SECONDE VIE
Mars 2020


La Barben : seconde vie de 1000 ans d'histoire
En terre provençale


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Vianney d’Alançon est né le 27 février 1986 à Lyon. Sa famille paternelle est d’origine provençale et maternelle du Velay (Auvergne). Autodidacte, il a arrêté ses études secondaires en classe de première. Entrepreneur depuis l’âge de ses 17 ans, il a été attiré très tôt par le monde de l’artisanat où l’intelligence de la main est au service des savoirs faire et des vieux métiers traditionnels. Il est très attaché à la matière première en lien avec la nature (or, argent, cuir, pierres...). Vianney a créé plusieurs sociétés dans le domaine de la bijouterie, l'orfèvrerie, la joaillerie et la maroquinerie. Il s’attache aujourd’hui à perpétuer le vieux métier de la frappe de médailles (médailles de commémoration, de baptême, militaire) par le biais de sa société Laudate.

Passionné depuis toujours par le patrimoine architectural et naturel, ainsi que par l’histoire, il a racheté en 2016 la forteresse de Saint-Vidal. Depuis il s’est investi dans l’entreprenariat social en mobilisant des centaines de personnes autour du patrimoine pour recréer de la cohésion sociale dans des zones rurales, par le biais d’une association qu’il a fondée. Après avoir sauvegardé et réhabilité, avec l’ensemble des bénévoles auvergnats, la forteresse de Saint-Vidal, il écrit et met en scène des spectacles avec plus de cents comédiens bénévoles et professionnels. En 2020 après le rachat du château de La Barben, comme disait le grand peintre Marius Granet « le plus ancien château de Provence », il souhaite valoriser le site pour sensibiliser largement à la culture provençale millénaire, au patrimoine et à l’environnement.

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Bref historique du château 

Le « Castrum de Barbento » est mentionné pour la première fois en 1064 dans le cartulaire de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille. Château fort conçu pour la défense, il est bâti sur un énorme Rocher qui le rend imprenable. Le roi René, comte de Provence, duc d’Anjou, roi de Naples et de Sicile en devient propriétaire en 1439. Le bon roi, homme des arts et des lettres, le revend en 1474 à la famille des marquis de Forbin, puissante famille provençale qui en fera son fief et le gardera durant 500 ans. Pendant 5 siècles, le château continuera d’être un lieu romanesque, reconstruit, aménagé et décoré avec raffinement au siècle des Lumières, et sera le lieu de rencontres de grands personnages de l’histoire de France et de Provence. Le dernier marquis de Forbin-La Barben, vend le château à la famille Pons en 1963, qui le revend en 2020 après avoir créé, à 100 mètres du château, le plus beau zoo de Provence.

Château de Saint-Vidal
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La Gazette du Patrimoine : Vous êtes le nouveau propriétaire du Château de La Barben. Choix longuement réfléchi, ou coup de folie ?

Vianney d’Alançon : Choix réfléchi et coup de folie ! Comme disait Erasme, « C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous ».

La Gazette du Patrimoine : Vous êtes déjà propriétaire du Château de Saint-Vidal en Haute-Loire, comment allez-vous organiser votre vie entre ces deux propriétés ?

Vianney d’Alançon : La forteresse de Saint-Vidal est à 3h du château de La Barben. Ce n’est pas si loin, et je suis bien entouré, notamment de bénévoles qui sont hors du commun, qui se mobilisent en force pour la sauvegarde du patrimoine et la transmission de notre magnifique histoire de France.

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La Gazette du Patrimoine : Vous avez essuyé certaines critiques fort déplaisantes concernant Saint-Vidal et vous avez su transformer votre essai en succès fulgurant puisque cette forteresse médiévale est devenue un incontournable du patrimoine Auvergnat, faisant taire, au passage, bien des détracteurs. Pensez-vous que cela va être plus simple dans le Sud de la France ?

Vianney d’Alançon : Je crois surtout que lorsque l’on s’engage dans des causes, on voit toujours des récalcitrants de principe, et puis avec le temps tout s’apaise. A Saint-Vidal, les détracteurs étaient une poignée, certaines personnes n’existent que dans l’opposition… comme me disait un grand chef d’entreprise, un bon projet vaut toujours une bonne résistance. J’espère que cela vient de là…

La Gazette du Patrimoine : Pouvez-vous nous expliquer les grandes lignes de votre projet pour La Barben ?

Vianney d’Alançon : C’est un projet en quatre points :

• Sauvegarder et réhabiliter le patrimoine architectural et sauver des éléments en péril.
• Préserver, protéger et développer le patrimoine environnemental réuni en 400 hectares autour du château, avec l’objectif de retrouver le sens de la terre.
• Créer autour de professionnels et bénévoles des spectacles grandeur nature qui vont aider la population à renouer avec le fil de la transmission en redécouvrant la culture provençale.
• Mettre en valeur l’artisanat, les métiers et savoir-faire qui font partie du patrimoine immatériel de cette si belle région.

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La Gazette du Patrimoine : Il existe déjà différentes activités proposées dans le Château. Allez-vous continuer ce qui a déjà été entrepris ou allez-vous tout repenser ?

Vianney d’Alençon : Tout est à repenser. La visite classique autour des petites commodes et des lustres d’antan ne suffit plus à transmettre notre grande Histoire. Il faut savoir allier patrimoine et loisir si l’on veut toucher les jeunes générations, qui ne savent même plus qui est Dagobert, Henri IV ou Mac-Mahon…

La Gazette du Patrimoine : Vous évoquez un « Puy du fou » version Sud. Ne pensez-vous pas que le public fasse le choix de l’un ou de l’autre ?

Vianney d’Alençon : Ce sont les journalistes qui évoquent un Puy du Fou version sud. Comme je l’ai dit, nous ne serons pas comme le Puy du Fou, même si j’admire Philippe de Villiers qui fait un travail exceptionnel, en ayant créé et développé un parc d’attraction historique depuis 40 ans. Nous sommes centrés sur le patrimoine architectural et sur le patrimoine naturel. Nous sommes à La Barben, au cœur d’un site agé de plus de 1000 ans, qui fut château royal, nous sommes donc dans un lieu d’authenticité très fort.

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La Gazette du Patrimoine : Mais, d’ailleurs, allez-vous collaborer avec la direction du Puy du Fou et peut-être créer une sorte de circuit historique sur l’ensemble du territoire ?

Vianney d’Alençon : Non, chacun à sa façon de voir les choses. Le Puy du Fou a une stratégie mondiale avec l’Espagne et la Chine. Ce qui m’intéresse, moi, ce sont les circuits courts. C’est revenir aussi à une réalité enracinée, dans une région de France, ici en Provence, tout comme à Saint-Vidal, en Auvergne, qui a aussi une forte identité.

La Gazette du Patrimoine : Lors de votre première visite à La Barben, par quoi avez-vous été immédiatement séduit ?

Vianney d’Alençon : Par plus de 1000 ans d’Histoire — de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille au Roi René, en passant par 500 ans des marquis de Forbin —, par le sequoia rapporté de la Guerre d’Amérique, par les jardins de Le Nôtre ou encore par la chambre de Pauline Borghèse… le tout sur son rocher qui domine 400 ha de terre avec vue sur les Alpilles, l’étang de Berre et la ville de Nostradamus, Salon de Provence… avec le soleil qui dardait de tous ses feux… on ne peut qu’être séduit. N’est-ce pas ?

La Gazette du Patrimoine : Plus de 5000 m2 de bâtiments, c’est énorme. Comment pensez-vous occuper ce gigantesque espace intérieur ?

Vianney d’Alençon : D’abord il faut rénover ! Et après, j'ai plein d’idées qui sont à concrétiser. Ces pierres ont tant de choses à nous raconter. Mais sans la chair, la pierre meurt. Il faut beaucoup d’hommes pour relever notre culture et notre patrimoine, comme au temps des bâtisseurs de cathédrales. Alors cessons de consommer, devenons des bâtisseurs !

La Gazette du Patrimoine : 20 millions d’euros, c’est une somme importante. Pour un projet de cette envergure, il faut des investisseurs. A-t-il été facile de les convaincre ?

Vianney d’Alençon : Il n’y a pas d’investisseurs, il y a des aventuriers du patrimoine qui connaissent l’urgence de celui-ci.

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La Gazette du Patrimoine : Les collectivités locales ont été ravies d’apprendre que La Barben allait revivre et devenir un pôle touristique de premier ordre. Avez-vous une estimation du nombre d’emplois directs et indirects que vous allez créer grâce à ce projet ?

Vianney d’Alençon : Oui, plus de 150 emplois directs la première année et plusieurs centaines en indirect. Ce projet doit être bâti par les provençaux pour les provençaux, je ne doute pas que les collectivités locales et territoriales seront à l’écoute d’un projet aussi important pour la Provence.

La Gazette du Patrimoine : Comme il y a partout des détracteurs, n’avez-vous pas peur de certains écologistes qui crieront au scandale à cause du nombre considérable de visiteurs que le parc va attirer ?

Vianney d’Alençon : Le château est à 100 mètres du Zoo de La Barben, deuxième site le plus fréquenté des Bouches-du-Rhône. Avec plus de 300 000 visiteurs à quelques mètres, les visiteurs sont déjà là. Ma vision, comme je l’ai dit, est patrimoniale et environnementale. Sans idéologie. Il est urgent de redécouvrir la beauté de notre nature et je ferai tout pour la préserver. Il est important de prendre soin de la nature. Nous comptons collaborer avec de nombreuses associations qui protègent et préservent l’environnement naturel. Nous voulons réimplanter sur notre territoire une agriculture qui respecte le temps dont la nature a besoin.

La Gazette du Patrimoine : Dans un article du Figaro, on vous surnomme le « Chevalier du Patrimoine ». Maintenant que vous êtes propriétaire de La Barben, faut-il vous appeler Monsieur le marquis ?

Vianney d’Alençon : Je suis simplement Vianney d’Alançon et j’ai à cœur, dans l’héritage de Frédéric Mistral, de m’engager pour rassembler autour de notre culture populaire et notre histoire millénaire, ce qui est pour moi une immense fierté.

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La Gazette du Patrimoine : Vous êtes très jeune. Considérez-vous votre âge comme un atout, ou est-il parfois un véritable handicap ?

Vianney d’Alençon : J’ai l’âge de beaucoup de nos ancêtres qui sont morts au champs d’honneur en 1914 ou en 1940. Eux ont donné leur vie. L’âge ne signifie rien dans l’action. Seule la sagesse vient avec l’âge, et pour d’autre la couardise…

La Gazette du Patrimoine : Pardon pour cette question un peu privée, mais que pensent votre épouse et (plus généralement) votre famille de votre goût pour ces projets pharaoniques ?

Vianney d’Alençon : Ma famille est mon premier lieu d’enracinement avant mon pays. Si elle ne me soutenait pas, je ne me serais pas lancé dans cette nouvelle aventure. Mon épouse participe activement à mes projets !

La Gazette du Patrimoine : Enfant, vous vous voyiez déjà châtelain-entrepreneur ou vous imaginiez tout à fait autre chose ?

Vianney d’Alençon : Enfant et jusqu'à 16 ans, j’avais deux envies profondes : servir mon pays dans l’armée ou être agriculteur. J’ai eu un cheptel de moutons pendant ma jeunesse, la paysannerie m’a toujours beaucoup touché. C’est un monde sans paraître, où l’on travaille comme si tout dépendait de nous, en sachant bien que rien ne dépend de nous.

La Gazette du Patrimoine : Il y a de plus en plus de châteaux à l’abandon sur le territoire, vous ne pourrez pas hélas tous les sauver. Mais qu’éprouvez-vous quand vous voyez tous ces édifices condamnés ?

Vianney d’Alençon : Encore une fois, la pierre sans la chair n’est rien… Quand la pierre s’effondre, c’est notre chair qui meurt. Je crois beaucoup en l’émergence d’une génération qui veut renouer avec l’histoire des générations précédentes, qui ont vécu sur notre terre en France. Soyons enracinés dans notre histoire, mais tournés vers l’avenir et soyons plein d’espoir, car nous avons beaucoup de choses à bâtir. Alors soyons des bâtisseurs.

La Gazette du Patrimoine : On dit : « jamais deux sans trois ». La Barben n’est qu’une « étape » ou le projet d’une vie entière ?

Vianney d’Alençon : Saint-Vidal comme La Barben ne seront jamais une étape. Ce sont des murs porteurs, avec de solides fondations qui, j’espère, vont monter vers le ciel. La hauteur des murs ? je n’en sais rien…

La Gazette du Patrimoine : Vous envisagez son ouverture pour 2021. Quels sont les travaux d’urgence à réaliser afin d’assurer son ouverture et, surtout, assurer son avenir ?

Vianney d’Alençon : Nous avons en urgence, tout le clos couvert pour stopper les infiltrations d’eau dans les murs. L’intégralité des toitures et des terrasses sont à refaire. C’est un gros budget. Après cela, il va falloir sauver les peintures du célèbre peintre aixois Marius Granet et un grand nombre de structures et de décors intérieurs.

La Gazette du Patrimoine : Beaucoup de défenseurs du patrimoine sont heureux de voir le château pouvoir s’offrir une seconde vie. Mais un tel challenge, cela ne vous réveille pas la nuit ?

Vianney d’Alençon : Ça dépend des nuits… !

La Gazette du Patrimoine : Pouvez-vous nous donner votre définition du mot « patrimoine » ?

Vianney d’Alençon : Le dictionnaire Larousse dit à l'entrée « Patrimoine : « Bien qu’on tient par héritage de ses ascendants ». Je ne vais pas compliquer cette définition si simple. Elle exprime deux évidences, l’une, que nous sommes de passage sur cette terre, et l’autre, que comme ceux qui nous ont précédé, nous devons nous interdire d’être la génération qui dilapide notre patrimoine matériel et immatériel.

La Gazette du Patrimoine : Vous êtes désormais le propriétaire de 1000 ans d’histoire de la Provence. C’est à la fois un privilège et une lourde charge. Vous vous sentez prêt ?

Vianney d’Alençon : Après les moines de Saint-Victor il y a 1000 ans et après le roi René, en effet, c’est lourd… ! Alors je renonce au titre de propriétaire, je préfère être un témoin pour faire vivre à Saint-Vidal et à La Barben, le patrimoine et l’Histoire d’un pays tourné vers l’avenir.


Crédits photographiques : Château de Saint Vidal et Château de La Barben