Nécrologie
Avril 2020



Etat d'urgence sanitaire
La cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul à Pointe-à-Pitre
Monument historique classé

Nathalie Ruffin


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Nathalie RUFFIN, architecte du patrimoine, est née à Fort-de-France. En 1994, elle obtient une maîtrise d’arts plastiques à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne puis, elle entame le cursus menant au diplôme d’architecte dplg qu’elle obtient en 1999. Diplômée de l’école de Chaillot en 2005 et après sept ans d’expérience au sein du cabinet de Jean-François LAGNEAU Architecte en Chef et Inspecteur des Monuments Historiques honoraire, elle crée en 2007 « Couleur et Patrimoine ». Cette agence d’architecture se caractérise par l’étude et la direction de projets de restauration, sur des monuments historiques inscrits et classés, en Guadeloupe et en Martinique.

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Il pourrait paraître hors contexte d’alerter sur l’état sanitaire de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Pointe-à-Pitre, dans le cadre de la crise sanitaire que nous subissons.

Pourtant, ce n’est pas le cas. Pourquoi ?

Simplement, parce que ces deux désastres résultant des mêmes causes, ils produisent les mêmes effets.
Vue de l’église après le tremblement de terre du 08 février 1843. Gravure du XIXème siècle.
Collection Musée Saint John Perse, inv. 98-2-74

La cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul, des origines… au confinement de l’an 2020 après J-C

La première église est construite et inaugurée sur le site actuel, en 1818. Elle est édifiée en maçonneries de pierres de taille et de moellons de pierres calcaires, qui ne résistent pas au tremblement de terre du 08 février 1843. L’édifice est reconstruit après la catastrophe fatidique puis, remanié après le séisme de 1897. Les partis de reconstruction sont étudiés, afin d’optimiser la résistance à la croisée des risques majeurs connus à Pointe-à-Pitre soit, les incendies, les cyclones et les séismes.

Eglise Saint-Pierre et Saint-Paul, Détail du pan de fer noyé
dans une maçonnerie de moellons calcaires des murs.
Cliché J.-F. Peiré © Inventaire général, ADAGP, 2004
.

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L’architecte Alexandre Petit est désigné pour participer au projet de reconstruction. Son parti de conception réutilise les pierres calcaires des maçonneries armées, issues de la première église, et retient essentiellement :

— l’élévation d’un édifice en maçonnerie de moellons armée grâce à une double armature en fer pour les fondations et les murs gouttereaux, posée dans les sens transversal et longitudinal, à l’extérieur comme à l’intérieur ;

— la répartition des travées de la nef par un alignement de colonnes en bois,e doublées en fonte ;

— la mise en œuvre :

d’une charpente en fer pour les combles des bas-côtés ;
d’une charpente en bois pour la nef ;
de planchers en bois pour les tribunes ;
de couvertures en ardoise ou en tôle galvanisée, qui seront finalement, réalisées en zinc ;
de menuiseries persiennées pour les parties hautes de la nef ;
de clôtures de fenêtres en verre dépoli pour les trois baies cintrées de la façade sud ;
d’un déambulatoire adjoint en fin de chantier, à la demande du clergé.

L’incombustibilité et la résistance aux séismes sont les deux axes majeurs du parti architectural.

La première pierre est posée en 1847, l’église est inaugurée en 1853.

Elle présente un plan rectangulaire déclinant une nef répartie en dix travées accostées de collatéraux surmontés de tribunes. Au Nord, la nef est prolongée d’un chœur fermé par des grilles de clôture et longée par un déambulatoire s’ouvrant sur un chevet plat.

Les colonnes en bois divisant la nef en travées, sont gainées en fonte et surmontées de chapiteaux également en fonte.
La façade sud, analogue à celle qui perdure, se caractérise par quatre statues monumentales d’évangélistes, érigées au-dessus de l’entablement.

Dès 1864, l’édifice cultuel présente des signes de désordres structurels. Les arcades sont aussitôt mises sous cintres. Mais cette mesure de consolidation provisoire se révèle insuffisante pour assurer la sécurité des personnes, au regard de la faiblesse des supports. L’église est donc fermée au public en 1867.

En 1869, l’architecte municipal Charles Trouillé, préconise le remaniement de l’édifice à partir d’une ossature indépendante en fer. Il requiert le doublement des murs gouttereaux par des colonnes de fonte portant la charpente. Cette proposition permet de conserver les maçonneries de moellons armées.

La fabrication de la structure métallique est commandée aux Ateliers Joly, dont la notoriété s’est forgée sur la réalisation de la grande halle Polonceau de la gare parisienne Saint-Lazare (quarante mètres de portée), conçue par Eugène Flachat en 1853-1854.

Le montage de l’ossature métallique progresse sans contretemps majeur et le clocher, également exécuté par la Maison Joly, est élevé en 1876.

Une composition décorative en plâtre est exécutée afin d’occulter la structure métallique. Elle décline des voûtes et des faux-plafonds.

L’église est livrée en novembre 1876. Les planchers hauts des bas-côtés du rez-de-chaussée, sont dissimulés par des faux-plafonds de gypseries, tandis que les voûtes des bas-côtés hauts sont ornées de peintures murales. Les charpentes du vaisseau central sont dissimulées par un beau voûtement de plâtre, décrivant une composition de nervures et de clefs pendantes de facture néogothique.

De même, en 1871, l’architecte Charles Trouillé commande au peintre-verrier Antoine Lusson fils, vingt-trois (23) nouvelles verrières destinées à être mises en œuvre dans les encadrements des fenêtres hautes cintrées, ouvertes pour éclairer naturellement le vaisseau central. Ces vitraux comptent vingt panneaux de grisaille et trois panneaux colorés, illustrant des personnages bibliques. Ils sont mis en œuvre en 1874.

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Eglise Saint-Pierre et Saint-Paul, angle sud-ouest, photographie de 1885 © Bibliothèque Nationale de France, fonds de la Société de géographie, Wf 37 (25). Les statues des évangélistes, initialement juchées sur l’entablement supérieur, ont été déplacées de part et d’autre, des ouvertures de portes latérales sud, après le tremblement de terre de 1897.
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Eglise Saint-Pierre et Saint-Paul, façade sud, après 1897 © Archives départementales de la Guadeloupe - 5 Fi 20_74. Notons les ailerons accostés au corps central en tant que contreventements

L’église est consacrée le 29 juin 1879. C’est également à partir de 1879, qu’apparaissent des infiltrations dans la couverture, consécutivement à des défauts d’étanchéité. Ces désordres endommagent les décors de plâtre couvrant la nef dont la couverture est restaurée en 1884.

Le tremblement de terre de 1897 désolidarise des blocs de moellons calcaires de la façade principale sud. De même, les murs gouttereaux Est et Ouest, ainsi que les murs de la chapelle de Saint-Joseph et ceux de la tribune Est, sont fissurés. L’importance des désordres entraîne une nouvelle fois, la fermeture de l’église au public.

Il s’ensuit une campagne de restauration au cours de laquelle les statues des quatre évangélistes préalablement fixées sur l’entablement, sont déplacées pour être réparties de part et d’autre des ouvertures de portes latérales Sud. De même, les maçonneries de moellons de la façade sud sont confortées au moyen de tirants.

L’église Saint-Pierre Saint-Paul affronte les cyclones de 1928, 1956 et 1966, sans que l’ossature métallique indépendante ne soit déstabilisée. Le cyclone de 1928 endommage des éléments du décor de plâtre ainsi que les panneaux de vitraux de 1874. Une dégradation que le cyclone de 1956 achève, provoquant ainsi, la dépose définitive des éléments décoratifs.

Au cours des années 1930, cinq vitraux de la nef et seize demi-verrières, viennent remplacer les anciens vitraux dégradés. La plupart de ces vitraux neufs cèdent à la force de l’ouragan Hugo en 1989.

Au cours des périodes suivantes, d’importants travaux de restauration sont entrepris afin de renforcer la stabilité de l’édifice, notamment par la restauration des armatures noyées dans les maçonneries de moellons.

Il semble pertinent de noter ici, qu’à chaque étape de la reconstruction, des décisions du maître, d’ouvrage obnubilé par la recherche d’économies, ont influencé des orientations techniques.

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Plan d’un pilier destiné à supporter les fermes des toitures des basses-nefs, par Trouillé, 11 février 1869. © Archives Nationales des Outre-Mer, SG Guadeloupe, c. 258 ; d. 1549

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Profil des fermes courantes de la charpente métallique conçue par Trouillé et exécutée par les ateliers Joly. Etat actuel, 2020. Crédit photographique © Nathalie Ruffin.

Un parti structurel novateur, signe de modernité

Le parti structurel générique issu des deux étapes de construction, celle de 1853 et celle de 1876, associe successivement une armature noyée dans la maçonnerie à une structure métallique indépendante. Un choix qui apparaît, comme une véritable innovation technologique pour le territoire, où les œuvres monumentales étaient construites en maçonneries de pierres, pourtant inadaptées. Cette création découle autant d’une adaptation au site d’implantation, que d’une mise au goût de la fin du XIXème siècle.

En effet, du dessin d’une maison à pans de fer et revêtement de faïence, à la mine de plomb, plume et aquarelle, publié en 1872 dans les Entretiens sur l'architecture d’Eugène Viollet-Le-Duc, à la réflexion sur l’élaboration d’un modèle d’architecture à pans de fer adaptée aux risques naturels en territoire sismique, il semble y avoir un grand écart. Toutefois, l’analyse de la traversée séculaire du pan de fer, conduit à considérer l’église Saint Pierre et Saint Paul comme un outil et un témoin de la diffusion de l’art (de construire) français, au-delà des mers.

Cette église se révèle ainsi être, en Guadeloupe, un témoin majeur, voire l’un des rares de l’architecture à pans de fer, du dernier tiers du dix-neuvième siècle. Elle occupe ainsi, une place honorable dans l’histoire de l’architecture internationale.

Aujourd’hui, au-delà de la restauration des ouvrages structurels, c’est l’augmentation de leur capacité de résistance aux risques naturels, qui interroge. Cette réflexion fait suite aux constats des effets du séisme du 12 janvier 2010 survenu à Haïti et des conséquences du passage du cyclone Irma sur l’île de Saint-Martin les 5 et 6 septembre 2017 sur les ouvrages architecturaux.

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Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879).
Maison à pans de fer et revêtement de faïence 1871. Mine de plomb, plume et aquarelle H. 48 ; L. 37 cm
© Musée d'Orsay, distribution : RMN Grand Palais / Patrice Schmidt


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Vue du vaisseau central, après 1876. © Collection privé, éditions Phos ou Edgard Littée 1900-1925.
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Vue du vaisseau central, 2020. Crédit photographique © Nathalie Ruffin.

Actualités d’une restauration inachevée

De 2001 à 2008, les murs gouttereaux des bas-côtés ont été confortés et restaurés. De même, leurs baies ainsi que le clocher ont été restaurés.

Depuis, … aucune suite opérationnelle et un silence assourdissant de la collectivité propriétaire et par ailleurs, médiatiquement débitrice d’une dette de plus de quatre-vingt millions d’euros…
Face à la procrastination de ce propriétaire public, l’Etat, en sa qualité d’autorité administrative compétente en matière de monuments historiques, décide de prendre en main, la programmation de la sauvegarde de cet édifice majeur.

Ainsi, en novembre 2019, la Préfecture de la Guadeloupe-Direction des Affaires Culturelles commande une étude sanitaire pour la restauration de l'Eglise Saint Pierre et Saint Paul à un groupement de maîtrise d’œuvre.

La finalité de ce travail d’une durée de douze mois, est une étude de diagnostic, permettant de déterminer par ordre d’urgence, les interventions à programmer à court, moyen et long termes.
L’étude actuellement en cours, devrait être remise à la fin de l’année 2020 ou au début de l’année 2021, selon la durée du confinement consécutif à la pandémie de coronavirus.

L’intérêt se porte particulièrement sur la mise hors d’eau, la mise en sécurité électrique et une étude de propositions des renforcements structurels, permettrait à cette construction de mieux traverser le temps et ses manifestations climatiques. Enfin, il est également question d’envisager une restauration exemplaire, qui redonnerait à l’église sa magnificence oubliée dans les méandres des considérations politiciennes.

Constats d’états

L’état sanitaire rend compte des observations suivantes :

  • les couvertures poreuses et en fin de vie sont infiltrées, ayant été maintes fois « rafistolées » au Paxalumin. En outre, il n’était pas rare, lors d’averses, que des fidèles ouvrent leur parapluie afin de s’en abriter, offrant ainsi, une vision aussi cocasse que dramatique ;
  • au niveau des tribunes : des traces de coulures d’eau successives, sur les planchéiages, au voisinage direct de passages de câbles électriques, ainsi que le long des parements intérieurs ;
  • vétusté des installations électriques ;
  • un local électrique infiltré et faisant fonction de lieu de stockage de divers équipements ;
  • absence d’un éclairage de sécurité ;
  • fissuration des murs gouttereaux est et ouest ainsi que de la façade sud ;
  • risque pour la sécurité des personnes présenté par les dispositions et la fragilité des planchers des tribunes.

Les risques d’incendie sont bel et bien présents. Ils le sont aux stades de l’éclosion, du développement et de la propagation. L’édifice n’offre plus depuis plusieurs années, les garanties de sécurité incendie nécessaires au maintien de l’ouverture au public. Ce constat est corroboré par les avis défavorables émis par la commission de sécurité d’arrondissement en 2012, puis en 2018.

A cet état des lieux, il convient de souligner que les défaillances dans la distribution d’eau potable en Guadeloupe, ne rassurent guère sur l’efficacité des pompiers, en cas de feu.

Le danger est donc réel, actuel et représente une véritable menace. Le péril est imminent.

Causes des désordres 

Les facteurs ayant conduit à la situation désastreuse de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul sont connus de tous. L’origine du péril provient notamment, d’un défaut d’entretien général. Mais pas que… D’autres facteurs : humain, financier et politique participent de cette ruine.

Le facteur humain viendrait d’une pure absence d’intérêt pour l’édifice puisque, « vouloir, c’est pouvoir ».

Le facteur financier relèverait d’une posture d’austérité pour des sujets choisis.

Le facteur politique serait la pratique usuelle d’une gestion de court terme.

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Vue aérienne par drone depuis l’Est. Crédit photographique © Geoscan 3D
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Vue de la tribune Est et du « dispositif » de recueil des eaux pluviales. Crédit photographique © Nathalie Ruffin.

Mesures d’urgence

Il convient de rappeler ici, que le traitement d'un immeuble monument historique en péril relève des procédures du code du patrimoine prévues aux articles L. 621-12 et L. 621-13. L'article L. 621-12 offre la possibilité à l'État d'obliger un propriétaire d'un monument historique classé à faire exécuter des travaux sur son immeuble lorsque la conservation de celui-ci est gravement compromise par l'inexécution de travaux d'entretien de réparation ou de restauration. Il appartient au préfet de région (direction régionale des affaires culturelles de la région dans laquelle se situe l'immeuble) de mettre en demeure le propriétaire d'assurer l'exécution des travaux conformément à l'article R. 621-46 du code du patrimoine.

Alerté courant février 2020, par les premiers constats d’état, le Préfet met en demeure la Ville de Pointe-à-Pitre d’exécuter des travaux d’urgence. Empêchée par son endettement abyssal, la Ville délègue la maîtrise d’ouvrage de cette opération au Conseil Régional qui, le 28 février 2020, adopte une délibération lui permettant de prendre en charge par délégation, des travaux d’urgence, à hauteur maximale de trois cent mille euros.

L’église fait l’objet d’une fermeture au public par décision du Préfet de Région puis, par arrêté municipal en date du 02 mars 2020. La tenue des mariages et des enterrements programmés antérieurement, fait l’objet de dérogations ponctuelles sous la surveillance de deux agents de de surveillance de la voie publique rémunérés par l'Association de Sauvegarde de Saint Pierre et Saint Paul. Autrement dit, l’édifice cultuel s’est trouvé prématurément, confiné.

Monument historique confiné jusqu’à nouvel ordre

L’église Saint-Pierre et Saint-Paul représente pour la Guadeloupe l’archétype de l’architecture monumentale de fer. Elle est maintenant, d’autant plus en grand danger, que le confinement décidé par décret n°2020-260 du 16 mars 2020 a pour conséquence, le ralentissement voire le report, des interventions programmées pour les travaux d’urgence.

Une problématique que le guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d’épidémie de coronavirus COVID-19, paru le 02 avril et mis à jour le 10 avril courant ne semble pas pouvoir résoudre.

A cet écueil, il faut rappeler l’annonce d’une saison cyclonique active qui débutera le 1er juin prochain. Aussi, le devenir de l’église cocathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul apparaît-il, aussi incertain que l’après COVID-19…

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Vue générale depuis le Sud, 2008. Crédits photographiques © Nathalie Ruffin.
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Vue générale depuis le Nord-ouest, 2014 . Crédits photographiques © Nathalie Ruffin.

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