J'habite l'histoire
Mars 2020


Château de Gudanes
Rencontre avec Karina Waters


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Il était une fois, dans un passé pas si lointain, en 2013, Karina Waters et sa famille ont acheté un monument historique en ruine et abandonné dans le sud de la France. Caché dans une vallée montagneuse des Pyrénées, entouré de délicates fleurs sauvages et d’oiseaux chanteurs, malgré son était déplorable, le Château de Gudanes était une apparition à laquelle Karina n’a pu résister.

Parmi les difficultés des premiers jours de restauration qui ont suivi, Karina s’est rapidement retrouvée à faire régulièrement le pèlerinage entre la France et sa maison familiale à Perth, en Australie, pour gérer ce vaste projet.

Avec ses enfants encore à l’école à cette époque, des tensions ont commencé dans la famille. De ce fait, Karina a décidé de créer un blog et une page Facebook pour le Château afin que sa famille, à Perth, puisse suivre l’avancement de la restauration pendant qu’elle était en France.

Tout d’un coup, et de manière inattendue, l’aventure de leur famille et le blog et la page Facebook ont été partagés et l’histoire du Château a voyagé dans le monde entier. Dans les années qui ont suivi, l’histoire du Château n’a cessé de s'écrire.

Partout dans le monde, des personnes ont compris les nobles sentiments de Karina pour restaurer le Château, son esprit audacieux, son optimisme éblouissant et son courage non seulement pour gérer le projet mais aussi pour écrire à ce sujet.

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Historique

Durant le Moyen Age, l'industrie métallurgique se développe dans les grands domaines sylvo-pastoraux de la montagne. Les mines de Château-Verdun (Larcat et Pech) sont exploitées dès le XIIIe siècle, en concurrence avec celles du Rancié. Un château antérieur, qui appartenait aux puissants marquis de Salles, est en grande partie dégradé en 1580, lors des guerres de religion. Un dessin le représente en 1669 comme un bastion avec tours et échauguettes d'angle. Il est entièrement reconstruit au XVIIIe siècle : le château actuel est édifié entre 1741 et 1750 par l'architecte parisien Gabriel, pour le compte de Louis Gaspard de Salles, marquis de Gudanes, surnommé le « Roi des Pyrénées » en raison de sa notoriété et de sa grande fortune comme maître de forges de l'Ariège.

Le château de Gudanes se tient au bord d'une large butte terrassée, au confluent des deux vallées de l'Aston et de l'Ariège, dans un cadre de haute montagne à couverts forestiers et pacages d'altitude. Il est édifié à l'extrémité d'une longue esplanade constituant l'axe d'arrivée. Le château est constitué d'un corps de logis à 7 travées, orné d'un avant-corps central en légère saillie. Il est cantonné sur chaque côté par deux pavillons en très légère saillie également. L'ensemble présente une élévation à deux étages sur un premier niveau de soubassement, et une toiture d'ardoises percée de lucarnes. L'accent est mis sur l'horizontalité. Des chaînes d'angle soulignent les arêtes latérales de l'avant-corps central et des deux pavillons latéraux.

Le décor intérieur fait une large place au stuc. Les plafonds à la française sont masqués par le plâtre, les miroirs au-dessus des cheminées accentuent la luminosité des pièces et les pièces en enfilade du rez-de-chaussée sont abondamment ornées de gypseries au dessin raffiné. Un escalier majestueux à trois volées mène à l'étage, décoré lui aussi d'ornements rocaille. L'élégance parisienne de cette architecture surprend dans le cadre montagnard qui l'entoure.

(Sources : Base Mérimée)


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La Gazette du Patrimoine : Cette question a dû vous être posée mille fois, mais comment êtes-vous devenus propriétaires de ce château ?

Karina Waters : Tout a commencé quand notre fille, Jasmine, a passé un mois en France avec une amie française de la famille, pendant qu’elle était à l’école. Son père, Craig, suivait ses voyages sur l’ordinateur et donc, naturellement, des annonces immobilières pour des biens en France commençaient à apparaître. En très peu de temps, toute la famille a été séduite par l’idée d’acheter quelque chose en France, même si cela resemblait plus à un rêve qu’à une réalité.

Tout a changé après deux voyages en France, pour aller visiter plusieurs biens. Initialement, nous cherchions une petite ferme, idéalement sans besoin de rénovations. Cependant, notre fils a vu également des châteaux en vente, et l’idée a fait son chemin. Ben a repéré le Château de Gudanes à vendre sur Internet, et c’est lui qui a proposé d’aller le visiter, par simple curiosité. D’Australie, nous avons pris l'avion pour Paris et puis la voiture jusqu’en Ariège pour satisfaire cette curiosité, et au premier regard, nous sommes tombés complètement amoureux du Château.

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La Gazette du Patrimoine : Il y a eu « Un Américain à Paris » et aujourd’hui « Deux Australiens à Gudanes ». Comment avez-vous été accueillis lors de votre arrivée en France ?

Karina Waters : Tout au début, nous étions tellement enthousiasmés par cette idée d’un Château dans un pays lointain — comme un vrai conté de fée — que nous n’avions pas complétement réfléchis à ce que signifiait vivre dans un pays étranger, avec une langue que nous ne parlions pas, et à la responsabilité de posséder et restaurer un monument historique. L’adaptation à la vie Française, à la culture et à la langue n’était certes pas facile, mais après plusieurs années, nous avons finalement le sentiment d’avoir trouvé notre place ici, et de pouvoir appeler ce pays « Home ».

La Gazette du Patrimoine : Lorsque vous êtes entrés en possession des clés, quel fut la toute première chose que vous avez faite ?

Karina Waters : La première fois que nous avons vu le Château, nous avons pu voir seulement quatre des quatre-vingt-quatorze pièces, tellement l’état du bâtiment était mauvais. À cause des dégâts des eaux au fil des ans, les autres pièces n’étaient pas accessibles. Les plafonds et les sols étaient effondrés dans quatre-vingt-onze pièces, et le Château était considéré comme chantier dangereux. De ce fait, une fois en possession des clés, nous avons été condamnés d’admirer le Château de loin, et nous avons commencé les démarches pour pouvoir démarrer le projet de restauration gigantesque de ce magnifique lieu.

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La Gazette du Patrimoine : Gudanes, coup de foudre, coup de folie ou accomplissement d’un projet raisonné ?

Karina Waters : Sans aucun doute, coup de foudre. La connexion a été instantanée. Lorsque nous avons visité le Château pour la première fois, en passant le portail, nous avons eu le sentiment de passer le seuil d’un autre monde. Comme si nous étions transportés dans un rêve ou un conte de fée. La réalité a disparu et notre imagination a pris le dessus. Même après quelques années, le lieu est toujours magique, et ce sentiment, au moment de franchir le portail, est resté intact.

La Gazette du Patrimoine : Depuis votre arrivée en 2013, quels sont les travaux que vous avez réalisés ?

Karina Waters : Il a fallu près de trois ans pour pouvoir acheter le Château, ainsi que ses douze hectares de parc. Les documents ont finalement été signés au début de l’année 2013. L’achat d’un Château en ruine, classé Monuments Historique, dans un pays où nous ne comprenions pas la langue, n’était vraiment pas une chose facile. En plus, nous n’avions que très peu d’expérience en architecture, restauration, ni même en bâtiments anciens. Au moment où notre offre a été acceptée, nous avions vu seulement quatre pièces. Le reste du Château était inaccessible, sans plafond, sans sol, avec des murs envahis de moisissure, des champignons et des algues, et des arbres qui poussaient à l’intérieur et sur le toit.

De ce fait, la première partie du travail s’est focalisée sur la phase de consolidation. Les artisans ont reconstruit tous les murs, plafonds et planchers, après avoir vidé le Château de cinq cent tonnes de décombres qui se trouvaient à l’intérieur. Aujourd’hui, nous sommes enfin en phase de restauration.

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La Gazette du Patrimoine : Vous les avez faits seuls ou est-ce un travail d’équipe ?

Karina Waters : Tous les travaux ont été faits par une équipe. Le Château a été classé Classe I par les Monuments Historiques de France, la même classification que le Château de Versailles et La Tour Eiffel. De ce fait, notre équipe de restauration doit être encadrée et inclure des architectes et artisans habilités par les Monuments Historiques. Le reste de notre équipe se compose de restaurateurs professionnels venant de France, d’Italie et d’Angleterre. Ces membres sont arrivés pour travailler au Château de façon organique, et en œuvrant aussi souvent sur d’autres projets dans la région. Nous avons également plusieurs jeunes de notre village qui travaillent avec nos restaurateurs pour les aider.

Moi-même et ma fille, Jasmine, nous travaillons à côté de cette équipe afin d’apprendre les techniques et les procédés, afin de mieux comprendre la philosophie et les théories de la restauration, de la conservation et de la préservation. Nous avons eu des chefs de projets dans le passé, mais maintenant nous dirigeons et gérons le projet nous-même. Nous affirmons notre vision de la restauration et de l’avenir, parce qu’après tout, personne ne peut réaliser notre rêve mieux que nous-mêmes.

La Gazette du Patrimoine : Comment financez-vous ces travaux ?

Karina Waters : Chaque année, le Château ouvre ses portes et son cœur afin de partager son histoire, que ce soit par des visites guidées, en tant que simples visiteurs, ou en tant qu’invités pour des séjours tout au long des mois d’été. Le Château a également ouvert une boutique en ligne avec un mélange d’antiquités françaises et de trésors artisanaux inspirés du Château. En 2018, la boutique a publié un livre dédié à la restauration, le passé, le présent et l’avenir du Château. Tous les événements organisés au Château et les produits vendus contribuent directement et entièrement à la restauration du Château de Gudanes. Notre souhait a été de construire et assurer un avenir financièrement durable, et ce afin que le Château puisse continuer son incroyable histoire.

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La Gazette du Patrimoine : Votre château est une « star » des réseaux sociaux. C’est un hasard, ou est-ce le fruit d’une réflexion ?

Karina Waters :Tout a commencé quand, après avoir fait plusieurs allers-retours entre la France et notre maison familiale à Perth en Australie afin de démarrer la restauration du Château, j’ai décidé de partager l’avancement du travail sur un blog et sur une page Facebook avec ma famille. Avec notre fille et notre fils à l’université, et mon mari à Perth à plein temps pour soutenir financièrement notre projet, j’ai assumé seule la responsabilité du Château. De là, l’histoire du Château a été partagé, et le réseau social du Château a pu croître de manière organique.

La Gazette du Patrimoine : Comment expliquez-vous ce succès ?

Karina Waters : Nous trouvions que l’idée d’acheter, de restaurer et surtout de vivre dans un château en France était un rêve. L’opportunité de suivre de loin, par procuration, l’aventure de cette famille venue d’Australie qui souhaitait vivre leur rêve français — et le processus même de restauration du Château de Gudanes en France — fut sans doute une source d’inspiration pour beaucoup d’internautes qui, même de très loin, peuvent vivre ce même rêve.

La Gazette du Patrimoine : Avez-vous estimé le temps qu’il vous faudra pour arriver au terme des travaux, même si nous savons tous qu’avec ce genre d’édifice la fin n’arrive jamais.

Karina Waters : L’idée du projet et du processus de restauration est en évolution constante. Nous savons au fond de nous-mêmes que nous ne ferons qu’une partie du voyage du Château et qu’il nous survivra. Nous espérons que le travail que nous faisons permettra au Château de continuer son histoire dans l’avenir bien au-delà de nous.

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La Gazette du Patrimoine : Avez-vous eu des surprises en faisant les travaux ?

Karina Waters : Lorsque nous avons commencé la première phase des travaux, nos artisans ont découvert un trou dans le sol dans la partie du Château qui était autrefois un Château médiéval datant du XIIIe siècle. Ils ont commencé à creuser le trou, et nous avons trouvé un tunnel six mètres sous le sol (avec un plafond voûté). Nous avons décidé d’arrêter de creuser et d’attendre, afin de poursuivre l’excavation de manière professionnelle dans l’avenir.

Selon les habitants de la région, plusieurs tunnels d’évacuation existaient sous le Château. Il y a une porte barricadée sur les murs autour du parc du Château. La légende locale raconte que pendant la guerre des Demoiselles, entre 1829 et 1832, le propriétaire du Château a été roulé dans un tunnel du Château jusqu’au village dans un tonneau de bois afin de se protéger des rebelles. Qui sait ce que nous pourrons trouver dans le futur ?

La Gazette du Patrimoine : Votre Château est classé au titre des monuments historiques. C’est un avantage, ou plutôt un handicap ? Dans les deux cas, pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Karina Waters : Le Château étant un monument historique de Classe I, de fait, le processus de restauration peut prendre beaucoup plus de temps que pour la restauration d’un bâtiment classé différemment ou même non classé. Il faut plusieurs mois pour rassembler les éléments nécessaires avant d’envoyer les documents finalisés pour les autorisations. Après, il faut attendre pour voir si vos plans sont approuvés ou non.

Cependant, le temps d’attente est essentiel pour la restauration elle-même. Pour notre famille, pendant ce temps d’attente, nous avons compris que nous avions besoin d’apprendre à nous adapter plus lentement au Château, plutôt que le forcer à s’adapter à nous. L’important, ce n’est pas d’accélérer la restauration, mais plutôt de prendre le temps, de vraiment comprendre le passé du Château, et de concevoir les meilleures idées afin que la restauration conserve toute l’importance historique de l’édifice et d’assurer sa durabilité pour au moins autant d’années qu’il a déjà vécu.

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La Gazette du Patrimoine : Demain, quelqu’un vous offre trois fois le prix d’achat de votre château. Vous restez ou vous partez vous investir dans un autre projet de sauvegarde ?

Karina Waters : Le Château de Gudanes et nous, c’est pour la vie.

La Gazette du Patrimoine : Comment vous imaginez-vous dans dix ans ?

Karina Waters : Par définition, la restauration est toujours un processus continu. Le Château est aujourd’hui financièrement durable, et nous souhaitons que ça dure pour l’avenir.

La Gazette du Patrimoine : Question que nous posons à tous ceux qui « habitent l’histoire » : habiter l’histoire, rêve ou cauchemar ?

Karina Waters : Il est tellement facile de « romantiser » le passé en regardant en arrière (nous l’avons certainement fait), mais il y a de la beauté dans les défis de tous les jours, et ce qui compte vraiment, c’est notre vie aujourd’hui. Pour nous, malgré les moments difficiles inévitables dans un projet pareil, ça a toujours été un rêve.

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La Gazette du Patrimoine : Votre plus beau souvenir depuis votre arrivée ?

Karina Waters : Pour nous, il n’y a pas qu’un seul plus beau souvenir. En 2013, après notre première arrivée au Château, nous avons découvert une chatte qui vivait dedans. Nous avions l’impression qu’elle était le cœur et l’âme du Château, et elle nous a accueilli d’une façon qui nous a fait sentir que nous étions vraiment « chez nous » Elle est devenue notre chatte, Marie-Antoinette. À nos côtés, elle a eu des chatons et notre famille s’est ainsi agrandie. Au fil des années, nous avons accueilli dans notre famille deux chiens et quatre autres chats. Depuis notre arrivée, nous avons également fait des belles rencontres, et nous nous sommes devenus très bons amis avec des personnes de la région.

Enfin, nous avons le sentiment, que le meilleur souvenir pour nous aura été de créer et développer une vie en France, à travers les animaux, la restauration du Château et la communauté qui nous entoure.

La Gazette du Patrimoine : Et quel est votre pire souvenir depuis votre arrivée ?

Karina Waters : Le décès de notre chatte Marie-Antoinette.

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La Gazette du Patrimoine : Quel serait le premier conseil que vous donneriez à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans une aventure comme la vôtre ?

Karina Waters : Il y a beaucoup de choses à considérer et, au début, il est facile de se laisser emporter par l’aspect féérique de l’achat d’une propriété, sans bien comprendre la réalité et les répercussions de votre décision.

Tout d’abord, il faut être réaliste quant à votre situation financière et se poser plusieurs questions : êtes-vous prêts à déménager dans un autre pays ou de voyager entre un nouveau pays et le vôtre ? Avez-vous réfléchi aux implications pour les impôts ? Parlez-vous la langue ? Connaissez-vous la région, et les activités autour de votre bien potentiel ? Avez-vous réfléchi aux coûts de restauration ou rénovation (si besoin), et aussi aux coûts de maintenance ?

Cependant, après avoir bien réfléchi, il faut dire que de penser à acheter une propriété en France, ou n’importe où, est une phase très séduisante et il est également important de se laisser porter.
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La Gazette du Patrimoine : Gudanes est un livre dont vous êtes les héros. Comment imaginez-vous la fin de l’histoire ?

Karina Waters : Après plus de 800 ans d’histoire, nous ne pouvons qu’espérer de ne pas en voir la fin, mais nous aurons la satisfaction d’avoir été les « héros » d’un chapitre particulier, dans son histoire éternelle.


Liens utiles : 

Site web - https://www.chateaugudanes.com/
Facebook - 
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Instagram - @chateaugudanes

Crédits photographiques : Karina Waters