Sans Issue ?
Février 2020

Cette rubrique est dédiée, non pas aux causes désespérées, mais plutot, aux causes désespérantes — des affaires insolubles qui mettent un peu plus en danger des patrimoines déjà fragiles.

Ancien presbytère de Mamers (72)


L’ancien presbytère de Mamers mérite hélas bien sa place dans cette rubrique « Sans issue ». En effet, malgré toutes les tentatives du collectif de sauvegarde de l’édifice, la situation est au point mort et le temps continue de faire son œuvre en dégradant un peu plus chaque jour ce qui est pourtant un des monuments les plus emblématiques de la ville. Jean-David Desforges, membre du collectif de sauvegarde nous présente les grandes lignes de cette triste affaire.

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Jean-David Desforges

Historien du patrimoine
Archéologue du bâti

Mamers, sous-préfecture du département de la Sarthe, a connu de grandes heures architecturales dans les années 1830-1860, avec d’importants chantiers édilitaires et des hôtels particuliers remarquables. Le point commun de cette collection d’édifices est d’être une partie non négligeable de l’œuvre conjointe de l’architecte Paul Lebart (1799-1873) et du talentueux touche-à-tout Achille Oudinot de La Faverie (1820-1891).

A Mamers, les deux hommes vont collaborer une dernière fois sur le projet du presbytère. Édifice qui est à lui seul, la synthèse de leur admiration commune pour l’œuvre de Philibert Delorme, au point que l’on y retrouve dans son élévation principale des citations de Villers-Côtterets, d’Anet et des Tuileries. Cependant, le presbytère de Mamers entretient d’autres liens insoupçonnés avec le Louvre.

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En octobre 2018, l’ancien presbytère de Mamers est une énième fois en vingt ans menacé de démolition. Il est même, cette fois, frappé d’ un arrêté de péril simple qui laisse envisager sa destruction. Ce qui n’est d’ailleurs pas la fonction première de cette procédure, faite pour imposer la mise en sécurité du bâti. Il paraît désormais indispensable d’en retracer l’histoire et pourquoi pas, de le proposer à l’inscription auprès des services de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) des Pays de la Loire, afin de le protéger contre cette éventuelle démolition.

Le dossier du presbytère demeure inabouti car systématiquement suspendu aux cycles des mutations de l’administration hospitalière. En effet, ce bâtiment est la propriété du Centre Hospitalier Intercommunal Alençon-Mamers (CHICAM), une structure à cheval sur deux communes, deux régions et deux Agences Régionales de Santé (ARS). Le positionnement administratif de cet établissement n’est donc pas fait pour faciliter la gestion du foncier, et à plus forte raison, celle d’un patrimoine architecturale relégué au degré zéro, c'est-à-dire à la notion de réserve foncière.

Cette fois-ci, l’arrêté de mise en péril a été demandé par le propriétaire à la municipalité de Mamers. Démarche étrange qui n’a toujours pas trouvé son explication mais qui est le catalyseur de la mobilisation du Comité de Sauvetage de l’ancien presbytère. Ce presbytère n’est pas protégé directement mais il se trouve en co-visibilité directe avec l’église Notre-Dame, classée Monument Historique depuis un siècle. Il habille la rue du 115e Régiment d’Infanterie et trône face à une place affectant plus ou moins la forme d’une esplanade hémicirculaire. Pour toutes ces raisons, les services de l’Unité départementale de l'architecture et du patrimoine (UDAP) n’envisage pas la disparition du presbytère. En outre, l’édifice fait écran au le Foyer de la Diversité, annexe du CHICAM, construit au début des années 1990, et dont les accès techniques seraient dès lors offerts aux regards. Les solutions envisagées par le CHICAM pour remplacer le presbytère : une toile coupe-vue, une palissade ou une haie. Au choix.

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En novembre 2018, le dossier semble plié : le CHICAM, poursuivant ses procédures fantaisistes, nomme un expert venu d’Angers qui, à force de regarder les détails pointés par sa cliente, une sous-directrice zélée de l’hôpital, décrète la destruction imminente du « patient ». De son côté, la DRAC oublie d’instruire le dossier d’inscription, puis le rattrape en décembre pour émettre un avis mitigé, pour cause d’arrêté de péril, et donc un refus de protection. Cet arrêté, bien que bancal et attaquable, est ainsi d’une efficacité hors norme. Une campagne de presse est alors menée par le Comité de Sauvegarde. Le CHICAM, en réponse, se désole de n’avoir jamais réussi à vendre l’ancien presbytère… sans jamais l’avoir mis en vente.

A titre personnel, j’offre un bénévolat de compétence au Comité de Sauvegarde pour dresser l’historique du presbytère et le mettre en perspective dans la carrière de ses concepteurs. Dans le même temps, Urgences Patrimoine arrive en renfort sur le dossier, ainsi que la Fondation du Patrimoine. L’architecte des Bâtiments de France réaffirme sa position pour la conservation du monument. Le maire se dit contraint par l’arrêté de péril qu’il a signé, mais intervient régulièrement en faveur de la conservation du monument.

Durant tout le mois de décembre, les recherches progressent, alors que l’arrêté de péril court. Parmi les éléments décisifs de l’histoire du presbytère, Frédéric Poupry, animateur du Comité de Sauvetage, pointe que le chantier de construction du presbytère a connu de graves difficultés de financement de 1854 à 1856. Napoléon III intervient directement pour le relancer avec de nouveaux subsides, d’abord refusés par le préfet de la Sarthe.

Mais pourquoi ?

L’explication réside, comme le montrent mes recherches, dans le réseau d’Achille Oudinot de La Faverie. Fils et petit-fils d’officiers de la Grande Armée, il est lui -même bonapartiste. Lors du 2 décembre 1851, il est officier de la Garde Nationale et participe à l’installation du nouveau pouvoir dans le département voisin de l’Orne. Malmené dans un contexte local républicain, il connaît des difficultés pour travailler. Il envoie régulièrement des demandes de secours à Paris, qui vont consolider ses relations avec les milieux parisiens, dont Édouard Dalloz, le comte de Nieuwerkerke, l’architecte Lefuel, qui commande alors à Achille Oudinot de La Faverie, des décors pour les extensions du Louvre de Napoléon III, précisément dans le même temps où il travaille sur ceux du presbytère de Mamers. Les sujets sont communs : des compositions mettant en scène des putti Renaissance.

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Nous rendons publiques ces recherches dans un document consultable en ligne. Début Janvier, Urgences Patrimoine lance une pétition, signée par plus de 2000 personnes. La mobilisation n’a jamais été aussi forte pour ce presbytère. De menues dégradations sont régulièrement constatées sur le monument, squatters ou malveillance ? Une vitre cassée par-là, un vasistas laissé ouvert par ci… l’eau est la meilleure alliée des destructeurs.

Les événements s’emballent à la mi-mars 2019. Le 14, nous apprenons par une source anonyme, ce qui en dit long sur le climat local, la présence de personnes dans le presbytère pour un diagnostic amiante, préalable à la démolition le lundi suivant. Nous décidons de nous rassembler pour témoigner de la destruction à la première heure en ouvrant un événement Facebook, qui fait craindre un rassemblement « type gilets jaunes » dans les arcanes de l’administration locale.

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Le fait est qu’effectivement, une entreprise de démolition est à pied d’œuvre. Dans les premières heures, les employés vident gravats et encombrants dans le jardin sans toucher au monument.

Que faire ? Nous envisageons le recours à un huissier puisque Monsieur le Maire nous confirme ne pas avoir signé d’autorisation de démolition. Il nous rejoint d’ailleurs dans la journée. France 3 et la presse locale s’emparent du sujet. On déplore aussi l’absence de tous les affichages réglementaires. Vers 11 h, l’entreprise commence à retirer les châssis de fenêtres, à sortir les menuiseries Second Empire, soigneusement empilées dans un camion. Alors nous lançons des « Halte à la destruction », « Vandales », sous l’œil de la gendarmerie à laquelle je iens d’expliquer par le menu, que la démolition est illégale. Enfin, c’est au tour du patron de l’entreprise qui n’agit que sur la présentation par son client de l’arrêté de mise en péril, l’option « destruction » surlignée en jaune fluo. Reconnaissant le litige, le patron cesse son intervention. Depuis le presbytère demeure à tous vents.

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Rapidement, Monsieur le Maire rencontre Monsieur le Directeur de l’Hôpital. L’ABF intervient de nouveau. Une nouvelle expertise se profile et peut-être un projet d’extension du foyer, intégrant le monument. C’est qu’on va appeler un moratoire.
La mobilisation ne faiblit pas. Nous organisons une conférence en avril, tandis que le presbytère se dégrade lentement. Mamers souhaite obtenir le label « Petite Cité de Caractère ». Nous y voyons une chance de conserver le presbytère. Les délais sur ce genre de dossier donnant une sorte d’élasticité au temps, nous attendons toujours à cette date que quelque chose de concret se décide.
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Pour signer la pétition, cliquez
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Crédits photographiques : Jean-David Desforges