans débourser un centime de main-d’œuvre. En droit, je suppose que cela a un nom.
En revanche, Si M. Julien Cohen fait appel à la générosité publique pour sa chapelle, mais qu’en contrepartie il reverse l’équivalent du montant des travaux pour un édifice en péril de la ville, alors là oui, nous ne pourrions que saluer son geste et, effectivement, le présenter comme le nouvel ambassadeur de la sauvegarde du patrimoine et nous faire presque oublier Stéphane Bern.
Sauf que si M. Bern nous lance des messages désespérés pour la sauvegarde du patrimoine en péril et fait appel à la générosité publique comme il l’a fait pour Notre-Dame, ou à travers son loto, au moins lui ne s’est jamais servi de sa notoriété pour faire restaurer « gratis » son patrimoine personnel.
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Crédits photographiques : Le Journal du Centre et GOBEROT Daniel