LE dossier du mois
Février 2020


Les maisons en fer françaises
Deux constructeurs éclairés


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Marc Braham 

Marc Braham est Ingénieur civil des constructions, diplômé de l’Université de Liège (B) en 1972. Au cours de sa carrière professionnelle en tant que responsable des méthodes de calcul des structures dans une entreprise américaine qui fabrique des bâtiments métalliques, il découvre l’existence de l’église en acier, Sainte-Barbe, à Crusnes en Lorraine ; il participe d’ailleurs activement à la réfection de ses toitures en 1987. Il découvre alors les maisons en acier de la ligne Maginot, qui sont dues aux constructeurs Fillod, Grames et Forges de Strasbourg. Il réalise que le phénomène, la construction de maisons en métal, n’est pas nouveau. Celui-ci a été amorcé au milieu du XIXe siècle et de nombreux constructeurs se sont alors lancés dans l’aventure, avec des succès divers. Marc Braham se passionne pour ce sujet et tente d’en retrouver les traces en France et en Belgique, particulièrement pour les maisons du XIXe. Plus récemment, alors en retraite, il rencontre Guillaume Carré et ils décident d’effectuer ensemble des recherches poussées à propos du constructeur parisien Duclos, qui a laissé sur le sol français plusieurs réalisations particulièrement intéressantes. 



INTRODUCTION : APPARITION DES MAISONS EN FER

Dans un ancien article [1], nous avions réalisé une première synthèse de cette thématique, mais de nombreuses nouvelles informations nous sont évidemment apparues depuis. Il a donc paru utile d’effectuer une mise à jour, très succincte cependant, et de pointer du doigt quelques réalisations dignes de l’attention du Patrimoine national.

Les maisons réalisées tout en fer (fig. 1) sont apparues au milieu du XIXe lorsque les divers éléments nécessaires à leur édification ont pu être manufacturés : il s’agit des éléments de l’ossature, ossature des murs et des planchers, faite de profilés laminés, ainsi que des éléments des parois constituant les murs et la toiture, faites de tôles, raidies soit par emboutissage soit par des ondulations (la bien connue tôle ondulée ! [2, 1829]). Le procédé de galvanisation à chaud des tôles par trempage a été mis au point à la même époque [3, 1837]. Ces deux inventions, la tôle ondulée et sa protection contre la corrosion par le procédé de galvanisation à chaud, ont réellement donné le coup d’envoi au phénomène de la maison en fer.

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Fig. 1: Maison en tôles ondulées, Australie. Robertson & Lister, Glasgow (ca 1853) (Photo Miles Lewis, Victoria, Australie, ca 2005)

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Fig 2: Montage d’une maison en fer Système Danly (B) constr. ca 1890 (Album des Forges d’Aiseau (B))

A côté de cela sont également apparues des maisons que l’on qualifiera plutôt de maisons métalliques et dont seulement un élément constitutif, l’ossature en général, était en fer ; dans ce cas les parois sont faites d’une matière différente, bois, briques, pierres, pisé, torchis ou autre. Les maisons à pans de fer font donc partie desdites maisons métalliques.

Mais cela ne suffisait pas. Il a fallu de bonnes raisons pour consacrer autant d’énergie à la mise au point de systèmes, de véritables meccanos (fig. 2), qui permettent l’édification d’une maison en fer. Il fallait en effet que ce soient des systèmes, car le fer ne se travaille pas, sur le chantier, aussi aisément que les autres matériaux. Les éléments constitutifs d’un système métallique étaient donc préfabriqués dans des ateliers, et ce même système permettait alors, par des assemblages simples, faciles à exécuter, un montage sur chantier non seulement sur mesure mais aussi adapté aux besoins et aux goûts du client.

Encore fallait-il que des opportunités existent, de bonnes raisons pour proposer des constructions en fer en lieu et place de constructions en ces matériaux dits traditionnels. Et là ce sont les divers événements en cours dans le monde au XIXe qui ont fourni le prétexte. Les grandes guerres de cette époque, mais aussi les colonisations et les expéditions de toutes sortes en pays inhospitalier ont nécessité le recours à des abris divers, et surtout temporaires, voire déplaçables : hôpitaux de campagne, ambulances, lazarets, mais aussi refuges, abris, maisons, puis magasins, gares, etc. et même écoles, casernes et églises. Tous ces bâtiments avaient déjà des solutions en bois, carton même, toiles, etc., mais le fer offrait de nombreux avantages : incombustibilité et imputrescibilité, mais aussi meilleure résistance aux démontages successifs sont parmi les plus significatifs. La vermine et les petits rongeurs indésirables ne pouvaient d’ailleurs pas les attaquer, et les fuyaient donc, du moins dans une certaine mesure.

Fig. 3 : L’église Santa Barbara, Santa Rosalia, Mexique.
Système Duclos, constr. 1895-96 (www.voyages-aventures.fr)

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Des raisons moins évidentes ont contribué à l’essor de la construction de tous ces édifices en fer, dans des contrées aussi éloignées. Par exemple les armateurs appréciaient ce type de marchandises, qui ainsi bénéficiaient de tarifs préférentiels, car une fois bien emballées dans des caisses compactes elles lestaient idéalement les calles des navires, contribuant ainsi à leur stabilité dans des courses toujours dangereuses autour du globe. On devrait encore mentionner, mais cela vaut surtout pour des édifices de grande hauteur, la grande ductilité du métal – capacité de celui-ci à se déformer sans rompre au-delà même de sa limite d’élasticité, et ainsi de dissiper beaucoup d’énergie – qui conférait aux constructions en fer une grande résistance aux séismes. Quelques églises, certaines de grande dimension, construites exclusivement en fer et fonte sont encore debout dans le monde et témoignent ainsi de cette particularité (fig. 3).

Fig. 4 : Le chalet de Colombes (Paris).
Système Duclos, constr. ca 1895 (photo de l’auteur, 2015)
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A la fin du XIXe on est, en Europe, au début de la Belle Époque. Quelques constructeurs éclairés vont profiter de cette atmosphère, cet esprit, pour tenter de distribuer en France métropolitaine des chalets, pavillons, refuges, et même maisons d’habitation en fer (fig. 4). Ils invoquent pour cela des avantages de ces constructions – principalement la démontabilité et la transportabilité – liés au mode de vie européen de la classe aisée, fait de voyages et de séjours plus ou moins longs dans des cités balnéaires ou de repos. De nombreux catalogues en témoignent. La maison immeuble peut donc devenir meuble. En matière de vente, il n’y a cependant pas de limite, et l’on propose donc aussi des casernes, des écoles et même des églises

LES PRÉCURSEURS FRANCAIS

Il est clair que ce sont les anglais qui ont été les précurseurs en matière de fabrication de maisons en fer, à destination de l’Australie principalement. Dès 1840 l’entreprise Morewood & Rogers [4] se posait en leader et exportait des constructions tout en fer, des maisons surtout, qui faisaient une large utilisation de la tôle ondulée. C’était l’époque du
portable colonial cottage.

La France a été lente à emboiter le pas à ces développements. Il y a eu de nombreuses tentatives, mais elles n’ont pas toujours été accueillies avec la faveur qu’elles méritaient. Quoiqu’il en soit, Antoine Romand fait probablement figure de proue. Assez curieusement c’est en Belgique qu’il a développé ses idées, de toute évidence parce qu’il ne trouvait pas chez lui une oreille bienveillante. En 1842 il expose ses vues [5] à la direction de la S.A. des Hauts Fourneaux de Couillet (B). Après des tractations difficiles avec le gouvernement français il obtient une commande pour une salle d’hôpital à reconstruire en Guadeloupe, au Camp Jacob de Basse-Terre [6]. Cette construction est réalisée par cette société belge de Couillet, et se termine en 1846 (fig. 5). Les murs et la toiture sont en tôle, la structure en fer forgé et fonte [6]. Elle restera cependant un exemple isolé, et disparaîtra au cours du XXe siècle.
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Fig. 5 : Salle d’hôpital pour le Camp Jacob, par A. Romand et les Ateliers de Couillet. Basse-Terre (Guadeloupe). (extrait de [6])

En 1842 cette même société de Couillet fabrique des maisons en fonte pour la ville de Hambourg en Allemagne, où il faut loger les nombreuses victimes de l’incendie du 5 au 8 mai [7]. En 1849, il s’agit d’une livraison, toujours par les Ateliers de Couillet, de maisons en fer pour la Californie dans le cadre des ruées vers l’or [8]. Il n’est pas démontré, mais il est très probable qu’A. Romand ait été mêlé à ces réalisations.

En 1854 Rabatel, manufacturier parisien oublié, obtenait un brevet pour l’application du fer notamment aux maisons incombustibles en fer, tôle et fonte zingués et plombés [9]. Aucune réalisation n’en est connue.
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Fig. 6 : Maisons en fer pour la Commission française au Mexique, décrites par A. Mongé (Extrait de [10])

Dès 1870, les ateliers de Armand Moisant (ceux-là même qui ont réalisé la chocolaterie Menier à Noisiel) réalisent notamment, à côté de nombreuses constructions telles que des ponts, des usines, des magasins, etc., des maisons à pans de fer pour les colonies [11, p.35], des maisons à étages pour la Guadeloupe, des casernements à ossature métallique à Saigon (1870), en Nouvelle-Calédonie, à la Guadeloupe, Madagascar, etc. [11, p. 53]. Ces derniers sont rapidement et facilement montés car ils ne demandent pas d’ouvriers spécialisés.

Dans un cours réservé à l’École d’application de l’Artillerie et du Génie, A. Landais [12, pp. I-V] mentionne l’existence de deux baraques, simplement dénommées baraque 1885 et baraque 1889, réservées au logement des troupes ou des officiers. Ce sont des constructions à ossature métallique, et les remplissages sont en maçonnerie. Aucune indication de leur provenance ni de leur fabricant.

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À partir de 1889 J. Durupt proposait divers systèmes [13, pp. 649-660] pour la construction de maisons en éléments préfabriqués. Ces systèmes ne sont pas décrits avec la meilleure précision, mais il est certain qu’une solution tout en fer existait. Dans ce cas la toiture est double, faite de deux peaux en tôle ondulée, l’intérieure est courbe, les murs sont doubles, tôle ondulée à l’extérieur, et la charpente est métallique (fig. 7). Aucune réalisation n’en est connue.

Fig. 7 : Chalet de plage système Durupt (ca 1890). (Extrait de [19])

Il en va de même – aucune réalisation connue – pour les systèmes tout métal Le Maire [13, pp. 660-664], malgré un certificat d’invention obtenu en 1892 [14], et Laillet, déjà breveté en 1882 [15], distribué par la Société Métallurgique d’Amiens qui apparaît en 1890 dans le Didot-Bottin, précisant « maisons entièrement métalliques, mobiles et incombustibles ».

Fig. 8 : Chalet démontable Espitallier à Morsang sur Orge.
(Carte postale P. Allorge, Montlhéry). Détruit ?

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Georges Espitallier (1849-1923) mérite certainement une mention, bien qu’il n’ait jamais pratiqué le tout en fer, mais plutôt les systèmes à ossature métallique avec remplissage en briques ou autres. Après un bref passage par des systèmes en bois ou même en carton compressé, il met au point, à partir de 1894, divers systèmes à ossature métallique. Ses objectifs, avec sa société, la Compagnie de Constructions Démontables et Hygiéniques, sont certainement les bâtiments à usage militaire d’abord, en France et aux colonies : Madagascar fut la destination d’un grand nombre de ses bâtiments [16]. En France les catalogues de la Compagnie attestent de la réalisation de nombreux chalets, pavillons, postes de gardes, etc. et de maisons d’habitation. On n’en a pas trouvé de description précise, ni de réalisation encore debout, mais l’ossature était probablement faite de tubes métalliques [17 ; et 12 pp. XXI-XXIV], ou de cornières et de fers à T, alors que le remplissage était variable, briques ou bois, et même parois en carton comprimé (fig. 8).

On pourrait encore citer une petite dizaine de producteurs ou d’inventeurs, mais, soit ils étaient d’envergure plus petite – ou bien leur œuvre est méconnue et non décrite –, soit ils ont concentré leurs efforts sur les baraquements de soins tels que les lazarets, les ambulances, les hôpitaux de campagne, militaires bien sûr, avec ce que cela sous-entend de non adéquat pour une habitation, c’est-à-dire une occupation prolongée. Tollet par exemple construisait dès 1885 des baraques hôpital qualifiées de tentes [18], dont l’ossature de forme ogivale était faite de petits éléments métalliques préfabriqués, couverte soit de toile soit de tôle ondulée [18 ; et 12 p. XI].

C’est dans ce contexte que sont apparus les deux constructeurs Bibiano Duclos (1853-1925) et Isidore de Schrijver (1845-1926). Fort heureusement plusieurs de leurs réalisations nous sont parvenues, certaines en assez bon état [30]. Les parcours de ces deux personnages sont cependant totalement différents, et les constructions qu’ils nous ont laissées semblent indiquer des préoccupations différentes aussi. Nous ferons ressortir ci-dessous quelques-unes de ces différences. Les deux systèmes, tout en fer, doivent être considérés comme démontables-transportables. Nous ne décrirons pas ici toutes les réalisations de ces systèmes mais nous prendrons deux exemples – un pour chaque système –, deux constructions qui devraient définitivement faire partie du Patrimoine, avec tous les soins que cela implique. Pour la production en général de ces constructeurs nous indiquons des ouvrages où trouver des informations utiles.

DEUX CONSTRUCTEURS ÉCLAIRÉS

La société B. Duclos et Cie de Courbevoie

La biographie et l’œuvre de B. Duclos sont décrites dans l’ouvrage
Les maisons en fer Duclos [20]. On se reportera aussi à cet ouvrage pour une liste complète des constructions qui lui sont attribuées. C’est en 1890 qu’il dépose un premier brevet pour « perfectionnements dans les constructions démontables et transportables » [21], complété en 1894 [22]. C’est un système tout en fer, dont les murs extérieurs sont à double paroi. La paroi extérieure est faite de plaques en fer embouties, qui sont attachées à une ossature métallique très légère faites de fers à T. La paroi intérieure pouvait être faite des mêmes plaques en fer, mais elle le fut rarement ; les frises de bois étaient souvent préférées. La toiture est en tôles ondulées.

Fig. 9 : La maison de Versailles, à Versailles Système Duclos (constr. ca 1895) (Photo de l’auteur, 1992.

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Les ateliers se trouvaient à Courbevoie et ils y furent actifs de 1890 à 1900 ; 10 ans à peine. Bien qu’aucune construction de ce système n’ait été retrouvée en dehors de la France métropolitaine (à l’exception d’une église au Mexique, fig. 3), rien ne permet de croire que B. Duclos entendait en limiter la diffusion. Il est probable que la production totale ait atteint le nombre de 200 réalisations. En France métropolitaine 23 ont été identifiées, parmi lesquelles 11 sont toujours présentes. Certaines sont en bon état, et même toujours habitées. D’autres ne font pas l’objet d’une attention suffisante. Nous prendrons pour exemple le garage des Bruyères de Oissel, en périphérie de Rouen

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Le garage des Bruyères à Oissel (Seine-Maritime)

Fig. 10 : Le Pavillon des Ingénieurs pour la construction du pont Alexandre III.

Les constructions du système Duclos étaient réputées démontables et transportables. Celle-ci en est un parfait exemple puisqu’elle a été déplacée 3 fois, montée donc 4 fois. L’histoire commence à la fin de l’année 1896. Ce bâtiment de deux niveaux habitables plus combles est monté en bordure de Seine, au Cours La Reine, pour y servir de Pavillon des Ingénieurs pour la construction du pont Alexandre III [23]. La construction est installée sur le quai inférieur, sur des pilotis en treillis (fig. 10). Les pilotis sont de véritables poteaux constitués de quatre cornières étrésillonnées ; il est probable qu’ils soient de fabrication Duclos. Une passerelle (non visible ici) permet l’accès, à partir du quai de Seine supérieur, à un balcon qui lui-même donne accès à la porte d’entrée située au premier niveau « habitable ». Un escalier permet l’accès à ce balcon depuis le quai inférieur.

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Une fois les travaux de construction du pont terminés le pavillon est démonté et transporté à Vincennes [24], pour servir de pavillon de l’administration de l’Exposition de 1900. Les pilotis ne sont pas utilisés, le pavillon est installé vraisemblablement sur un soubassement en maçonnerie.

Après l’exposition le bâtiment est acheté par un industriel du fer qui le fait reconstruire à Touffreville en Normandie [25]. Il est réinstallé sur ses pilotis, le niveau inférieur sert d’écurie. En 1936 il change de mains, il est démonté, puis remonté à Oissel, sa localisation actuelle, et y sert de garage (
fig. 11).

Fig. 11 : Le garage des Bruyères à Oissel. Façade arrière (est) (Photo G. Carré, 2010)

Fig. 12: Le garage des Bruyères à Oissel Le pignon sud (Photo G. Carré, 2010)
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Nouveau changement de propriétaire en 1949 ; il devient garage Citroën, et le reste jusqu’en 2007. Il est alors mis en vente et acquis en 2011 par son actuel propriétaire.

Il va sans dire que toutes ces tribulations ont été accompagnées de modifications, mais aussi de dégradations voire de destructions ou pertes. La toiture d’origine, en tôles ondulées, a été remplacée par des ardoises, ce qui est compréhensible. Des fenêtres et les portes ont été déplacées, avec parfois découpe de panneaux voire de profilés structurels. Un oriel, probablement installé à Vincennes et dans ce cas d’origine Duclos, a perdu sa couverture vitrée et a été déplacé. Un WC a été installé, suspendu à la façade est (façade arrière), bardé de tôles ondulées (
fig. 11). Un accès à la construction annexe en maçonnerie du côté nord a nécessité le percement du pignon, et occasionné la perte de plusieurs panneaux et d’éléments structurels.

Plusieurs plaques métalliques se trouvent dans un état avancé de dégradation due à la corrosion. Des trous sont visibles, ainsi que des réparations de fortune. D’autres éléments, des parties entières même des façades, sont aujourd’hui dans un état que l’on peut qualifier de très bon (
fig. 12). Divers éléments de décoration ont également été perdus. De nombreux changements, certains dommageables, ont été effectués à l’intérieur de l’édifice mais aucun relevé n’en a été réalisé à l’heure actuelle.

Malgré une inscription au titre des monuments historiques en 2012 rien ne semble être organisé pour la conservation, encore moins la restauration de la construction. Il s’agit pourtant d’un exemplaire unique des fabrications Duclos.

Fig. 13: Mur et coin d’une construction Danly (Extrait de [28])

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Les Ateliers de construction, forges et fonderies d’Hautmont de M. I. de Schryver

Les ateliers métallurgiques de M. de Schryver étaient situés à Hautmont dans le Nord, en activité déjà au milieu du XIXe. En 1890 ils changent de raison sociale, sans rien changer à leurs activités, et deviennent les Ateliers de construction, forges et fonderies d’Hautmont (Nord). Dès 1889 ces ateliers construisent sous licence [26] des maisons en fer selon le brevet français du Belge Joseph Danly des Forges d’Aiseau (B). Il est probable que certaines libertés aient été laissées aux ateliers d’Hautmont car ceux-ci y ont apporté quelques « améliorations » destinées peut-être à européaniser quelque peu des constructions essentiellement prévues pour les colonies.

Le système Danly, breveté en Belgique dès 1885 [27], n’a, pas plus que le système Duclos, d’ossature digne de ce nom (
fig. 2). Tout au plus un squelette léger (fig. 13) fait de petits profilés à T verticaux en fer dans les murs. Sur ces profilés sont attachés les panneaux métalliques emboutis. Les murs sont à double paroi métallique. Les Ateliers d’Hautmont ont cependant largement utilisé un système avec parois intérieure en bois ou en maçonnerie.

La toiture est réduite à sa plus simple expression, du moins pour les portées ne dépassant pas 6 mètres. L’ossature des toitures, des fermettes faites de petits profilés en fer, n’est même pas décrite dans les brevets. Elle peut d’ailleurs être absente lorsque la toiture peut être réalisée par une voute autoportante de panneaux courbés attachés entre eux. La plupart des constructions Danly, de dimensions plus importantes, ont cependant nécessité une réelle ossature en toiture, et même dans les murs. Les Forges d’Aiseau ont construit plusieurs maisons en Belgique et exporté des dizaines de bâtiments de toute sorte dans le monde, notamment vers l’État Indépendant du Congo. Ses activités ont cessé en 1906.

En France, les Forges d’Hautmont ont construit plusieurs maisons et probablement exporté aussi quelques constructions vers les colonies, françaises ou autres : au moins deux constructions ont été identifiées à Madagascar. Il en existe d’autres mais évidemment, à l’exception de celles qui ont été exportées vers l’État indépendant du Congo, possession belge, il n’est pas évident de les attribuer aux Forges d’Hautmont plutôt qu’aux Forges d’Aiseau de Belgique. Il n’existe de toute façon pas de liste exhaustive de ces constructions d’outre-mer.
Fig. 14 : La villa de Morgat, système Danly (Photo de l’auteur)
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En France métropolitaine on cite généralement, à côté de la villa de Poissy décrite ci-dessous, la villa Ker-ar-Bruck de Morgat (fig. 14), l’élégante villa Hamlet d’Arcachon, et une maison assez simple à Jarville en Moselle [1]. Il est certain qu’il y en a eu d’autres, disparues pour la plupart, que l’on (re)découvre petit à petit : une maison à Puteaux, un poste de sauvetage à Puteaux, un bureau d’usine à Port-Brillet, mais aussi deux églises, hélas détruites depuis longtemps. L’une d’elles – la chapelle Saint-Jean-Baptiste de Bagnoles de l’Orne (fig. 15) –, fut soigneusement démontée en 1933 pour être remplacée par une plus grande, pas en fer, et ses restes ont été réutilisés par quelques autochtones pour construire qui une petite remise, qui un grand hangar agricole aux fenêtres ogivales … et contreforts (fig. 16) ! On peut vraiment regretter la disparition de ces deux églises, uniques en leur genre.

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Fig. 15 et 16 : L’église (“chapelle”) Saint-Jean-Baptiste à Bagnoles-de-l’Orne, et le hangar agricole construit avec ses éléments. (Carte postale et photo, collections de l’auteur)

Fig. 17 : La villa de Poissy ca 1960 (Photo Mireille Mankarian)

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La villa de Poissy (Yvelines) et sa reconstruction programmée

Plusieurs écrits prétendent que la villa de Poissy (
fig. 17) a été réalisée avec les éléments du « Théâtre des Folies parisiennes », indubitablement du même système, le système Danly, et produit par les Forges d’Hautmont, qui se trouvait dans l’enceinte de l’exposition de 1889. La date de la construction de la villa, 1896, permet d’écarter cette affirmation.

La Villa de Poissy, parfois appelée Villa Eiffel, abusivement bien sûr, fut donc construite en 1896 par les Forges d’Hautmont, pour Georges F. de Coninck (1848-1934) et son épouse Isabelle S. Winslow (1857-1945). La nièce du couple, Anne Mary Renée de Coninck, y a ensuite habité avec son mari Raymond Lerch, jusqu’au milieu des années 1940. La maison est ensuite acquise par les époux Croisier, puis louée à des personnes qui travaillaient à la société d’élevage de chiens de La Coudraie. En 1960 elle est achetée par Giancarlo Baroni, antiquaire italien, et son épouse Jennifer Yates. Ensuite, la villa de Poissy a probablement été habitée jusqu’en 1980, avant d’être mise en vente, sans succès, abandonnée, squattée, et saccagée. La maison et le terrain sur lequel elle se trouve furent ensuite rachetés par expropriation par l’État en février 1981, dans le cadre de la construction de l’autoroute A14. Elle est alors laissée à l’abandon, incendiée déjà en 1981, puis soufflée par la tempête de décembre 1999, et réduite ensuite dans les années suivantes à l’état d’un amas de ferrailles, en partie chapardées par des voisins, sinon recouvertes d’une végétation envahissante (fig. 18 et 19).

La maison avait pourtant été inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1975. Une procédure de radiation a été lancée en 2001, renouvelée en 2006, mais celle-ci n’a heureusement jamais abouti.

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Fig. 18 : La villa de Poissy en 1990 (Photo de l’auteur)

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Fig. 19 : La villa de Poissy en 2014 (Photo de l’auteur)

C'est en 2016 que la municipalité de Poissy a obtenu de l’État – propriétaire du terrain et de la maison depuis 1981 – la cession des vestiges de la maison. Elle s’est engagée depuis dans un projet de reconstruction à l’identique dans le parc Meissonier tout proche – avec l’aide de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile-de-France –, et a procédé à son complet démontage en 2017, accompagné d’un relevé scrupuleux de sa constitution (description de l’ossature, relevé précis de la distribution des panneaux métalliques des façades, etc.). La municipalité projette de valoriser sa reconstruction et d’en faire un centre d’interprétation de l’architecture, un espace culturel dédié à l’architecture métallique et au Patrimoine naturel.

Un bilan sanitaire des éléments de l’ossature de la maison ainsi que des tôles des diverses façades a été réalisé et fait l’objet d’un rapport daté de mai 2017 [29]. On y découvre que les éléments de l’ossature ne pourront pas être réutilisés : ceux qui ont été retrouvés du moins sont trop déformés, et fortement corrodés. Tous seront donc fabriqués à neuf. Quant aux panneaux métalliques des façades (les parois intérieures sont faites de maçonnerie, et non de panneaux de fer), 28% sont réutilisables en l’état (144 panneaux), 12% sont à réparer (65 panneaux), et les 60% restants devront être fabriqués à neuf (316 panneaux). Il y avait dans cette maison 14 panneaux différant soit par leur taille, soit leur géométrie.
Fig. 20 : La villa de Poissy ca 1900 La famille de Coninck (collection de l’auteur)
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La villa de la Maladrerie de Poissy (elle a aussi porté ce nom, dû à la proximité d’une ancienne maladrerie) sera donc reconstruite, et c’est une excellente chose. De plus son environnement dans le parc Meissonier, en sa partie haute, sera très semblable à celui qu’elle avait au départ, très arboré et dégagé, et elle bénéficiera d’une large vue sur la vallée de la Seine. On ne peut que se réjouir de toutes ces dispositions et l’on attend avec impatience la possibilité de visiter une des plus belles réalisations des Ateliers et Forges d’Hautmont en matière de maison d’habitation en fer. On regrettera qu’elle ne soit plus habitée par ses premiers propriétaires (fig. 20).


NOTES


[1] Braham ,M. « Les Maisons métalliques centenaires françaises ». Revue Construction Métallique. Publication du CTICM, Paris, No 4, 1991, pp. 3-23. Tiré à part de l’OTUA, 1991.
[2] Palmer, H.R. « Brevet d’invention délivré à H.R.Palmer pour "Application of Corrugated Metallic Plates to Building purposes" ». British patent 5786, A.D. 1829.
[3] Sorel, S.. « Certificat de demande d’un brevet d’invention délivré à S. Sorel le 10 mai 1837 par le ministère du Commmerce et des Travaux publics, sous le No 10842, pour "Un moyen simple et nouveau de préserver le fer et l’acier de l’action de la rouille" ».
[4] Herbert, G.
Pioneers of prefabrication. The British contribution in the Nineteenth Century. John Hopkins University Press, Baltimore & London, 1978.
[5] Romand, A. « Notes sur les constructions en fer. À MM. les membres du Conseil d’administration de la Société anonyme des Hauts-fourneaux et Usines de Marcinelle et Couillet. Couillet près Charleroy » (B), 15 février 1842.
[6] Romand, A. « Notes sur un hôpital en fer, construit au Camp Jacob ».
Revue Générale de l’Architecture et des Travaux publics. Éd. C. Daly, Paris. Vol. 7, année 1847 ; col.108-123 et planche 4.
[7] Le Cabinet de lecture et le cercle réunis. Gazette des familles. No 32, 13e année, 10 juin 1842, p. 600.
[8]
Journal d’Architecture et des Arts relatifs à la Construction. Bruxelles. Année 1849, pages 116, 132 et 163. Diverses entions des maisons en fer des Ateliers de Couillet, maisons pour la Californie.
[9] Rabatel, M. « Brevet d’invention délivré à M. Rabatel, manufacturier, 84 rue du Faubourg-Saint- Honoré, Paris, le 16 août 1854, par le ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics. Sous le No 20670, pour "Perfectionnements et applications du fer zingué et plombé, notamment aux toitures sans charpente et aux maisons incombustibles en fer, tôle et fonte zingués et plombés" ».
[10] Mongé, A. L. A.
Colonies – Maisons en fer pour la Commission française au Mexique. Nouveau cours pratique et économique sur les constructions en fer. Chez l’auteur, Saint-Denis près Paris, 1861. Pp. 15-17 et planche 4.
[11] Turgan, J.
Constructions métalliques et Entreprises générales A. Moisant, Laurent, Savey et Cie. Les Grandes Usines de Turgan. Édition nouvelle revue et collationnée par J. Pichot et P. Grangier. Éd. Librairie classique et d’éducation, Paris. 1888 ou 1889 ?
[12] Landais ,A.
Cours de construction de l’École d’application de l’artillerie et du génie. Constructions coloniales. Édité par l’École, 1909.
[13] Oslet, G.
Maisons démontables, système Durupt, Ingénieur1, et Constructions en acier, système Le Maire, Ingénieur-Architecte2. Traité de serrurerie, quincaillerie et petite charpenterie en fer. Éd. Fanchon et Artus, Paris 1898 : 1pp. 649-660, et 2pp. 660-664.
[14] Le Maire. « Certificat d’invention délivré à M. Le Maire, représenté par M. Chassevent, 11 Bd. Magenta à Paris, le 7 mai 1892, sous le No 221462 pour des "Nouveaux moyens de construction de bâtiments fixes ou démontables" ».
[15] Laillet E. « Certificat d’invention délivré à M. Laillet de Amiens, le 7 septembre 1882, No 151012, pour une "Nouvelle charpente en fer se posant sur maçonnerie ou sur colonnes en fer à T double ou en fonte, et couverture en tôle ondulée, galvanisée ou noire, s’adaptant à crochets nouveau système, châssis fixes ou ouvrants, à recouvrement ondulé, se fixant dans les tôles avec les mêmes crochets ; le tout dit : Système E. Laillet" ».
[16] Divers articles des revues suivantes :
Revue du Génie militaire, La Science illustrée, La Science française, 1895 à 1900, dont « Constructions démontables ou légères », par G. Espitallier, Revue du Génie militaire, 1898, deuxième semestre, pp. 31-44, 127-140, et « Notes sur les constructions provisoires élevées à Tamatave … » par E. Cambier, Id. pp. 141-148.
[17] Barberot, Griveaud, etc. ;
Supplément au Traité de Serrurerie et Construction en Fer. Ouvrage collectif. Troisième édition (ca 1900). Éd. H. Vial à Dourdan. Pp. 112-114 et planches 63 et 64.
[18] Kinda, Fares.
L’Industrialisation du logement en France (1885-1970) : De la construction légère et démontable à la construction lourde et architecturale. Architecture, aménagement de l’espace. Conservatoire national des arts et métiers – CNAM, 2012.
[19]
Le Génie Civil. 21 mars 1891, p. 345. ; « Les maisons démontables ».
[20] Braham, M. et Carré G.
Les Maisons en Fer Duclos, une Expérience première ? Éd. Michel Frères, Virton (B). ISBN 978-2-930810-065. Septembre 2017 (www.les-maisons-en-fer-duclos.com).
[21] Duclos, B. « Certificat d’invention délivré à Duclos Bibiano le 20 mai 1890 par le ministère du Commerce, de l’Industrie et des Colonies, sous le No 203878, pour des "Perfectionnements dans les Constructions Démontables et Transportables" ».
[22] Duclos, B. « Certificat d’addition au brevet d’invention No 203878, délivré à Duclos Bibiano le 21 février 1894 par le ministère du Commerce, de l’Industrie et des Colonies. »
[23]
Le Gaulois. Journal du matin. Paris, 11 avril 1897, p. 5. « Le premier Œuf de Pâques du Gaulois : la maison démontable ».
[24] Picard, A. « Pavillons et ouvrages divers de l’annexe du Bois de Vincennes ». Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes. Exposition Universelle Internationale de 1900. Rapport général administratif et technique. Paris, Imprimerie nationale, 1903. Tome troisième, chapitre XXI, pp. 186-187.
[25] Pous, E. « Une maison voyageuse ; l’étonnante histoire d’une maison de fer qui fut autrefois à Touffreville. Bulletin municipal de Touffreville, 1997-1998.
[26] Laur, F.
Ateliers de Construction, Forges et Fonderies d’Hautmont (Nord). Mines et Usines en 1889. Étude complète sur l’Exposition Universelle de 1889. Chez l’auteur F. Laur, Paris, 1890.
[27] Danly, J. « Brevet délivré à M. J. Danly le 15 juillet 1885 par le ministère de l’Agriculture, de l’industrie et des Travaux publics, Bruxelles, pour "La construction de bâtiments en tôles embouties" ».
[28]
Nouvelles Annales de la Construction. 4e série, tome V, septembre 1888. « Constructions en tôle d’acier emboutie et galvanisée. Système Danly », par Cadiat E. Ingénieur des Arts et Manufactures.
[29] POISSY. Mairie de Poissy, Service des projets culturels. « La maison de fer, bilan sanitaire ». Mai 2017.
[30] Braham, M.
www.maisons-metalliques-francaises.org. Depuis 2015.