LE dossier du mois
Janvier 2020


Le patrimoine routier


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Patrick Rollet

Ce qui intéresse Patrick Rollet dans l'histoire de la signalisation et, au-delà, dans celle des routes, est avant tout le travail des hommes qui y ont pris part. Il espère que cet attachement à la condition humaine transparaît quelque peu dans les différents articles qu’il a pu écrire. Et ce n'est pas parce qu'on est en retraite que l'on se dépassionne, bien au contraire.

Ayant exercé en début de carrière la profession de facteur (aujourd’hui ce métier tel que défini dans l'imagerie populaire n'existe plus, on parle de distributeur) la jointure entre la route et la signalétique était logique. La défense des conditions de travail et donc l'intérêt portée à leur évolution s'est exercée pour sa part dans le cadre de ses responsabilités syndicales.

Borne militaire. Auvergne-Rhône-Alpes; Ardèche (07)
Cruas: Place de l'église. Base Mérimée: PA00116699

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L'histoire de la signalétique routière en France est indissociable de celle du réseau routier. Et le développement de ce réseau est lui-même directement lié aux moyens de locomotion prédominants selon les époques.

Ainsi, quand Philippe de Beaumanoir, en 1283, qualifie pour la première fois dans ses
Coutumes du Beauvaisis les chemins ayant 64 pieds de large de Royaux, il fait référence aux voies romaines empruntées par les armées romaines, équipées de chariots dépourvus d'avant-trains les empêchant de pivoter, ce qui rendait nécessaire l'élargissement des courbes. Et c'est encore pour des raisons militaires que Charles VIII entreprend de rénover le réseau routier du Dauphiné et de la Provence, rendant ainsi la route de l'Italie accessible. Il faudra attendre le règne d'Henri II pour que la route de Paris à Orléans soit pavée, que celle-ci se voit bordée d'ormes (1552), non pas pour ombrager la chaussée, mais pour mieux récolter ce bois utilisé pour l'affût des canons.

Seuls ces grands axes constituaient alors le réseau routier du pays. Certes, il y avait des voies de campagne que l'on qualifiera plus tard de rurales, mais à quoi bon les entretenir puisque, empruntées par des piétons, chevaux ou bœufs, il n'était de passage difficile ou obstrué qui ne soit contournable, quitte à effectuer un léger détour. C'est ainsi que les tracés au fil des décennies furent modifiés et quand
La Guide des Chemins de France fut imprimé en 1552 par Charles Estienne, il dut recueillir les témoignages des marchands ambulants, des pèlerins, des messagers, les seuls pouvant à l'instant T signifier que tel pont était détruit, que telle voie était inachevée ou que telle forêt était soumise à un droit de passage, celui des brigands. Évidemment, nulle signalétique pour orienter le voyageur en dehors des voies dites royales.

Au XVIe siècle apparaissent les lignes de la Poste à cheval. Elles sont pourvues de poteaux indicateurs dont la finalité est de calculer les coûts de transport (il s'agit d'une mesure postale, équation spécifique entre temps et distance ne pouvant renseigner le voyageur lambda).

L'un des vestiges routiers subsistant de cette période pré-révolutionnaire, en dehors de certains mâts en forêt, est la borne milliaire que l'on peut voir sur le tracé des voies romaines. Un certain nombre d'entre elles sont protégées par les monuments historiques.

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Borne royale à Nanteuil-le-Haudouin.
La fleur de lys fut burinée sous la Révolution
© Pierre Chaix


Les premières instructions sur le bornage des routes sont dues à Trudaine en 1744. Elles concernent les routes royales et donnent lieu au jalonnement avec des bornes (rondes ou pyramidales) érigées toutes les mille toises. Aussi prennent-elles elles le nom de milliaires, ou bornes royales. Sont sculptées dessus la fleur de lys, emblème de la royauté, laquelle sera remplacée à la révolution par un bonnet phrygien (bonnet de la Liberté), l'Empire y substituant un aigle en relief. A chaque fois, il fallut recreuser, refaçonner et sculpter de nouveau et, sur beaucoup de bornes, on s'est donc contenté de buriner l’emblème sans le remplacer.

Posées sur le côté gauche de la route dans le sens Paris / Province, elles indiquent en milliers de toises la distance à partir du parvis de Notre-Dame. Le 10 octobre 1924, le conseil municipal de Paris implanta sur ce parvis un pavé de bronze marquant symboliquement l'origine des routes de France. A la vérité, le point de départ des 11 routes concernées est, selon l'ordonnance de police du 2 août 1774, sur la section formée par la ligne capitale de l'église métropolitaine, sur la ligne prolongée du milieu de Pont Notre-Dame au milieu du Petit Pont (!). Aucune borne n'a jamais été posée à cet emplacement.

Les routes Royales qui convergeant vers Paris sont donc au nombre de onze. De 1730 à 1745, le contrôleur général Orry entreprend le développement du réseau routier royal, architecturé à partir des grandes villes. Enfin, la loi du 10 fructidor an V (10 septembre 1797) regroupe ces routes en 3 classes ; on ne tient plus compte de la largeur de la route, mais de sa direction.

La réforme napoléonienne de 1811 classifie 229 routes impériales toujours réparties en 3 classes : la première classe pour les routes venant de Paris, la seconde entre les grandes villes, leur financement étant dévolu à l'État. Les routes considérées comme commerciales forment la troisième classe, financées conjointement par les départements et le Trésor. Les routes intra-départementales sont du ressort des Conseils Généraux ; on peut dire qu'elles forment une quatrième classe (en 1815 la France étant rétablie dans ses frontières de 1792, le nombre de routes, redevenue royales, est réduit et renuméroté à partir de 1824).

Pour autant, d'énormes problèmes de financement de l'entretien du réseau continuent à se poser. Il faudra attendre la loi de Thiers-Montalivet en 1836 pour que les chemins vicinaux voient le jour. Outre les Chemins de Grande Communications, qui existent déjà, est créée une catégorie d'une importance capitale pour le développement du réseau routier français : le Chemin d'Intérêt Collectif qui deviendra en 1847 Chemin d'Intérêt Commun. Ce type de voies relie entre elles plusieurs communes et ils sont empruntés quotidiennement par les habitants, mettant un terme à cette image d'une campagne statique et immobile. Oui les habitants de la campagne se déplacent pour autant qu'ils puissent le faire en toute sécurité. D'autre part, cette loi crée le Service Vicinal, ancré au niveau des départements, puis des cantons, avec à sa tête des Agents Voyers connaissant le terrain et dépendants des Conseils Généraux, chargés de la surveillance, de la direction, de l'extension de la voirie. Nous avons donc un service structuré dédié aux routes et financé.

LES PLAQUES DIRECTIONNELLES, DITES DE COCHER

C'est en 1833, puis en 1835, que Alexis Legrand, Conseiller d’État chargé de l’Administration des Ponts et Chaussée et des Mines, envoie aux préfets une circulaire leur demandant de mettre en place des tableaux et poteaux indicateurs à l'intersection des routes (nationales et départementales) et à la sortie des bourgs.

Lorsque les intersections des routes Royales et / ou Départementales seront en dehors des lieux habités, on y placera des poteaux indicateurs. Lorsque les intersections se situeront dans les lieux habités, les tableaux indicateurs se substitueront aux poteaux. Les matériaux utilisés seront pour les poteaux : le bois, la pierre ou la fonte. Les tableaux seront peints sur les murs ou bien constitués d’un enduit de mortier. Dans tous les cas, la couleur choisie sera le fond bleu de ciel foncé, les lettres en blanc. 

Les premières plaques en fonte de fer (principalement) avec lettres en relief coulées d'un seul jet apparaissent vers 1845. C'est à cette époque que les fonderies vont entrer en piste et le nombre de plaques et poteaux indicateurs mis en place au bord des routes (dites aujourd'hui plaques de cocher) sera considérable. Chaque département passera commande de plusieurs centaines de ces réalisations, ces commandes s'étalant, compte tenu du développement du réseau routier, sur près d'un siècle.

Le premier département ayant posé les premières plaques en fonte de ce type semble bien être la Haute-Vienne. En 1844 le Conseil Général de Limoges passe commande auprès d'une fonderie parisienne de plaques avec caractères en relief au prix unitaire de 10 frcs. La fonderie en question est la fonderie Bouilliant, laquelle déposa un brevet en bonne et due forme devant la préfecture de la Seine, le 8 août 1846. Les Routes Nationales et Départementales furent donc pourvues de ce type de plaques et mâts sur l'ensemble du territoire. Dans le même temps le réseau routier français depuis l'instauration des Services vicinaux se développe comme jamais.

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©Patrick Lieugaut

Le 19 août 1859, une circulaire du duc de Padoue, alors Ministre Secrétaire d'État au département de l'Intérieur, invite les Préfets à soumettre aux Conseils généraux des propositions afin d'étendre la mise en place des tableaux ou poteaux indicateurs sur les chemins vicinaux.

Cette mesure, sans autre précision ni consigne de normalisation, va entraîner une disparité des signalétiques entre départements, et même au sein des départements. En outre les fonderies auxquelles les Conseils Généraux feront appel vont se multiplier, dans bien des cas, les fonderies locales remporteront des marchés au détriment de la fonderie Bouilliant dont le monopole s'éteint en 1861 de toute façon.


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Ce mât bi-plaques sur le Chemin de Grande Communication N°51, sur la commune de Sarzay dans l'Indre, était sur la route empruntée par Georges Sand quand elle se rendait de Nohant à La Châtre. ©René Sittler


On ne va pas aujourd'hui se plaindre de ce manque d'uniformisation. La grande diversité des réalisations suscite de l'intérêt et de la curiosité. En outre, le contenu des plaques est révélateur de l'intérêt que l'on portait à tel ou tel lieu, une importance pouvant évoluer au fil des années. Cet intérêt apparaît encore davantage sur les plaques qui sont posées sur les Chemins d'Intérêt Commun ou de Grande Communication. Nous avons des fléchages vers des lieux qui aujourd'hui sont oubliés, lesquels pourtant en cette seconde moitié du XIXe siècle étaient des lieux de convergence pour la population, sociale — chef-lieux de canton par exemple — ou commerciale — foires ou marchés.

Mais il n'y avait pas uniquement que des plaques directionnelles en fonte sur les routes de France. Le 21 septembre 1866, la société Girard et Col de Clermont-Ferrand dépose un brevet : Inscriptions sur zinc laminé monté sur fer galvanisé. Le procédé de fabrication sera peaufiné en 1870 par un second brevet : l'emploi du zinc blanc mat dans la fabrication des inscriptions permettra à cette société de se positionner en concurrence directe avec les fonderies. Fleuriront donc dans un grand nombre de départements, simultanément, des plaque et mâts en fonte et en zinc laminé.

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Extrait du catalogue Girad & Col de Clermont-Ferrand, Etiquetage et signalisation des villes-départements (Tarif 63)

On serait incomplet sur ces plaques et poteaux directionnels si on ne parlait pas des autres matières utilisées en fonction des productions locales. Dans le Puy-de-Dôme, par exemple, nous trouvons des plaques en lave émaillée de Volvic. Nous savons que les plaques de rues parisiennes en lave émaillée datent de 1828 — Entreprise Hachette. Mais il faudra attendre la création de la Compagnie des Laves de Volvic à St Martin-de-Riom en 1885 pour voir fleurir des plaques directionnelles de ce type.

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©Jean-François Lobreau

Descendons dans les Bouches-du-Rhône. Nous trouvons dans ce département des plaques en grès gravées. Celle de Peyrolles (en Provence) a ceci de particulier que la mention Royale (ou Impériale) qui y était inscrite fut burinée en 1878 : un des membres du Conseil Général s'offusqua que cette classification ne soit pas en harmonie avec les institutions républicaines.

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©Jean-François Lobreau

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En Gironde nous trouvons des plaques en terre cuite émaillée. Au nombre de 1500, implantées en 1877, elles ne sont pas très grandes (0,30 X 0,22 cms) et indiquent la classification du chemin sur lequel elles se trouvent. C'est, je pense, le seul département dans lequel nous trouvons des plaques de ce type.

© Denis Claudel

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LES PLAQUES DE DISTANCES LÉGALES

Le duc de Padoue, dans sa circulaire précitée du 19 août 1859, se faisait le porte-parole de Napoléon III, qui, de retour d’Italie, avait remarqué  que chaque commune possédait une inscription indiquant le nom de la localité et la distance séparant cette dernière des centres administratifs (la guerre d’Italie avait effectivement eut lieu d’avril à juillet 1859). Les Préfets devront donc faire en sorte que de telles plaques soient installées dans chaque commune de leur département, cette amélioration n'ayant pas échappé au regard attentif de l'Empereur auquel , cela va sans dire, reviendra tout le mérite de cette innovation !

En définitive, les préfets ne devaient pas être prêts à sacrifier aux lubies de l'Empereur l'argent dévolu au réseau routier. Ceci dit, il y eut quand même deux départements qui donnèrent suite : la Sarthe et la Drôme. A postériori on voit bien que ce type de signalétique ne sert pas à grand-chose, sinon le fait de savoir dans quel endroit on se trouve. Il n'empêche que, notamment dans la Drôme avec leur forme caractéristique, elles sont aujourd'hui inscrite dans le paysage et font partie du patrimoine communal.

Il y eut entre 1861 et 1863, 369 Plaques de Distances Légales drômoises installées (appelées aussi plaques communales ou localement plaque d'Identité Communale).

Dans la Sarthe, 387 exemplaires sont installés à partir de 1865. La particularité de ces plaques : elles sont à la fois de Distances Légales et d'interdiction de mendicité.

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© Gilles Deligny

LES FONDERIES

Comme je l'ai dit plus haut, les départements faisaient appel bien souvent à des fonderies locales pour la fournitures des plaques directionnelles en fonte avec caractères en relief. Je ne connais pas toutes les usines qui ont participé mais voici les principales dont la production est encore visible au bord des routes. N'oublions pas que nous sommes en pleine révolution industrielle, que le chemin de fer se déploie à toute vitesse et que la France, dont traditionnellement et depuis des générations la population était tournée vers l'agriculture vivrière, voit fleurir une multitude d'usines et notamment de fonderies de seconde fusion. Il était logique qu'elles participent à ce grand ouvrage de signalisation.

N'oublions pas non plus que les conditions de travail à cette époque sont loin d'être idéales. C'est rendre hommage à ceux que Louis Reybaud qualifie d'obscurs héros :

« Cet ouvrier, dont on exige tant d'habileté et de sang-froid, est placé à la bouche d'un four, l’œil fixé sur une sole enflammée d'où s'exhale une chaleur de 1 500°, celle du blanc soudant. Qu'il éprouve un moment de vertige, que son regard se trouble à suivre le métal en fusion et il en résultera un dommage dont il aura à supporter sa part s'il travaille à la tâche. Cette tâche, il ne la remplit pourtant qu'inondé de sueur et dévoré d'une soif ardente, et, ce qui est le plus triste à dire, en abrégeant la durée de sa vie. L'ouvrier en a la conscience et il persiste : l'industrie est pleine de ces héroïsmes obscurs » (L. Reybaud, Rapport sur la condition des ouvriers en fer : Le Creusot, 1867).

Les 3 fonderies de la Haute-Saône ont dominé la production de plaques dans leur département mais aussi dans l'est de la France, jusqu'en Suisse pour la fonderie Varigney. C'est en 1883 que Varigney et son directeur Albert Ricot remportent un marché conséquent sur le départemen de la Haute-Saône: 752 mâts avec tableaux indicateurs et 600 plaques. Il y en eut bien d'autres, notamment dans les Vosges, la Meurthe-et-Moselle, la Côte d'Or, l'Aube, la Marne, l'Yonne.

Mât bi-plaques fonderie Bley ©Frédéric Chauvet

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Mât bi-plaques Varigney- ©Frédéric Chauvet
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Plaque La Romaine ©Frédéric Chauvet

Fonderies de la Meuse

Dans le département de la Meuse, de nombreuses plaques furent détruites pendant la guerre de 14-18. La plupart des plaques sont issues de fonderies locales, même sur les voies impériales. Les fonderies en question sont Rigny & Mayeur à Cousances-les-Forges et A. Salin et Cie à Dammarie-sur-Saulx.

Cette plaque n'est plus sur la voie publique.
Fonderie : Rigny & Mayeur ©Denis Claudel
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Fonderie A. Salin et Cie - ©Denis Claudel

La fonderie Bussy en Haute-Marne a fourni un nombre considérable de mâts et plaques notamment dans le département de l'Orne. L'Orne est sans doute le département qui a conservé en fonction le plus de mâts. Ils sont entretenus par le Conseil Général.

Plutôt que de mettre des photos de plaques en gros plan, voici deux paysages ornais qui n'ont pas dû changer énormément depuis le XIXe siècle.

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La fonderie Chappée dans la Sarthe.

La Fonderie d'Antoigné Chappée de Sainte Jamme-sur-Sarthe a produit un grand nombre de plaques et poteaux indicateurs en Sarthe mais aussi dans certains départements du sud-ouest tel le Tarn-et-Garonne.

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Ce mât à Saint-Antonin-noble-Val est entreposé à la subdivision de l'équipement de Saint-Antonin. Il a été fabriqué par la fonderie Chappée du Mans et date de 1908.
© Dominique Perchet

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Dans la Sarthe, issues la plupart du temps de la fonderie Chappée, nous trouvons ces plaques avec chapeau. Le cartouche a été ajouté depuis une loi de 1938 créant un réseau routier de chemins départementaux réunissant l'ensemble des Routes Départementales mais aussi le réseau vicinal (Chemins de Grande Communication et Chemins d'Intérêt Commun). Nous avons donc la plaque proprement dite, ci-contre fond bleu lettres blanches, et au-dessus le cartouche identifiant type et numéro de voie. La couleur du cartouche doit correspondre aux normes en vigueur actuellement, ici le jaune pour les routes départementales (instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963)  .

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Plaque à IFS dans le Calvados. Elle provient des Chantiers navals français. Elle date de 1934-35.
© Laurence Dutertre


Telles sont les fonderies principales étant intervenues fin XIXe, début XXe, sur la fourniture de plaques directionnelles en fonte. Il y en eut bien sur d'autres dont le champ d'application était limité à un département. Pour n'en citer que quelques-unes, la fonderie Gillet à Castres, Piat Fougerol à Auxerre, David à Nantua, Cusson à Châteauroux, etc.

Les derniers contrats entre Conseil Généraux et fonderies pour la fourniture de plaques directionnelles sont postérieurs à la Grande guerre et sont donc adaptés, de par le format des inscriptions, aux automobilistes : un grand format lisible de loin et des indications limitées avec une seule flèche. Ces fonderies étaient en concurrence directe avec Michelin. Je citerai la fonderie ardennaise Wynants, Badré et Cie qui fournit des plaques dans l'Aube, et pour le moins surprenant, les Chantiers Naval Français, lesquels ont fourni de grosses plaques en fonte notamment dans le département du Calvados.

MICHELIN

De 1910 à 1971, l'entreprise Michelin va faire installer sur le réseau routier français des milliers de réalisations, à commencer par quelque 30000 plaques Merci de 1911 à 1914. Suivront les bornes d'angle, les poteaux, les murs Michelin, les flèches Michelin, les matériaux utilisés étant la lave émaillée, le béton armé, …

Vous trouverez tous les renseignements sur la signalétique Michelin sur le site de Philippe de Priester qui fait référence (lien en fin d'article). Mais une chose est certaine, c'est que les ouvrages Michelin font aujourd'hui partie du patrimoine routier français. Si nombre d'entre eux ont été détruits ou ôtés, notamment suite à la loi 55-434 du 18 avril 1955, il serait temps de considérer que les réalisations qui sont restées en place, et qui ne sont donc plus accidentogènes, doivent être préservées.

Voici quelques photographies de ces réalisations produites entre 1918 et 1971:

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Crédit Photos: Jean-Michel Le Vaou

LES BORNES

Le 11 janvier 1813 une circulaire du directeur des Pontts-et-Chaussées prescrit l'établissement de bornes départementales et cantonales. Les bornes à la limite des départements devront comporter les noms de la route et celui du département. Une double utilité donc, administrative et directionnelle à destination des voyageurs.

Mais la véritable charte du bornage des routes en France date du 21 juin 1853, parution d'une circulaire prescrivant la pose de bornes kilométriques et de bornes hectométriques (depuis le 25 novembre 1839 le système métrique est de rigueur). Leur utilité est encore une fois administrative, permettant de cerner les zones d'activité des cantonniers, conducteurs ou piqueurs, mais aussi donner aux voyageurs des renseignements sur leur marche et sur les distances qu'ils parcourent . Il y avait donc une nécessité d'uniformiser les bornes. Pourtant dans cette même circulaire est précisé que celles déjà posées ne seront pas remplacées. Il faudra attendre la seconde moitié du XIXème pour que l'unification du bornage soit réalisée.

Nous trouvons donc deux types de bornes, celles de limite de départements à partir de laquelle était calculée tous les 100 mètres la distance marquée par une borne hectométrique, tous les kilomètres une borne kilométrique. Elles sont en grès, en granit, en calcaire dur et parfois en fonte.

Une borne limite de département. Elle était sur la Route Impériale 133. Cette dernière parcourait le Lot-et-Garonne sur une distance de 72,4 kms. La couleur jaune, comme le D 933, ne sont bien sûr pas d'époque. © Xavier Deslandes

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Sur la Route Impériale 20. La distance jusqu'à'à la prochaine borne départementale : 79 kms. © Auto-Caradisiac


Les deux photos ci-dessus sont des réalisations tenant compte des instructions de la circulaire de 1853. Il faut en convenir, pour le voyageur les indications qui y figurent ne présentaient pas un réel intérêt. Lors du Congrès de la route de 1908, Edmond Chaix, Président de l'Automobile-Club de France s'en offusqua :

« Le numérotage kilométrique ne comporte en général aucune suite de ville à ville (…) : il est établi quelquefois sur la distance de Paris, quelquefois sur la distance du chef-lieu, très souvent sur la limite de département. »

Ainsi en 1913, des instructions furent données afin de remédier à ces inconvénients, lesquels nuisaient au développement de l'automobile, du tourisme et des déplacements en général. Voici les différentes bornes ancienne et nouvelle version. Pour celles déjà mises en place un quart de tour permettait d'avoir en face de soi les informations concernant les distances.

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Les figures de 1 à 6 sont les anciennes normes. 7 à 10 les nouvelles.

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Et pour terminer, la Rolls des bornes — celles mises en place à partir de 1848 sur les routes Nationales qui devinrent Impériales, provenant de la fonderie Bouilliant.

Donnant toutes la distances jusqu'à Notre-Dame de Paris, elles servaient également de repère de nivellement. Encastrée sous la tablette, à gauche au-dessus du niveau moyen de la mer, à droite au dessus de l'étiage du Pont de la Tournelle. La ligne du bas est la hauteur par rapport à l'ancien plan supérieur de Paris.

Nombre d'entre elles ont été détruites, certaines servent de pots de fleur urbains, d'autres de poubelles…

SAUVEGARDE DU PATRIMOINE ROUTIER


La liste du petit patrimoine routier, bornes de toutes époques, plaques en fonte ou réalisation Michelin, n'est pas exhaustive. De nombreuses plaques indicatrices mériteraient qu'on s'y attarde. Pour ne citer que quelques exemples, les plaques en zinc émaillé de la Société de Géographie de Lyon que l'on trouve dans le Rhône et dans la Loire, les plaques de Loire en fonte utilisées par les bateliers, les plaques de maison éclusières mises en place fin du XIXème, etc.

Juridiquement ce petit patrimoine n'est pas du tout protégé. Et sa sauvegarde comme son entretien sont actuellement le fait de quelques passionnés, d'un petit nombre de municipalités ou de communautés de communes dont les élus sont sensibilisés, dans le meilleur des cas d'un Conseil Général comme c'est le cas dans l'Orne, l'un des seuls départements avec la Haute-Saône à avoir su conserver ses poteaux indicateurs et les entretenir.

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André Bianco (Association de sauvegarde du patrimoine routier des Deux-Sèvres) défriche afin de mettre en valeur une borne royale.

Actuellement, l'entretien de la signalétique routière du type Michelin ou poteaux indicateurs implantés sur la voie publique est du ressort des Conseils Départementaux, et ceci depuis la loi de décentralisation de 1982. En outre, optionnel ou de plein droit, les intercommunalités (métropoles, communautés urbaines…) peuvent se voir transférer la compétence voirie. Cette multiplication des domaines de compétence ne peut qu'être un frein au nécessaire moratoire devant être mis en œuvre dans ce domaine. En outre, et pour diluer les compétences, les plaques directionnelles (de cocher) fixées sur les maisons particulières sont tombées dans le domaine privé, et bien que considérées par les passionnés comme faisant partie du patrimoine communal, elles appartiennent au propriétaire de la maison-support.

Il existe pourtant plusieurs leviers permettant de prendre en compte l'existence de ce patrimoine et donc de la valoriser. Par exemple, une commune peut très bien inscrire à son P.L.U (Plan Local d'Urbanisme) les plaques de cocher, Michelin ou autres. Cette possibilité avait été évoquée par Chantal Pradines (Expert indépendant auprès du Conseil de l’Europe dans le cadre de la Convention européenne du paysage) dans un article concernant la culture et le patrimoine. Une démarche simple à mettre en œuvre et qui aurait au moins le mérite de faire prendre conscience aux élus, et donc aux pouvoirs publics, de l'existence au sein même de leur territoire de ces réalisations.

Nicolas Wenberg repeint bénévolement ce panneau Michelin

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Les intervenants dans ce travail de prise de conscience et de recensement pourraient être aussi les Conseils Régionaux. L'Inventaire Général du Patrimoine Culturel mis en place par André Malraux en 1964 comprend plusieurs bases de données dont l'une nous intéresse particulièrement : la base Mobilier – Palissy. Les dossiers d’inventaire sont en effet produits par les services régionaux en charge de l’inventaire au sein des conseils régionaux ainsi que, ponctuellement, par des chargés d’étude sur une thématique nationale.  La base Palissy recense des objets mobiliers parmi lesquels ce petit patrimoine routier a parfaitement sa place. D'ailleurs, il ne s'agirait que de développer à l'échelle des régions un recensement dont la codification est déjà établie : en effet, il existe déjà au sein de cette base, une plaque de cocher et une plaque Michelin.

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Merci à Alexandra Sobczak Présidente et fondatrice de l'Association Urgence Patrimoine de consacrer à ces biens patrimoniaux bien oubliés le dossier du mois de La Gazette du Patrimoine par le biais de cet article. Puisse-t-il éveiller l'intérêt du plus grand nombre et susciter auprès des responsables, ceux qui sont près du terrain, j'allais dire de la route ! Et les décideurs qui sont à même de prendre en compte l'histoire du réseau routier du pays sans pour autant remettre en cause sa modernisation.


Pour aller plus loin :

Sur les routes et l'histoire du réseau routier  :
https://routes.fandom.com/wiki/Accueil

Sur les plaques de cocher, mon site, recensement et histoire :
http://plaquedecocher.fr/

Également un groupe facebook sur lequel vous pouvez partagez vos découvertes :
https://www.facebook.com/groups/plaquedecocher/

Sur les Michelin, un site incontournable, celui de Philippe de Priester :
http://www.panneauxenbeton.fr/

Le groupe de Nicolas Weber sur le sujet :
https://www.facebook.com/groups/signalisationmichelin/

A partir de ces groupes vous pourrez en trouver plein d'autres spécifiques aux types de panneaux.

Bibliographie :


Bonnerot, Jean.
Les routes de France. H. Laurens, 1921.
Conchon, Anne. La corvée des grands chemins au XVIIIe siècle ; économie d'une institution. Rennes : PU de Rennes, 2016.
Duhamel, Marina.
Un demi-siècle de signalisation routière: naissance et évolution du panneau de signalisation routière en France, 1894-1946. Paris : Presses de l'Ecole Nationale des Ponts-et-Chaussées, 1994.
Eyrolles, Léon, Lévy, Georges, Danne. Routes, chemins vicinaux et voies ferrées sur chaussées. Paris : ESTPBI, 1909.
Lefevre P. (sous la direction de). Les voies de communication. Dossiers documentaires meusiens, n° 2, 1976.