J'habite l'histoire
Janvier 2020


La maison d'Alphonse Daudet à Draveil
Rencontre avec Isabelle Guignard


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La Gazette du Patrimoine : Vous habitez la maison d’Alphonse Daudet. Est-ce un hasard ou une coïncidence ?

Isabelle Guignard : Ni l’un ni l’autre. J’habitais dans un tout petit appartement à Paris et je cherchais un lieu d’habitation pour ma famille et pour abriter aussi une activité libérale. Je cherchais un lieu ayant du caractère, un lieu habité. C’est alors que je fus conviée à une soirée dans la maison Daudet organisée par le propriétaire, l’association de santé mentale du 13e Arrondissement de Paris, pour fêter la vente de la maison. Ce fut l’occasion de la découvrir. Quelques temps après, j’apprends que la vente n’a pas lieu et, sur un coup de tête, nous décidons de nous porter acquéreurs. Nous avons fait venir un entrepreneur en maçonnerie que nous connaissions bien pour évaluer l’état du bâtiment et nous nous sommes lancés dans l’aventure. Pendant un an, nous avons attendu la réponse. Ce fut alors l’occasion pour moi de me pencher sur l’œuvre et sur l’histoire d’Alphonse Daudet et de cette maison. Finalement nous avons pu l’acheter.

La Gazette du Patrimoine : Nous savons que vous n’aimez pas trop parler de vous, mais qui êtes-vous Isabelle ?

Isabelle Guignard : Je suis fille d’instituteurs, de ceux qui enseignaient en début de carrière en classe unique, en zone rurale, dans des conditions très dures et qui n’avaient de cesse de pousser les enfants aux études. Mon enfance s’est passée dans un milieu artistique, mon père étant peintre-graveur et poète ; ma mère une excellente photographe. J’étais entourée de livres. J’ai rencontré alors de nombreux artistes, certains très connus. J’ai fait une école de commerce, l’ESSEC qui venait tout juste d’arriver dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, parce que c’était une filière qui me paraissait ouverte. Ce fut une période passionnante. Parmi les étudiants : des musiciens, des comédiens, des passionnés de cinéma, des amoureux de leur région. Et puis il y a eu ces enseignants qui m’ont ouvert les yeux à d’autres perspectives, comme ce professeur d’économie Raymond-Alain Thietart. J’ai choisi des sujets d’études très variés : les moteurs d’aviation, le flamenco (eh oui !)… J’ai organisé ma première exposition de peintres, participé à mon premier festival de films… ce qui ne m’a pas empêché de suivre la filière comptabilité-gestion. Comme quoi, chacun trouve ce qu’il cherche ! Puis j’ai fait une carrière plutôt dans le domaine de l’organisation pour aboutir à la création de ma propre société de conseil, Kastalia, aujourd’hui fermée. J’ai quatre enfants dont je suis fière ; aujourd’hui quatre petits-enfants, bientôt cinq. La maison d’Alphonse Daudet et les enfants m’ont pris beaucoup de temps et d’énergie et mon mari m’a quitté alors que mon fils était tout petit. J’ai élevé mes enfants, entretenu la maison Daudet, développé les activités culturelles seule. Aujourd’hui, mes enfants et moi sommes très liés et chacun s’implique dans cette maison en fonction de ses compétences et de ses disponibilités. C’est donc un très long chemin qui a été parcouru sur le plan personnel et familial.

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La Gazette du Patrimoine : On parle toujours de combat quand il s’agit de patrimoine ; la sauvegarde de cette maison en est-il un ?

Isabelle Guignard : Oh oui ! C’est un combat sans fin, avec de multiples rebondissements ! Je pense qu’il faut être un peu fou pour mener ce genre de combat. Surtout dans un contexte familial difficile. Mais c’est aussi ce qui rend plus fort. Il a fallu tout d’abord informer les voisins de l’intérêt de la maison, lutter contre les idées reçues et les fausses rumeurs, se battre contre les jaloux (je me demande bien de quoi !) et les mauvais politiciens qui pensent que si on n’est pas avec eux, c’est que l’on est contre eux ! Il a fallu convaincre, ne pas être déstabilisé par des articles insultants, des lettres et coups de fils anonymes (eh oui ! même au XXIe siècle !), résister aux tentatives de récupération. Lorsque je suis arrivée, je me suis aperçue que de nombreuses personnes squattaient plus ou moins la maison : ils entraient comme chez eux, cherchant un téléphone ou voulant prendre une douche. Certains pique-niquaient dans le jardin, d’autres traversaient la propriété pour rejoindre la route ou ramasser les quelques fruits… Je me suis fait voler tous les outils de jardinage de mon père… Petit à petit, la situation s’est assainie et j’ai pu rencontrer parmi ces gens des témoins du passé, comme un ami du fils du jardinier des Daudet ou un prêtre qui a séjourné dans la maison lorsqu’elle était le « prieuré Saint-Jean », des universitaires et chercheurs liés aux Daudet (Alphonse, mais aussi sa femme Julia, ses enfants Léon, Lucien et Edmée, son frère Ernest…), Goncourt, Tourgueniev, Massenet... Au bout de 30 ans de lutte, la maison Daudet est reconnue localement et de nombreux habitants ou associations nous soutiennent. Je crois que nous faisons partie des « anciens » maintenant et nous sommes enfin acceptés.

La Gazette du Patrimoine : Vous avez choisi d’orienter votre projet autour du conte, non pas ceux de Provence, mais plutôt ceux de l’Afrique. Pourquoi ce choix et quel est votre public ?

Isabelle Guignard : J’ai choisi de créer une association « Les Bouches Décousues » pour promouvoir le conte, et plutôt le conte de terroir. Alphonse Daudet est connu surtout pour Les Lettres de mon moulin. Mais il avait aussi l’habitude d’improviser des contes pour son auditoire après le repas : il appelait ce moment « l’heure de jeu ». Ses contes sont ancrés dans le terroir provençal, mais pas seulement. Pour moi, le conte est universel. Nous ne privilégions pas plus le conte d’Afrique que celui de Provence. Le conte est arrivé tout naturellement dans cette maison avec Alphonse Daudet ; je n’ai fait que poursuivre cette lancée en invitant en résidence des conteurs et, plus généralement, des artistes de partout : Canada, Pérou, Espagne, Portugal, Belgique, Algérie, Maroc, Burkina Faso, Centrafrique, Bénin, Congo, Mali, Niger, Chine, Kosovo, Haïti, Sénégal, Côte d’Ivoire, Suisse, … mais aussi de Martinique, Bretagne, Normandie, Provence, Alsace, Berry, Pays Basque, … Pour moi, le conte n’est pas un spectacle, mais une rencontre humaine et un partage de culture. Je suis fascinée par la force du conte et par son universalité. Je pense qu’un conteur sera d’autant plus intéressant qu’il est lui-même passionné. C’est pourquoi je cherche à privilégier les rencontres entre artistes de cultures différentes, et ainsi sont nés des amitiés et des projets artistiques qui parcourent le monde. Quant au public, je m’intéresse justement à ne pas le scinder : un conte s’écoute et s’interprète tout au long de la vie. Il est destiné aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Pour moi, le conte rapproche les générations : il est avant tout humain… et il s’adresse donc à tous les humains. Nous faisons intervenir les conteurs auprès des jeunes (en tant que fille d’enseignants, je crois toujours que l’avenir est entre les mains des enfants), mais aussi des personnes handicapées, malades, … Dans notre société, nous avons de moins en moins de lieu pour se retrouver, pour rêver, pour prendre son temps… alors que nous en avons encore plus besoin qu’hier. Je crois donc dans le rôle d’un lieu comme la maison Daudet.

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La Gazette du Patrimoine : Malgré toute l’énergie dépensée, vous avez beaucoup de mal à restaurer cette magnifique maison, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

Isabelle Guignard : D’abord, il faut savoir qu’il y avait fort à faire ! Avec nos moyens et surtout notre énergie, mes enfants et moi avons déjà fait beaucoup : la toiture de la maison principale (détruite lors de la tempête de 1999 et que notre assureur a refusé de prendre en charge complètement, faisant fi de ses obligations contractuelles. Mais j’avais autre chose à faire que de le poursuivre : il fallait réparer les dégâts ! Il y avait aussi le jardin qui était en friche, des réparations sur les autres toitures, la mise en valeur de la charpente de la grange, ...  Progressivement nous avons réussi à dégager et réparer les sols de la maison, recouverts de matériaux inadaptés et qui faisaient pourrir les planchers, refaire les pièces, réparer des dizaines de fuites, refaire une grande partie des circuits électriques, installer eau chaude et chauffage dans une partie de la maison (celle destinée aux résidents), refaire la verrière, installer deux kiosques, remplacer ou restaurer quelques portes et fenêtres, … Mais aujourd’hui nous devons restaurer la maison du jardinier, à l’entrée de la propriété, terminer la restauration de la grange, remplacer les ouvrants anciens, installer un mode de chauffage dans les parties non chauffées … et enfin, s’occuper des façades pour qu’elles retrouvent leur aspect d’autrefois.

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Les difficultés techniques viennent de travaux faits antérieurement avec des matériaux modernes non compatibles avec les matériaux d’époque et qui aujourd’hui fragilisent le bâtiment (nombreuses fuites dues à l’apparition de fissures par exemple). Nous avons dépensé tout ce que nous pouvions et maintenant nous devons faire sans moyen. Nous pouvons aujourd’hui réunir autour de nous des artisans compétents et bienveillants comme Franco Vitalino et Jean-Claude Sauzéat que je remercie, un architecte du patrimoine passionné, Jean-Frédérik Grevet, des bénévoles qui souhaitent ainsi participer à la restauration de ce lieu qui les accueille pour leurs propres manifestations. Mais il nous faut des ressources pour acquérir les matériaux et pour payer les professionnels. Or, nous ne rentrons dans aucun système de financement. Nous avons la chance, cette année encore, de profiter d’un partenariat avec une école de réinsertion professionnelle voisine, l’Institut Maleterre de Soisy-sur-Seine, qui va nous permettre de construire un projet pour la maison du jardinier.

Il faut aussi savoir que l’entretien de la maison accapare une grande partie de notre temps, son animation encore plus... sans parler de l’administration (plus communément appelée « paperasserie »). Et nous n’avons aucune aide pour cela. Beaucoup de projets, de structures , etc… font miroiter des aides et demandent des jours entiers de travail pour monter un dossier qui n’est jamais retenu (est-il seulement lu ? J'en doute…), car je crois que la plupart du temps les dés sont pipés. Ces projets dits « bien intentionnés » n’ont à mon avis aucune notion de la réalité et ne servent qu’à mettre en avant des structures ou organismes peu professionnels. Ils réclament des devis récents qui finalement ne servent à rien, sauf à décourager les entrepreneurs qui refusent de les faire maintenant ! En ce qui nous concerne, ces dossiers n’ont fait que nous pénaliser !

Le seule bonne expérience que nous avons, c’est un financement par une Fondation suisse qui a permis de refaire une partie du toit de la grange sans nous écraser sous tout un poids de papiers inutiles. Après avoir espéré pendant des années, j’ai bien fini par comprendre qu’il n’y a pas d’aide à escompter du côté des structures publiques : nous ne correspondons à aucune de leurs lignes budgétaires. Il est évidemment impossible d’obtenir un prêt bancaire, car nous n’avons pas actuellement suffisamment de ressources pour leur garantir le remboursement.

La Gazette du Patrimoine : Vous avez sans doute établi un budget prévisionnel pour les restaurations urgentes. De combien auriez-vous besoin et quelles sont les urgences ?

Isabelle Guignard : Effectivement. Le plus urgent, en ce qui concerne le bâtiment, c’est la restauration de la maison du jardinier, à l’entrée de la propriété. Elle est constituée de deux petits bâtiments accolés : l’un comporte 2 pièces à vivre sur 2 étages, l’autre une grange et un étage avec également 2 pièces. Ce bâtiment possède de nombreux atouts (charpente, zinguerie, grille, … remarquables) mais nécessite en urgence des travaux importants (restauration de la charpente, de la zinguerie, des murs, des ouvertures…). On peut estimer à 150.000 euros la somme nécessaire pour sauver le bâtiment.

Nous devons également refaire la toiture en zinc de l’aile, terminer la restauration de la grange afin d’assurer la pérennité de l’ensemble de cette maison. Un budget de 100.000 euros permettrait d’assainir l’ensemble.

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Mais nous avons aussi d’autres impératifs. Afin de permettre de payer les taxes foncières et assurances du bâtiment et de rassurer les banquiers pour pouvoir obtenir des prêts, nous avons décidé d’ouvrir des chambres d’hôte et un espace de co-working. Nous pouvons dégager ainsi 5 chambres avec une cuisine et une salle de bain et 2 bureaux pouvant accueillir 6 personnes en tout. Une partie est déjà refaite, mais il reste à remplacer 5 fenêtres, refaire des sanitaires, installer un chauffage dans 5 pièces et remettre en état les couloirs et escaliers suite à une fuite (qu’il s’agit de réparer). Ceci correspond à un budget de l’ordre de 40.000 euros à condition de faire nous-mêmes une grande partie des travaux.

Nous sommes là sur deux niveaux d’urgence :
150.000 euros pour sauver le bâtiment dit « maison du jardinier » dans un premier temps;
100.000 euros pour assainir le reste du bâtiment;
40.000 euros pour monter un projet qui peut dégager des ressources pour le fonctionnement et la restauration intérieure.

La Gazette du Patrimoine : C’est surtout le pavillon de l’entrée qui est en souffrance. Vous avez fait venir plusieurs entreprises afin d’obtenir des devis, notamment l’entreprise Villemain, spécialisée dans la restauration du bâti ancien, mais hélas, personne n’a jamais donné suite. Savez-vous pourquoi ? Quel serait votre projet si ce pavillon était réhabilité ?

Isabelle Guignard : C’est pour moi source d’un grand étonnement. Des dizaines d’entrepreneurs (certains sollicités par moi-même, d’autres venus d’eux-mêmes) m’ont demandé à visiter cette maison du jardinier, mais aucun n’a fait un devis raisonnable. Quand je parle de « raisonnable », je ne parle pas prix, mais technique. Beaucoup ont proposé de recouvrir le tout de ciment et de poser des ouvertures modernes en plastique… voire de passer un coup d’antirouille sur les barres métalliques pour faire « plus beau » ! J’ai fini par repérer ce type de faux professionnels et par ne plus rien espérer d’eux. Les entreprises compétentes m’ont pris aussi du temps pour rien… pas de devis. Je suppose qu’elles sont sollicitées par de nombreux lieux et qu’elles savent bien que les dossiers que l’on compte monter ne vont pas aboutir… donc elles ne veulent plus perdre de temps à faire des devis. Un devis bien fait pour un bâtiment ancien réclame temps et compétence et les entreprises ont du travail qui les rémunère : alors pourquoi perdre du temps à faire des papiers inutiles ? Heureusement, nous avons ce partenariat avec les élèves du cours d’architecture de l’institut Maleterre qui va nous permettre d’avancer cette année encore.

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Je suis très pragmatique. Ce que je souhaite avant tout, c’est réussir à restaurer les bâtiments. Ainsi, cette maison peut avoir deux orientations :

- Soit servir de maison d’hôte et utiliser la grange pour en faire un centre de documentation autour de Daudet, de la littérature du XIXème siècle et du conte.

- Soit me permettre d’avoir enfin un lieu d’habitation pour moi-même, car, aussi étrange que cela paraisse, je ne fais qu’errer de pièce en pièce dans cette maison, donnant la priorité aux activités et aux artistes en résidence.

Cela libérerait un espace pour développer d’autres chambres d’hôte dans la maison dite principale. Tout dépend des aides possibles et des contraintes qui les accompagnent : je suis ouverte aux deux possibilités.

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La Gazette du Patrimoine : Êtes-vous soutenue par la municipalité de Draveil, qui pourrait trouver dans la réhabilitation de la Maison de Daudet une attractivité supplémentaire pour son territoire ?

Isabelle Guignard : Depuis quelques années, la municipalité de Draveil soutient à hauteur de 1500 euros (pour 2019) les activités de la maison Daudet : organisation de soirées contes, d’un festival, de visites, accueil de scolaires, participation aux évènements de la ville, … mais cela ne comporte ni la restauration, ni le fonctionnement de la maison Daudet. Là encore je vais rétablir une vérité que l’on ignore souvent. Si l’activité artistique est financée, c’est au mieux à hauteur de 70% des dépenses de l’association… ce qui signifie que les subventions sous entendent que la structure dépense également au moins 30% des charges. Donc il faut chercher un financement complémentaire (qui ne va pas dans la restauration). Dans notre cas, la subvention municipale couvre environ 1 à 2% des charges de l’association (qui ne comprennent pas les frais de restauration). Bien sûr, ce financement est le bienvenu et nous en avons besoin. Nous avons également une subvention du département plus conséquente pour les activités (mais toujours pas pour la restauration, ni les frais de fonctionnement). Ce n’est donc pas avec de telles subventions que l’on peut restaurer la maison Daudet : elles servent à entretenir son âme… mais pas ses murs. Elles sont utiles, mais restent très marginales. Nous n’avons donc aucune aide pour la restauration du bâtiment. En fait, avec l’expérience, je crois que de telles aides sont comme l’Arlésienne : on en parle, mais on ne les voit jamais ! Est-ce qu’elles existent ?

Aujourd’hui je ne compte que sur l’appui de privés, sur l’aide de l’état sous forme de défiscalisation des dons (réduction d’impôt de 66% du montant des dons pour les particuliers), sur les activités que la maison peut dégager tout en développant son caractère artistique et patrimonial.

La Gazette du Patrimoine : Des moments de doute et de découragement, vous devez en avoir. Qu’est-ce qui vous permet de ne jamais renoncer ?

Isabelle Guignard : Il y a des moments de doute. Mais quand je reçois des visiteurs enthousiastes, quand je vois un public emporté par le conte, des voisins qui viennent nous encourager, je cesse de douter. Je ne fais pas partie des gens qui baissent les bras, je suis même stimulée par la difficulté (mais il faut quand même que ça cesse un jour !) … et puis mes enfants et moi-même avons tant investi dans ce lieu que je ne peux pas abandonner. Quand des gens « bien intentionnés » me conseillent de vendre et de m’acheter un petit appartement moderne bien chauffé à la place pour finir mes vieux jours… je n’ai qu’une envie : leur montrer que cette maison vaut bien plus que ça et que je suis encore valide pour un bon moment… et surtout que je ne suis pas seule à porter ce projet : mes enfants sont là, et ils sont jeunes, eux ! Nous avons la chance d’avoir ce lieu de mémoire qui rappelle une époque très riche, des artistes talentueux, des valeurs auxquelles je crois : il n’est pas question de renoncer !

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La Gazette du Patrimoine : Vous vous dévouez entièrement à ce projet, alors comment vivez-vous ? Les visites sont-elles payantes ?

Isabelle Guignard : Moi, personnellement je vis de très peu. Je suis correspondante de presse et je cultive mon jardin tout en élevant des poules. Je suis de l’ancien temps (qui revient actuellement d’ailleurs…) : je fais mes conserves et mes confitures, entre autres. L’association a quelques subventions, comme je l’ai indiqué plus haut. Mais elle vit surtout du bénévolat de mes enfants et de moi-même, de l’aide d’amis et de dons (le plus souvent en nature) de nombreux voisins. Il y a un véritable réseau de bienveillance et d’aide autour de la maison et je sais que je peux compter sur les « amis de la maison Daudet » pour équiper les chambres d’artistes, pour donner ou prêter toutes sortes de choses : peinture, outils, échafaudage, matériaux divers, plantes, vaisselle, meubles, livres, … Les visites ne sont pas payantes, mais on peut y acheter notamment des livres, édités par notre association. Nous demandons une participation pour les spectacles, mais le plus souvent, elle est insuffisante pour rémunérer – même au minimum – les artistes et intervenants. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons ouvrir des chambres d’hôtes et un espace de co-working.

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La Gazette du Patrimoine : Cette maison fut pourtant un haut lieu de la culture française au XIXe siècle. Pouvez-vous nous dire qui venait ici ?

Isabelle Guignard : Alphonse Daudet a acquis cette maison avec ses droits d’auteur en 1887, alors qu’il était connu. Mais il était également malade et avait du mal à se déplacer. Deux raisons pour qu’il y reçoive de nombreuses visites. La mère de Julia y avait sa chambre. L’ami Edmond de Goncourt, parrain de la jeune Edmée Daudet, avait sa chambre au deuxième étage. Il venait régulièrement à Champrosay. Il y est mort en 1896. Ce fut pour son ami Alphonse Daudet l’occasion d’écrire un texte émouvant, « Ultima », qui rapporte les derniers moments du plus âgé des frères Goncourt à Champrosay. L’ami Nadar (de son nom Félix Tournachon) venait régulièrement depuis sa maison située dans les bois de Champrosay. François Coppée venait aussi en voisin, ainsi que Edouard Drumont. Alphonse Daudet recevait dans sa maison de Champrosay de nombreux amis écrivains, peintres, musiciens : parmi ceux-ci Leconte de Lisle, Huysmans, Tourguéniev, Maupassant, Théodore de Banville, Sully-Prudhomme, Emile Zola, Marcel Proust, Pierre Loti, Frédéric Mistral, Rosny Aîné, Augusta Holmès, Emma Calvé, Jules Massenet, Reynaldo Hahn, Whistler, Eugène Carrière, Auguste Rodin, … On peut retrouver l’ambiance des soirées de Champrosay dans le Journal des Frères Goncourt.

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La Gazette du Patrimoine : Mais au fait, savez-vous pourquoi Daudet a acheté cette maison à Draveil, car on l’imagine toujours habitant le sud de la France et quand l’a t’il acheté ?

Isabelle Guignard : Alphonse Daudet est « monté » à Paris à l’âge de 17 ans et a vécu à Paris ou en région parisienne pendant 40 ans jusqu’à sa mort, à l’âge de 57 ans en 1897. La maison de Champrosay était pour lui une maison de villégiature. Il l’a acquise à l’âge de 47 ans. Le grand-père de sa femme Julia, Jacques Navoit, avait une propriété à Vigneux. Daudet y a séjourné l’année de son mariage — c’est d’ailleurs là qu’il a terminé le manuscrit du Petit chose. A la mort du grand père, les beaux- parents d’Alphonse Daudet, les Allard, ont loué l’ancienne maison du peintre Eugène Delacroix, dans le quartier de Champrosay à Draveil. La famille y séjournait régulièrement. C’est l’époque de Tartarin de Tarascon, des Contes du lundi et des Lettres de Mon Moulin, entre autres. Puis ils ont acheté une maison à Champrosay , dite « maison Allard », dans laquelle les Daudet avaient leur bureau. Alphonse Daudet s’y réfugiait pour écrire, notamment ses premiers romans à succès, comme Fromont Jeune et Risler Ainé. Enfin, il a réussi à gagner suffisamment d’argent pour acheter une propriété à lui, avec ses droits d’auteur : la « maison d’Alphonse Daudet ». Elle est située dans ce même quartier de Champrosay, à mi-chemin entre la maison de Delacroix et celle des Allard. Il disait : « Moi propriétaire ! C’est incroyable ». Cette maison offrait un grand parc, un jardin, l’accès à la Seine : autant de lieux qu’Alphonse Daudet affectionnait. Il aimait être proche de la nature, mais aussi proche de Paris (où il se rendait en prenant le train à la gare de Ris-Orangis… comme aujourd’hui). Il pouvait y vivre avec ses enfants, mais aussi ses amis. D’ailleurs il avait réservé une chambre pour sa belle-mère et également une autre pour son ami Edmond de Goncourt. Celui-ci se sentait bien chez ses amis Daudet et était le parrain de la fille d’Alphonse Daudet, Edmée (qui s’appelait Edmée justement en lien avec Edmond). En 1896, Edmond de Goncourt, séjournant chez ses amis Daudet à Champrosay, trouve la mort dans cette maison.

On dit qu’à l’époque où Alphonse Daudet a acquis la maison de Champrosay, il avait été sollicité pour acheter la maison de sa tante, à Fontvieille, en Provence. Mais il a choisi de se fixer en région parisienne, probablement appuyé par sa femme Julia. L’acquisition de cette maison est donc un réel choix, dans un quartier qu’il connait bien, qui l’a vu arriver tout jeune artiste, au fort accent provençal et peu connu.

La Gazette du Patrimoine : Pour conclure, dites-nous pourquoi il faut absolument donner un avenir à ce patrimoine ?

Isabelle Guignard : Je commence à avoir beaucoup vécu, et je ne peux m’empêcher d’exprimer ce que je ressens. Je trouve que notre société perd la mémoire. Peu de jeunes s’intéressent à notre histoire, à notre culture… tout simplement parce qu’ils ne la connaissent plus… Or, je crois que nous avons tous besoin de nos racines pour pousser : nous devons nous appuyer sur notre passé pour nous développer.

Le XIXe siècle est une période très riche. Alphonse Daudet, dont tout le monde connait le nom, est un personnage mal connu, souvent caricaturé. Tout comme les Goncourt. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux et leurs écrits sont encore d’actualité. Relisez Le secret de maître Cornille, interrogez-vous sur la notoriété de La Chèvre de M. Seguin, qui fait encore couler beaucoup d’encre… et découvrez tous les romans aujourd’hui oubliés, comme La Belle Nivernaise  ou Jack.

Le patrimoine de cette maison se situe aussi bien au niveau du bâti (mélange d’architecture paysanne et bourgeoise, travail remarquable du bois, du zinc, du fer, …), du jardin et de son environnement (qui constitue une grande partie de l’inspiration d’Alphonse Daudet), de l’œuvre et de la vie d’Alphonse Daudet, mais aussi de sa famille (qui mérite à être mieux connue), des amis artistes hôtes de cette maison.

Dès l’acquisition de la maison, nous avons cherché à l’ouvrir à tous. Elle est un véritable centre culturel depuis près de 30 ans. Elle reçoit des artistes francophones de toutes cultures. C’est un lieu d’échange et d’ouverture. De nombreux projets sont nés dans cette maison : livres, spectacles, festivals, etc… Elle reçoit chaque année entre 4000 et 4500 visiteurs et est connue à l’étranger. Un professeur de Lettres est venu tout spécialement du Canada pour la visiter. Nous recevons sans cesse des chercheurs, des metteurs en scène, des écrivains, des conteurs, des enseignants, … et des touristes. Une famille de fous a décidé de tenter l’impossible en l’ouvrant au public et en la faisant revivre à travers des artistes contemporains … et ils ont réussi. Cependant il faut maintenant poursuivre le projet, restaurer l’ensemble des bâtiments et consacrer une partie de la maison à sa survie financière en s’appuyant sur son image et sur le travail artistique de 30 années.

C’est une grande maison, qui permet de mener des projets culturels complémentaires, comme des résidences, des animations, des expositions, des rencontres culturelles, des spectacles, des créations… mais qui reste de taille raisonnable. A l’origine, la construction était de qualité. Voilà pourquoi le coût de la restauration reste relativement bas en regard de ses énormes possibilités et du travail accompli dans le milieu littéraire et artistique, mais aussi auprès du public aussi bien local qu’international depuis 30 ans.

Alphonse Daudet est un écrivain connu, reconnu, et qui touche toutes les générations, mais on ignore la plupart de son œuvre littéraire et de sa vie. Cette maison est également liée à Edmond de Goncourt, un écrivain qui mériterait d’être mieux connu : fin gourmet, critique d’art, curieux, amateur de cirque, grand collectionneur, défenseur des petites gens et notamment des femmes du peuple, des prisonnières tenues au silence… Je pourrais parler pendant des heures de ces personnages fort attachants et tellement mal connus.

Il y a encore beaucoup à apprendre et à découvrir sur ces artistes et leur époque… et la maison Daudet, la seule possédée par l’écrivain, est un lieu privilégié pour aller à la rencontre de notre patrimoine littéraire. Bien des pas ont déjà été faits : nous sommes entourés de spécialistes de cette époque et constituons depuis 30 ans une documentation qui commence à devenir riche.

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Pour suivre toute l’actualité de la Maison de Daudet :

http://maison.alphonse.daudet.over-blog.com/preview?fbclid=IwAR3xWmd71Ci9eX7EDRJk4-9nTjhzUro3nzQmE3GllGXFUoEWcG0L_AHOQXI

Pour soutenir le projet de sauvegarde de la Maison de Daudet, vous pouvez envoyer vos dons à l'adresse suivante :

La Maison de Daudet
33, rue Alphonse Daudet
91210 Draveil

Vos dons sont déductibles des impôts à hauteur de 66% pour un particulier et 60% pour une entreprise. Chèque à libeller à l'ordre de : Maison Alphonse Daudet