Nécrologie
Février 2020



Journées funestes du patrimoine à pointe-à-pitre
« La Renaissance » : auto-combustion et clap de fin ?

Nathalie Ruffin


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Nathalie RUFFIN, architecte du patrimoine, est née à Fort-de-France. En 1994, elle obtient une maîtrise d’arts plastiques à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne puis, elle entame le cursus menant au diplôme d’architecte dplg qu’elle obtient en 1999. Diplômée de l’école de Chaillot en 2005 et après sept ans d’expérience au sein du cabinet de Jean-François LAGNEAU Architecte en Chef et Inspecteur des Monuments Historiques honoraire, elle crée en 2007 « Couleur et Patrimoine ». Cette agence d’architecture se caractérise par l’étude et la direction de projets de restauration, sur des monuments historiques inscrits et classés, en Guadeloupe et en Martinique.

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© P. Candalen, années 1930, archives départementales, 5 Fi 20_59

Samedi 25 janvier 2020, 16h30 : le glas semble sonner pour l’ancien cinéma « La Renaissance », monument historique inscrit par l’arrêté n° 2009-22 du 09 janvier 2009 qui protège la façade ouest, les toitures ainsi que les galeries latérales nord et sud en ferronnerie d’art. L’édifice abandonné depuis près d’une double décennie, puis fragilisé faute d’entretien, est ravagé par des flammes dont l’origine est dite inconnue. Hasard ou rendez-vous du calendrier ? Ce samedi 25 janvier 2020, se déroulent les Journées du Patrimoine pointois, dorénavant tristement mémorables.

Construit sur la Place de la Victoire de Pointe-à-Pitre, en remplacement de la salle de spectacle incendiée en 1882, l’ancien cinéma « La Renaissance 7 avait été inauguré le 22 mars 1930. Sa façade principale ouest, apparenté au style Art Nouveau, aurait été dessinée par Henri Gabriel professeur de dessin au lycée Carnot. L’édifice compte 500 places. Il est élevé à un moment où le cinéma s’affirme comme un réel divertissement populaire. Il participe ainsi à l’émergence d’une nouvelle typologie cinématographique : celle d’une salle de projection associée à une scène de théâtre.



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Collection privée, années 1930

La salle de cinéma, la première du type en Guadeloupe, accueille une programmation variée tandis que le théâtre prête sa scène aux spectacles vivants comme aux distributions de prix scolaires. Malheureusement, au début des années 1960, les représentations théâtrales se raréfient, à la faveur de l’exploitation cinématographique, devenue, de fait, plus rentable. Aussi, la bâtisse est-elle remaniée par les architectes Gérard-Michel Corbin et Gilbert Amarias, chargés d’adapter les intérieurs à cette modification fonctionnelle. Les changements suivants sont ainsi opérés :

  • fermeture des galeries latérales nord et sud affectées aux blocs techniques et sanitaires ;
  • doublement structurel des murs nord et sud découlant de la clôture des galeries.

De même, une petite salle de projection est créée en 1980 sous le balcon. En dépit de ces améliorations d’usage, le cinéma ferme ses portes en 2002.


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Fonds Catan, années 1930, archives départementales, 5Fi 20_202

Dix ans s’écoulent avant que la démarche d'acquisition lancée par la communauté d'agglomération Cap Excellence soit finalisée le 22 mars 2012. Suivent alors plusieurs années de tergiversations conduisant au résultat connu : en 2016, la collectivité qui intègre la réhabilitation du cinéma dans un projet culturel de renouvellement urbain projette de le démolir complètement pour le reconstruire, en reconduisant la façade principale ouest à l’identique. Le Préfet de Région et la conservation des Monuments Historiques, opposés à cette décision arbitraire, demandent à la collectivité d’étudier un projet de réutilisation de ce Monument Historique Inscrit qui soit basé sur un programme.

En février 2017, la façade principale ouest sur la Place de la Victoire est étayée à la hâte, avant le passage des défilés carnavalesques. En 2018, la communauté d'agglomération Cap Excellence confie à une équipe de maîtrise d’œuvre, qualifiée en projets sur Monuments Historiques, la réalisation d’une étude sanitaire de l’édifice. Ce travail a pour objet de mieux connaître les pathologies qui l’affectent et de prévoir leur évolution probable.

En mars 2018, suite au diagnostic structurel du cinéma, la communauté d'agglomération Cap Excellence, est alertée sur l’oscillation de la façade principale ouest sur son plan vertical et le risque de son dévers bidirectionnel sur l’espace public. Cette mise en garde est notamment accompagnée de la préconisation d’un dispositif d’étaiements adaptés ainsi que de l’élargissement du petit périmètre de sécurité mis en place en 2017. Le maire prend alors un arrêt de péril. Une déviation de la circulation automobile et piétonne est mise en place tandis que la communauté d'agglomération Cap Excellence étend le périmètre de sécurité vers l’ouest. Le diagnostic des installations électriques observe que le réseau est complètement hors d’usage. De plus, le transformateur EDF est hors de fonction, eu égard à l’absence de la majorité de ses câbles d’alimentation.

C’est alors que se font jour plusieurs questions. Quelle pourrait être l’origine de cet incendie ? Comment un Monument Historique clos, au sein d’un périmètre de sécurité et non alimenté électriquement, peut-il s’embraser ? A qui profite ce délit ?

Car il s’agit bien d’une infraction. En effet, la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un immeuble ou d'un objet mobilier classé ou inscrit au titre des monuments historiques constitue un délit sanctionné par l'article 322-3-1 du Code pénal. La peine maximale prévue est de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende ; elle peut être portée à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise avec la circonstance prévue au 1° de l'article 322-3. Les peines d'amende mentionnées peuvent être élevées jusqu'à la moitié de la valeur du bien détruit, dégradé ou détérioré.

L’application des mesures de confortement d’urgence aurait dû ou pu permettre de prendre le temps nécessaire à la mise en œuvre d’un dispositif d’étaiements efficaces pour contrecarrer le mouvement de la façade ouest et, à l’élaboration du programme scientifique et culturel (PSC), en amont de la validation du projet de réutilisation par l’autorité compétente, en matière de Monuments Historiques.

La restauration de la façade ouest sur la Place de la Victoire ayant été reconnue techniquement possible sous conditions financières, comme celle des ouvrages de ferronnerie. Afin d’appuyer les conclusions de l’étude sanitaire sur les pathologies des bétons observées sur le bâtiment, l’association de architectes du patrimoine dépêche sur le site construit, la section corrosion et protection cathodique de l’entreprise Freyssinet, en avril 2019. Le rapport de visite de Freyssinet débouche sur a même conclusion que l’équipe de diagnostic : une restauration était techniquement envisageable.

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Crédit photographique © David Grégoire

L’embrasement de l’ancien cinéma « La Renaissance » ne surprend personne. Il fait simplement suite aux incendies successifs apparus dans le centre historique de Pointe-à-Pitre depuis plusieurs années. Brasiers plus nombreux et fréquents depuis des mois, décimant méthodiquement de précieux témoins du patrimoine architectural pointois. L’émoi suite à l’incendie de « La Renaissance « est palpable et populaire. Les uns se souviennent de la projection du premier film, les autres se remémorent leur premier baiser. Des images de films de cow-boys et d’indiens reviennent à la mémoire.

C’est une fin théâtrale en un acte et il n’y aurait guère plus qu’à rédiger laconiquement un éloge funèbre :

Ce fut un très beau bâtiment,
Un remarquable témoin de la période de reconstruction de la Guadeloupe, après le cyclone de 1928,
Un temple laïc de la culture qui, devenu vieux et démodé,
Fut abandonné de presque tous.
Victime
De querelles d’égos surdimensionnés,
De laxisme,
De procrastination,
D’inconscience patrimoniale,
De déni mémoriel.


Mais ne nous y trompons pas : au-delà de l’incendie de cet édifice, c’est la Ville d’art et d’histoire de Pointe-à-Pitre qui se consume, victime de l’inertie décisionnelle. La fumée noire s’échappant du bâtiment semble annonciatrice d’une absence de vainqueur. C’est une Ville d’art et d’histoire dont le cœur se calcine lentement, incendie après incendie, et ce dans un silence assourdissant tant le sujet est tabou.

Alors surtout, Mesdames et Messieurs, continuons donc à « dormir sur nos deux oreilles » car, SILENCE, ÇA BRÛLE…

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