Au nom de la loi
Juin 2020


Agir face à un projet de construction ou de démolition :
Adoptons les bons réflexes

Théodore Catry


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Théodore Catry est avocat indépendant exerçant à Tours en droit public, domaine juridique qui réunit l’ensemble des contentieux entre l’administration et ses administrés. Particulièrement sensibilisé aux problématiques de préservation des paysages et des patrimoines naturel et bâti, il intervient notamment en contentieux de l’environnement et de l’urbanisme pour toute action en responsabilité ou tout recours contre des décisions et règlementations administratives susceptibles d’atteindre le justiciable dans la jouissance et l’exercice de ses droits.

Trop souvent, des projets de construction ou de démolition qui mettent en péril le patrimoine, parviennent à prospérer à défaut d’avoir été contestés en bonne et due forme. Pourtant, les actions en justice, lorsqu’elles sont bien menées, ont un potentiel redoutable et peuvent provoquer l’annulation définitive des permis attaqués.

Mais la justice ne se saisit pas facilement ! S’il est toujours préférable de s’adjoindre les conseils ou l’assistance d’un avocat. Il existe plusieurs réflexes essentiels que tout défenseur du patrimoine doit garder à l’esprit pour sauvegarder au mieux les intérêts qu’il souhaite protéger.

Attention : les clés données dans cet article sont des principes généraux qui ne s’appliquent pas systématiquement à tous les projets. Certains, comme les éoliennes ou d’autres installations classées, sont soumis à des régimes spéciaux plus complexes.

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En amont : analyser la légalité du permis de construire

Le jour tant redouté est arrivé : le presbytère néogothique qui jouxte l’église du village, menacé de longue date, est sous le coup d’un permis de démolir pour céder la place à l’extension d’un agréable parking bitumé. Que faire ?

Toute action en justice doit reposer sur un argumentaire : il s’agit ici de
prouver que la décision d’autorisation litigieuse est illégale, que ce soit sur la forme et sur le fond.

Il est donc nécessaire d’analyser en amont le dossier de permis et la façon dont il a été autorisé. Cela est d’autant plus important en contentieux de l’urbanisme, car tous les moyens (c’est-à-dire les griefs) doivent être impérativement présentés au tribunal dès l’introduction de la requête. En effet, passé un délai de deux mois après la réception des premiers moyens de défense, il n’est plus possible d’avancer de moyen nouveau.

En l’occurrence, les types de
moyens invocables sont très nombreux : vices de forme, vices de procédure, incompétence de l’auteur de l’acte, caractère incomplet du dossier de permis, fraude, violation du PLU, illégalité par illégalité incidente du PLU lui-même, méconnaissance des régimes spéciaux de protection type loi Littoral ou loi Montagne … c’est dans ce travail extrêmement minutieux et exhaustif que le recours au conseil juridique est indispensable, d’autant que tous les arguments n’ont pas la même efficacité : certains (malheureusement de plus en plus) ne peuvent provoquer qu’une régularisation tandis que d’autres, quand bien même ils sont fondés, seront écartés car jugés par assez importants pour emporter l’annulation de la décision.

Un permis de construire et/ou de démolir est délivré : quand et comment agir ?

Il est indispensable de surveiller les délais pour agir qui sont très stricts.

Les autorisations d’urbanisme, que ce soit un permis de construire ou un permis de démolir, se contestent dans
un délai de deux mois à compter de leur affichage sur le terrain.

Avant de saisir le tribunal, il est possible de saisir la mairie d’un recours gracieux visant à demander le retrait du permis litigieux. Cette demande doit être formée par courrier en recommandé avec accusé de réception. Il faut également informer le bénéficiaire du permis de ce recours en lui en adressant copie dans un délai de quinze jours à compter du dépôt du
recours gracieux.

Si ces formalités sont bien accomplies, l’introduction de ce recours préalable a pour effet de
proroger le délai de recours contentieux : cela signifie que le délai pour saisir le juge est suspendu et reprend jusqu’à ce que la commune ait rendu sa décision.

La réponse du maire peut être rendue de façon explicite (par courrier) ou implicite : dans ce dernier cas, on considère qu’il y a refus implicite passé un délai de deux mois à compter de la réception du recours gracieux.

Si la réponse est négative, il faut alors
saisir le tribunal administratif d’un recours visant à l’annulation de la décision ayant refusé le retrait du permis ainsi que, par conséquent, l’annulation du permis lui-même.

Dans tous les cas, il faut
faire attention à ce que la demande soit explicitement formulée.

Comme pour le recours gracieux, la saisine du tribunal fait l’objet d’une
notification au bénéficiaire du permis, mais aussi à l’auteur de la décision attaquée.

Notons enfin que si le projet induit un
danger imminent pour le patrimoine en péril, il est possible, sous un certain nombre de conditions, de saisir directement le juge en référé pour demander la suspension du permis. Il faut justifier de l’urgence, de l’existence d’un doute sérieux sur la légalité du permis et introduire le recours en même temps que la requête au fond.

Je souhaite agir, mais ai-je le droit d’agir ?

Tout le monde n’est pas recevable à agir en justice. L’un des débats les plus importants dans un litige sur un permis de construire porte sur l’
intérêt à agir du requérant et de nombreux dossiers échouent parce qu’il n’a pas été suffisamment justifié.

En général, les acteurs du patrimoine peuvent agir seuls ou par l’intermédiaire d’associations.

Dans le premier cas, la personne inquiétée doit démontrer que « la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont
de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance » de son bien ou du bien qu’elle occupe légalement (article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme). Le voisin immédiat d’un projet bénéficie quant à lui d’une présomption d’intérêt ainsi que, en principe, celui dont le terrain est situé à proximité.

Dans le second cas, les associations peuvent aussi introduire des recours. Il y a cependant
deux conditions essentielles. D’abord, depuis la loi Elan, elle doit avoir été constituée au moins un an avant l’affichage de la demande du pétitionnaire en mairie. Ensuite, l’objet social figurant dans les statuts de l’association doit faire transparaître cet intérêt à agir en étant directement atteint par le projet litigieux. Un objet social trop vague peut lui priver du droit d’agir, ce qui est le cas en général quant il ne prévoit pas la « défense » de l’environnement ou du paysage urbain, ou bien s’il ne précise pas la possibilité de mener des actions juridictionnelles pour y parvenir. Il doit aussi être clairement circonscrit dans l’espace.

Pour plus d'informations :

Maître Théodore Catry
19 Avenue de Grammont
37000 TOURS
Téléphone: 02 47 61 31 78
Télécopie: 02 47 20 26 02
tcatry@avocatatours.fr

Crédit photographique : photo de l’auteur. Le Conseil d'État, plus haute juridiction de l’ordre administratif.