POINTS de vue
Avril 2020

Acteurs du Patrimoine et Covid-19


Stacks Image 815
Le Covid-19 est devenu en quelques semaines un fléau qui touche la planète entière. Afin de limiter les risques de propagation du virus, le confinement de la population et l’arrêt de la plupart des activités étaient nécessaires.

Hélas, cet arrêt brutal d’activité met en péril un grand nombre d’acteurs économiques. La culture et le patrimoine ne sont pas épargnés ; ils sont même en première ligne avec les acteurs du tourisme.

Nous avons demandé à quatre de ces acteurs quel était leur point de vu par rapport à la situation en leur posant la question suivante : « Cette période de confinement est-elle désastreuse pour votre activité et quelle est votre vision des choses pour les six mois à venir ? »


Stacks Image 551
Sophie de Joussineau
Restauratrice de tableaux

Après de nombreuses années passées dans le monde des antiquités, Sophie de Joussineau s’intéresse à la peinture et éprouve de plus en plus le besoin de travailler avec ses mains. Elle reprend ses études afin d’obtenir son diplôme de Conservatrice-Restauratrice de peinture de chevalets et d’objets d’art polychromes en 2015. Métier qu’elle exerce avec passion depuis plus de 5 ans au sein de son atelier parisien, tout en enseignant la restauration dans l’école qui l’a formée.

Stacks Image 787
Non, en l’état actuel des choses, cette période n’est pas désastreuse, car j’ai la chance d’avoir beaucoup de travail : je continue donc avec grand plaisir, motivation et enthousiasme mon activité afin de pouvoir honorer mes engagements auprès des clients qui m’ont fait confiance, et leur rendre leurs œuvres dans les temps impartis. Mon emploi du temps n’a donc été que peu modifié.

Tant que le confinement n’est pas levé, il me parait aléatoire de faire un diagnostic sur les 6 mois à venir, mais je crains malgré tout que l’activité ne ralentisse sensiblement. Chacun devra se reconstruire et parer au plus urgent : soutenir ses proches, reprendre progressivement ou brutalement son activité professionnelle, voire au pire devoir en trouver une nouvelle, et bien sûr faire restaurer une œuvre d’art ne sera probablement pas une priorité.

Toutefois étant de nature optimiste, je crois aussi que ce « temps » accordé pendant le confinement a permis à beaucoup d’entre nous de s’ouvrir, de se recentrer sur des aspects essentiels, de se sensibiliser à l’art et d’y puiser une énergie pour surmonter cette crise, et par ce biais comprendre l’importance du fait que les œuvres d’art ne sont pas que des images, mais le témoignage de vies et de civilisations à des moments donnés ; il est primordial de les sauvegarder afin de pouvoir les transmettre aux générations futures. En cela, le rôle de conservateur-restaurateur sera peut-être renforcé.
Stacks Image 799


Stacks Image 687
Pierre-Gilles Girault 
Administrateur du Monastère royal de Brou 

Pierre-Gilles Girault est titulaire d'un DEA d'Histoire médiévale à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) (1995-1996). De 2001 à 2014, il a été conservateur et directeur adjoint du château royal et des musées de ville de Blois, après avoir assuré la fonction de responsable du service culturel au sein de la même structure. Pierre-Gilles Girault a auparavant été chargé de documentation à l’Inventaire à la DRAC Centre (1988-1990). Il a également occupé les postes d’adjoint au directeur des Archives et du Patrimoine et de responsable du Centre de l’Enluminure et de l’Image médiévale, à l’abbaye de Noirlac (1991-2000). En 2014, Pierre-Gilles Girault est nommé, par le Centre des Monuments nationaux et la Ville de Bourg-en-Bresse, administrateur du Monastère royal de Brou, récemment sacré « Monument préféré des Français ».

Stacks Image 796
Comme tous les monuments et musées français, le Monastère royal de Brou est fermé au public depuis le dimanche 15 mars. C'est évidemment un crève-cœur, alors que notre vocation est d'ouvrir le monument au plus grand nombre. Toutefois je ne qualifierai pas de désastreuse la situation de Brou... Car le désastre est d'abord sanitaire et vous me permettrez d'adresser mes premières pensées aux malades et à leurs proches, aux personnels soignants et à tous ceux qui sont sur le terrain et prennent des risques pour permettre à la société française de tourner malgré le confinement, ainsi qu'à tous ceux que celui-ci prive de revenus. 
Ensuite, si on considère le patrimoine français, la perte de recettes qui résulte de la fermeture au public est moins lourde de conséquences pour les musées et monuments publics, soutenus par l'Etat ou les collectivités, que pour les sites privés. 

Pour ce qui est du monastère royal de Brou, vous savez qu'il est dans la situation particulière, unique en France, d'une cogestion entre le CMN (Centre des monuments nationaux) et une collectivité territoriale, la ville de Bourg-en-Bresse. La perte de deux mois au moins de recettes au moment où débute habituellement la haute saison est évidemment importante. L'impact de la crise est significatif notamment pour le CMN, qui gère une centaine de monuments, et s'autofinance à plus de 80% grâce aux recettes de billetterie, des boutiques et des locations d'espaces, toutes activités aujourd'hui suspendues. En outre l'interruption des travaux va retarder ses grands chantiers comme ceux de l'hôtel de la Marine à Paris et du château de Villers-Cotterêts. 

Aujourd'hui, toute l'équipe de Brou, fonctionnaires comme contractuels, est placée en autorisation d'absence ou expérimente le télétravail. Seuls se relaient sur place les agents chargés de la sécurité. Les cadres et plusieurs agents administratifs télétravaillent pour assurer la continuité du service, préparer la réouverture du site dès qu'elle sera possible et adapter la programmation culturelle des mois à venir dans le cadre d'un plan d'activités élaboré collectivement et validé par les deux tutelles. 
Dès l'annonce du confinement, nous avons annulé les manifestations de mars-avril et décidé de reporter l'ouverture de notre prochaine exposition « Valadon et ses contemporaines. Peintres et sculptrices (1880-1940) », initialement prévue le 16 mai au 4 juillet. 

Toutefois l'incertitude actuelle nous conduit à nous interroger sur un éventuel nouveau report de l'exposition. Il en va de même pour notre riche programmation culturelle de l'été : nous devions accueillir début juillet des concerts de musique classique, les Estivales de Brou, puis le 17 juillet une étape du Tour de France. Les samedis suivants jusqu'au 31 août, nous organisons avec la ville de Bourg-en-Bresse le festival musical « À la folie... Pas du tout ! »

Or les musées font partie des établissements recevant du public dont le président de la République, dans son discours du 13 avril, a reporté la réouverture au-delà du 11 mai. Nous attendons donc que les pouvoirs publics prennent position sur cette échéance, et surtout les modalités d'accueil du public : restrictions éventuelles de circulation, limitations des jauges ou interdiction complète des rassemblements, etc., pour savoir ce que nous pouvons maintenir, ce que nous devons annuler et ce qui pourra être reporté à l'automne 2020 ou à l'année prochaine. 
Nous ignorons également quelle sera la réaction du public à l'issue du déconfinement : une certaine frilosité ou au contraire une boulimie de visites et de manifestations culturelles ? 

Ce qui est certain c'est que nous travaillons d'arrache-pied pour être en mesure d'accueillir les visiteurs de l'été dans les meilleures conditions possibles de sécurité sanitaire tant pour le public que pour le personnel. Comme toute crise, celle-ci révèle des ressources insoupçonnées et pour conclure, je veux rendre hommage à la réactivité de nos tutelles comme à l'implication des collègues qui se sont engagés sans compter dans l'organisation d'un télétravail improvisé. Nul doute que l'organisation du travail et les conditions d'accueil des visiteurs ne sortiront pas inchangées de cette longue épreuve. 
Stacks Image 791

Stacks Image 818
Géraud de Laffon 
Propriétaire gestionnaire du Château de Gizeux 

Géraud de Laffon est propriétaire gestionnaire du château de Gizeux (37) depuis 2003. Domaine familial depuis 1786 situé au Nord de Bourgueil. Il est également Expert technique indépendant spécialisé en milieu HLM et Élu municipal, vice-président au sein de la Communauté de Commune Touraine Val de Loire.

Stacks Image 821
L’économie de la demeure a longtemps été basée comme pour beaucoup de châteaux sur les revenus agricoles et forestiers. Peu à peu ceux-ci ont été amputés des ressources liées à leur environnement.

Gizeux par son ampleur, son histoire et par ses décors intérieurs a de quoi séduire les amoureux du patrimoine. C’est pourquoi animé par notre goût de faire vivre ce lieu, nous avons décidé en 1993 de l’ouvrir de plus en plus au public.

L’activité touristique a pris peu à peu de l’ampleur avec une offre famille très diversifiée et l’ouverture de chambres d’hôtes. Chaque personne qui découvre Gizeux participe à l’entretien et à la rénovation du lieu.
La crise liée à la présence du Coronavirus a stoppé net ces revenus indispensables.

Les conséquences de la crise sont importantes. L’affaiblissement de la trésorerie entraine le renoncement aux travaux d’entretien, parfois pourtant urgent, l’annulation des investissements. Elle nous a imposé la mise au chômage partiel et fait craindre le risque de licenciement. Ce qui serait dramatique. Sans leurs compétences on ne peut pas bien gérer de tels lieux.

Les aides débloquées de façon exceptionnel par l’Etat apportent un soutien indispensable à certains sites, mais elles ne sont pas actuellement accessibles pour toute une partie des Monuments Historiques privés ouvert au public.

En effet beaucoup de châteaux, des modestes mais aussi des plus connus comme par exemples Villandry, Château Gaillard, Vaux le Vicomte sont en SCI ou comme nous gérés en nom propre. Non reconnu comme société à part entière, on ne peut pas bénéficier des aides de soutien à la trésorerie. Un amendement à la loi de finance sera proposé à l‘Assemblée Nationale cette semaine pour palier à cette lacune. Nous espérons beaucoup que l’ensemble des députés et des sénateurs le soutiendront. L’enjeu est de taille.Si il est important d’être soutenu par l’Etat, il nous faut aussi être acteur pour trouver des solutions.

Nous savons que les français sont sensibles à leur patrimoine et qu’ils l’aiment. Le soutien fantastique que nous avons connu via le mécénat participatif pour sauver les peintures de la Galerie des Châteaux du Roy à Gizeux, nous l’a prouvé.

C’est pourquoi nous avons lancé via la plateforme internet « Mousquetaire du Patrimoine » la possibilité aux amoureux du patrimoine d’acheter en ligne en prévente des prestations touristiques dans un esprit de soutien et de solidarité aux monuments historiques qui y participent. Cela nous permettra d’améliorer la trésorerie dont nos monuments ont besoin pour bientôt les accueillir de nouveau dans les meilleures conditions en bénéficiant d’un avantage financier pour les remercier (
https://www.mousquetairedupatrimoine.fr)

Nous espérons avoir le soutien du plus grand nombre. Du succès de nos initiatives dépendront les six prochains mois, pour passer cette année 2020 si difficile pour tous. Vous pouvez compter sur nous pour continuer notre engagement au service d’un patrimoine qui nous dépasse et que nous aimons partager.

Prenez soin de vous et de vos proches.
Stacks Image 863

Stacks Image 841
Sabine Halm
Dentelière

Autrefois ennoblissement textile du vêtement — un des atours de la séduction vestimentaire de la Renaissance et du XVIIe siècle — la dentelle, véritable Art textile, retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse dans les nouvelles interprétations de la Marque Madrigal b, créée par Sabine Halm. Native de Nouvelle-Calédonie, Sabine, créatrice textile et mosaïste de perles, entame une nouvelle vie en France métropolitaine qui semble la rapprocher de son arrière-arrière-grand-mère, dentellière, et de ses ancêtres, tisserands depuis 1700. Reconnue par la profession, Sabine Halm participe chaque année aux Journées Européennes des Métiers d’Art.   Son atelier, du Limousin, a intégré les Ateliers d’Art de France et le Pôle des Métiers d’Art du Limousin.

Stacks Image 836
Cette période de confinement est désastreuse pour notre atelier d'Art. Nous comptions sur les premiers beaux jours mais, La crise exceptionnelle que nous vivons, frappe l’équilibre économique de notre atelier d’art : salons et marchés annulés, fournisseurs fermés, ateliers-boutiques fermés, stages et cours annulés…

Nous nous retrouvons brusquement pris de court, par l’arrêt total d’activité commerciale et la chute de recette de notre atelier, et cela pour une période qui se prolonge et une durée indéterminée.  

J'emprunterais, si vous me le permettez, quelques mots à Ateliers d'Art de France, dont nous sommes membre :   « Ateliers d’Art de France s’alarme des conséquences de la crise sur l’avenir des entreprises et acteurs des métiers d’art. Nous voyons que les mesures d’urgence pour faire face à la crise sont, dans de nombreux cas, inadaptées à nos entreprises. Faute de connaissance et reconnaissance des métiers d’art et faute de prise en compte des questions vitales qui se jouent pour les entreprises du secteur ». L'effondrement de notre CA sera considérable. Notre vision des choses pour les six mois à venir reste mitigée.

La France est vue à l'étranger comme le pays des métiers d'Art cependant, et même en temps normal, nos métiers sont déconsidérés, voir jugés sans aucune utilité sur le territoire. Pourtant nous participons grandement aussi à l'économie du pays. Nos métiers, et par conséquent l'être humain qui se « cache » derrière, sont au cœur de ce qui fait le génie Français et nous représentons un potentiel souvent inexploité pour notre pays !

L'être humain et j'irais même plus loin, la plupart des êtres vivants, ont besoin de beau pour vivre, le beau est un dépassement ou l'on se retrouve, cela fait sens !

Nos clients ont toujours investi au-delà de ce qu'ils achètent, alors j'espère qu'ils seront toujours présents à la sortie de cette crise. Nous sommes, avec nos métiers d'Art, un principe de cohérence. Les valeurs que nous portons valeurs, sont un chemin d'avenir.

Je souhaite qu'ils ne l'oublient pas et que beaucoup d'entre nous s'en rendrons compte. Mais en même temps, l'être humain oublie très vite. Alors peut être que dans les prochains mois il y aura un regain d’intérêt pour nos métiers d'Art, et pour le consommer Français et local, mais après, ne va t-on pas repartir comme si rien ne s'était passé ? et les métiers d'Art ne retomberont-ils pas dans une espèce de conscience malheureuse du cours des choses? Je préférerais finir sur une note d'optimisme car comme quand nous créons au sein de nos ateliers, ce n'est pas l'idée qui fait l'objet, mais le travail de la matière qui nous dit : « Ah oui, là je peux le faire ! » C'est un processus créatif, un travail et une évolution constante qui nous portent. Le beau appelle la lenteur et la contemplation, c'est à l'opposé même de l'hyper consommation. Cette crise est peut-être une réponse à la récupération de soi, dans ce monde en hyperactivité.

Pour soutenir son atelier Sabine a mis en place une cagnotte
ici.
Stacks Image 824