Alors que la mobilisation contre le « saccage » du Muséum continue, Philippe Delerm nous a très gentiment adressé quelques lignes afin de soutenir notre combat. Nous sommes heureux de les faire partager aujourd’hui avec celles et ceux qui ne veulent pas voir disparaître ce lieu unique.
Nous le remercions très sincèrement pour son précieux soutien et surtout pour ses mots dont la justesse n’a d’égale que la vérité.
« Il y a longtemps déjà que j’ai écrit ce court roman qui s’intitule Sortilège au Muséum. J’avais envie simplement de mettre en scène un lieu qui me tient tout particulièrement à cœur. Nous sommes nombreux à avoir éprouvé la magie du Muséum d’histoire naturelle de Rouen, le pouvoir un peu fantastique de ses vitrines et de ses mises en scène. Un cocon d’imaginaire où il était doux et poétique de se lover, surtout quand la pluie tombe dehors et que le silence des salles traversées devient une amitié. Imaginer un adolescent dont toutes les sensations sont liées au musée parce qu’il y est né semblait une bonne position pour dire comment un lieu peut contenir tout ce qui fait le sel de la vie. Dans mon récit, le musée se met en colère quand on prétend l’améliorer en détruisant tout ce qui fait son charme. L’aspect prémonitoire de ce petit récit prend un singulier relief aujourd’hui, et d’avance une mélancolie, quand on est amené à jouer le rôle peu gratifiant de l’ancien contre le moderne. Mais c’est ainsi. On casse dans le musée que j’aime. On a le droit bien sûr, et même de justifier ce que l’on fait avec des théories nébuleuses où passe avant tout le désir de ressembler à d’autres projets similaires animés par le même orgueil de modernité. Je n’ai pas d’alternative philosophique à proposer. Simplement le droit à la tristesse.
Souvent Rouen s’est plu à figurer dans la galaxie de ces villes du nord de l’Europe où l’on préserve le mystère de l’ancien en le frottant au design du nouveau. Il serait si facile pour des architectes et des concepteurs de talent de préserver un patrimoine qui appartient aux générations futures et de lui adjoindre une création de notre temps. »
Philippe Delerm
Voici un court extrait du début de roman, Sorlitège au Muséum, publié en 2014. Sans le savoir, dans son ouvrage il annonçait avec 10 ans d’avance ce qu’il allait se passer aujourd’hui, à savoir, la destruction de ce lieu chargé d’histoire, auquel les Rouennais sont très attachés.
Nous ne savons pas si, demain, les « habitants » du muséum vont manifester leur mécontentement, mais une chose est certaine, nous serons leur porte-parole pour dire Non à ce projet insensé à près de 70 millions d’euros, qui de surcroît, a sans doute amplement participé à la défaite de « Rouen Capitale de la Culture 2028 ».
Extrait de Sortilège au Muséum :
– Je sais ce que tu penses. Pour toi, le musée, c’est ici. Moi aussi, j’aime bien ce côté Jules Verne, cette ambiance de vieille bibliothèque pour savant fou. Mais on commence à crever sérieusement de toute cette vieillerie. Quand mes collègues de Paris me demandent des nouvelles, j’ai l’impression qu’ils guettent les toiles d’araignée sur ma veste !
Je l’écoutais vaguement. Déjà, je sentais que le petit ronron de son monologue allait repartir vers ce grand projet d’un musée décentralisé, ouvert sur la région, avec ces fameuses « unités pédagogiques » qui devaient drainer un nouveau public. Toutes ces expressions ne me plaisaient guère. Comment monsieur Paul Fortier, directeur du Muséum d’histoire naturelle, pouvait-il évoquer avec une telle désinvolture cet univers que j’avais toujours cru sacré à ses yeux ? Le musée était-il si vieux ? Je ne m’étais jamais posé la question. J’étais né là, quinze ans auparavant, dans l’appartement de fonction du directeur, au troisième étage, juste au-dessus de la salle des oiseaux. Les escaliers en colimaçon, les animaux empaillés, les minéraux, les bocaux, les insectes épinglés, les vitrines, tout cela faisait partie de moi. J’avais risqué mes premiers pas sous le regard grenat des grands ducs, devant la carapace de la tortue éléphantine de l’île Maurice, la trompe du tamanoir… Je connaissais chaque lame de ces parquets immenses qui couraient sur les trois étages du musée. Plus tard, mes copains d’école avaient envié mes privilèges. Pouvoir arpenter seul ces longues salles mystérieuses, quand les derniers visiteurs s’en étaient allés, m’abandonnant le domaine !
Le père Dubois, le concierge, regagnait sa loge du rez-de-chaussée, d’où ne tardaient pas à monter comme une musique familière les éternelles disputes qui l’opposaient à sa femme.
Je montais le large escalier qui menait au premier étage, m’arrêtant devant les vitrines murales où étaient présentées les écorces d’arbres du monde entier. Violette éteinte. Teck du Tonkin. Palissandre odorant. Matapo. Gaïac. Irako. Esperille. Bois d’or. Avanduré. Amadouvier. Oncabala.
L’étiquette calligraphiée sous chaque écorce avait plus d’importance que le bois lui-même. Petites étiquettes biseautées, dont l’encre un peu passée, presque sépia, faisait penser à des sagesses d’autrefois, à la patience d’un secrétaire aux manches lustrées, appuyé sur le cuir sombre d’un sous-main galonné d’or, dans la lumière verte d’une lampe d’opaline inclinée vers lui.
Je me répétais ces mots étranges qui faisaient défiler en moi l’image des pluies chaudes, des hibiscus et des bougainvillées, l’image rougeâtre des pistes africaines, et celle, plus sombre et plus menaçante, des forêts amazoniennes, traversées de senteurs musquées, peuplées de présences inquiétantes.
Je n’avais pas besoin de retenir ces mots. Il me suffisait de passer tous les soirs devant ces noms fabuleux. C’était ma façon de lire, et ma façon de voyager.
Nous ne pouvons que vous inviter à lire cet ouvrage, que vous pourrez commander chez votre libraire préféré.
En attendant, le combat continue.
« Le patrimoine ne peut pas lutter, ensemble, nous pouvons »
N’oubliez pas de signer et de partager notre pétition si cela n’est pas déjà fait ICI: https://bit.ly/411cqMd