Apprendre et comprendre
Juin 2020


Notre-Dame et les cathédrales incendiées
Olivier Poisson


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Olivier Poisson (né en 1951), architecte, historien de l’art, a effectué toute sa carrière au Ministère de la Culture, de 1980 à 2018. D’abord architecte des Bâtiments de France, il devient rapidement inspecteur des Monuments historiques à la DRAC de Montpellier, jusqu’en 1996. Inspecteur général des Monuments historiques, il est chargé à partir de cette date, simultanément ou successivement, de nombreuses régions françaises, de métropole comme d’Outre-mer, ainsi que des biens culturels français à Rome. La fonction d’inspecteur général est d’apporter avis, appui et conseils auprès des services du Patrimoine pour des dossiers de protection, de conservation ou de travaux, aussi bien en ce qui concerne les immeubles que les objets, protégés ou à protéger. En outre, il a été chargé, à partir de 1999, du suivi des dossiers français du Patrimoine mondial de l’UNESCO et, à ce titre, a accompagné un certain nombre de candidatures françaises. Historien de l’architecture, des restaurations et des idées patrimoniales, Olivier Poisson est l’auteur de nombreux ouvrages et articles dans ces domaines qu’il a enseigné à plusieurs reprises dans des universités françaises ou étrangères. Il est toujours chargé de cours à l’École de Chaillot.

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Notre-Dame de Paris est partie en fumée le 15 avril 2019. La charpente, la toiture, la flèche, tout a disparu en quelques heures dans l’émotion et la tristesse du monde entier. Cette catastrophe scandaleuse, car dans notre société développée, technicienne, suréquipée, qui produit toujours plus de règles, de normes, de contrôles, d’assurances, etc. C’est une catastrophe qui n’aurait jamais dû se produire, que l’on aurait dû prévenir ou pouvoir arrêter à temps. Elle nous a ramené bien longtemps en arrière, car, depuis la nuit des temps, le feu a été ce que l’on a craint le plus pour les villes et pour les grands monuments.

Il y a toute une histoire des incendies, répétitifs, épouvantables, que nous avons peut-être trop oubliée. Beaucoup de nos grandes cathédrales sont, d’ailleurs, d’une certaine façon, nées d’incendies, incendies des édifices précédents, occasion d’une reconstruction, d’une renaissance.

Ces incendies menacent toujours et, pour les périodes les plus récentes, en France, les cathédrales ont brûlé, déjà et plusieurs fois : depuis le début du XIXe siècle on peut noter six grands incendies, qui ont concerné cinq cathédrales, dont trois cathédrales majeures du paysage français : Chartres, Reims, Rouen.

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Rouen a été frappée en 1822, et y a perdu sa flèche du XVIe siècle et les toitures du chœur et du transept.

Chartres, en 1836, a perdu toute sa charpente et sa couverture, mais a sauvé ses vitraux.

Metz, en 1877, perd aussi complètement sa toiture, à cause d’un feu d’artifice ! Reims, martyrisée jour après jour par les bombardements d’artillerie de la Grande Guerre, brûle entièrement, avec sa flèche, dès septembre 1914.

Rouen est de nouveau durement touchée, en 1944.

Enfin Nantes, en 1972, est aussi incendiée et perd sa couverture, à l’occasion de travaux.

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L’incendie de Notre-Dame pose le problème de sa restauration, de la façon dont il est possible de la faire, des formes et matériaux à employer.

Dès le lendemain de la catastrophe, on a vu arriver des quatre coins du monde, les propositions les plus diverses, parfois les plus invraisemblables, comme si le toit de la cathédrale parisienne devenait tout d’un coup le terrain d’exercice à la mode pour des architectes ou des designers, ignorant peut-être la vocation et l’usage de l’édifice, comme sa signification profonde dans le paysage parisien, français et européen.

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Restaurer une cathédrale incendiée, c’est pourtant un problème auquel, même récemment, la France s’est trouvée confrontée.

En examinant les restaurations de cathédrales incendiées du XIXe et du XXe siècle, on trouve plutôt la même réponse : restaurer la forme et la silhouette de l’édifice, de la façon la plus significative, ou la plus exacte possible, car ce sont des pertes qu’il est impossible à la société de s’accommoder.

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C’est un peu la même histoire que celle du campanile de Saint-Marc de Venise, effondré en 1902, et remonté « comme il était, là où il était » de 1903 à 1912.

Certes, pour les cathédrales, les réponses ont varié, avec le temps. En 1822 ou en 1836, la notion de patrimoine n’existe pour ainsi dire pas encore : il s’agit de redonner aux cathédrales leur dignité en tant que grands édifices religieux, à une époque où, depuis la Révolution et l’Empire, la religion est quasiment une administration de l’État.

Pourtant la silhouette des édifices est soigneusement prise en compte, tant ces édifices, par leur taille, ont un symbolisme qui s’étend au-delà de leur strict usage. La peur du retour du feu incitera à des ouvrages moins combustibles comme la flèche de Rouen (en fonte) ou le comble de Chartres, en fer, une des toutes premières charpentes métalliques importantes de France.

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A Reims, la restauration de la cathédrale tant meurtrie par la guerre, qui dure à peu près vingt ans, entre 1918 et 1938, mettra un soin particulier à restaurer la toiture exactement comme elle était auparavant, avec sa silhouette caractéristique, sa flèche (posée sur l’abside), restituant même, sur son faîtage, la crête en plomb de fleurs de lys que la Révolution avait fait disparaître.

C’est aussi le parti qui sera pris à Rouen (tour Saint-Romain) et à Nantes, après 1972. Ces travaux sont des exemples précieux, qui montrent combien la silhouette des cathédrales appartient au paysage français, combien elle le ponctue et lui rappelle sa mémoire. On voit quels efforts on a fait pour la conserver ou la rétablir, c’est sans doute une leçon pour les projets qui viendront.

On pourra trouver le texte complet de l’étude de ces « cathédrales incendiées » sur le site de l’association des Scientifiques pour Notre-Dame, qui rassemble des contributions et des documents destinés à éclairer la connaissance de la cathédrale meurtrie et de contribuer à sa restauration. Cliquez ICI.


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Crédits photographiques :
Photo 1 :
L’Express
Photo 2 à 7 : archives Olivier Poisson