L'art et la manière
Octobre 2020


Charles Dubus
L'Ingres attitude



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La Gazette du Patrimoine : Avant toute chose, quel fut votre parcours avant de décider de vivre pleinement de votre art ?

Charles Dubus : Il fut atypique. Après mon bac d’arts appliqués, j’ai intégré l’Ecole Supérieure d’Art du Nord-Pas-de-Calais de 2011 à 2013, à Tourcoing. J’ai quitté cette école à cause de la pauvreté de son enseignement en dessin, de l’absence d’instruction en composition picturale et, surtout, à cause de son rejet fatiguant de la tradition. Toute technique et vision classique était systématiquement écartée, en même temps que son auteur. Certains répondraient qu’on va aux beaux-arts pour développer son discours et sa démarche d’artiste contemporain, pas pour apprendre à dessiner et peindre… Dans ce cas, pourquoi s’embêter à donner des cours de dessin de nu, de perspective ou de couleur pour débutants ? Les seuls ateliers qui m’intéressaient étaient ceux de gravure et d’argentique…

Tout en restant autodidacte et ayant commencé à travailler, j’ai décidé de reprendre mes études à la case départ, par la faculté d’histoire de Lille 3, après quoi je me suis dirigé dans le patrimoine dès 2017… A l’UPJV d’Amiens, avec la licence professionnelle patrimoine, que dirigeait la moderniste Olivia Carpi – une année fructueuse. J’y ai écrit un mémoire sur la valorisation de l’ancien refuge de l’abbaye du Mont Saint-Eloi à Arras, le plus vieil édifice de la ville, mais très peu connu. Enfin de 2018 à 2019, j’ai intégré le Master Patrimoine de l’Université d’Artois. J’ai effectué un stage très spécial et ultra formateur sous la direction de l’archéologue Christopher Manceau. C’est là que j’ai commencé l’illustration de restitution archéologique, avec des sites béthunois. Je lance officiellement mon activité d’artiste en décembre 2019. C’est ainsi que j’ai commencé à vivre mon art pleinement.

L'ancien refuge de l'abbaye du Mont Saint-Eloi à Arras, 2019, graphite

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La Gazette du Patrimoine : Vous êtes encore très jeune. En tant qu’artiste, n’avez-vous pas l’impression d’être un peu un extra-terrestre à l’heure où l’ordinateur remplace de plus en plus la main de l’homme, même quand il s’agit d’art ?

Charles Dubus : Justement, les productions artistiques à l’ancienne ont énormément d’adeptes ou de pratiquants de tous âges et ce, partout dans le monde — même dans les coins les plus improbables où e réseau Internet remplace les musées, les galeries et les livres.

Concernant la production visuelle dans la valorisation du patrimoine, la médiation culturelle et le tourisme : il est vrai que le travail
handmade est encore perçu comme désuet par apport à l’infographie (c’est-à-dire le graphisme 2D ou 3D assisté par ordinateur). Mais ce que je déplore vraiment, c’est que le dessin ou la peinture sont souvent catalogués comme « élitistes » ou réservés aux connaisseurs – quelle ironie lorsqu’un tel discrédit vient de la part de professionnels de ces secteurs ! En réalité, dire cela relève de la mauvaise foi ou de l’idiotie et revient à nier le pouvoir évocateur et la sensibilité des médiums traditionnels au profit d’un outil plus aseptisé.

Par ailleurs, cette habitude de recourir systématiquement à l’infographie pour transmettre ou promouvoir la culture n’est pas si anodine. En effet, ces techniques de l’image sont d’abord liées à des domaines marchands et industriels, aux jeux-vidéos, au cinéma (donc au spectacle, au divertissement), aux arts appliqués (pub, design…). Les caractéristiques d’un outil marketing efficace sont-elles forcément adaptées à la culture et au patrimoine ? Je suis curieux de savoir ce qu’en diront les historien(ne)s de l’art ou les chercheurs en iconographie dans quelques décennies...

La Gazette du Patrimoine : Quel est votre regard sur l’art contemporain en général ?

Charles Dubus : Il y a beaucoup de maîtres contemporains (peintres et dessinateurs) dont j’admire les œuvres ! Je pense surtout aux américains Charles Weed et Stephen Bauman, à l’italien Roberto Ferri, au russe Pavel Dolsky, à l’espagnol Miquel Wert et à tant d’autres dont les réalisations sont grandioses et inspirantes ! Mais si votre question portait sur « l’art contemporain » au sens entendu du terme, celui qui regroupe les mouvements qui se veulent transgressifs, subversifs, conceptuels, actuels, plastiques, ma vision n’est pas la même… Comment pourrai-je mentir là-dessus?

La Gazette du Patrimoine : Pensez-vous qu’il y a toujours, même au XXIe siècle une opposition entre le classicisme et le modernisme ? Ou du moins entre les adeptes du trait et ceux de la couleur comme à l’époque de Poussin et Rubens ?

Charles Dubus : Si de tels clashs existaient encore de nos jours entre artistes figuratifs, cela serait assez folklorique ! Les approches techniques sont aujourd’hui confondues ; les académies d’art (chinoises ou russes par exemple) trouvent en chacune d’elles (par les tons, par la structure, par le trait, par la couleur etc…) des choses intéressantes à exploiter et des leçons à tirer. Il y a en revanche un point sur lequel tous les artistes figuratifs « sérieux » se rejoignent : le dessin constitue la base de tout art et la peinture est du dessin à plus de 50%.

La Gazette du Patrimoine : Pourquoi avoir fait du patrimoine un de vos sujets de prédilection ?

Charles Dubus : Mon rapport au patrimoine est finalement assez romantique. Le patrimoine fait aujourd’hui presque figure de martyr. C’est en tout cas ce que la situation m’évoque.
Aussi le patrimonial s’est lié naturellement à l’artistique, presque fatalement je dirais. La sensibilité pour l’un et l’autre était là au départ.

Il est regrettable d’utiliser le patrimoine pour vendre une production visuelle puérile, chose que je vois de plus en plus, surtout de la part de sociétés de graphisme ou d’illustration spécialisées. C’est réduire le patrimoine à une babiole, à un élément décoratif, un truc qui fait joli et tendance. C’est faire du fast-food en diffusant un message erroné sur le patrimoine.

La Gazette du Patrimoine : Dans quel but ?

Charles Dubus : L'aventure commence seulement… Néanmoins, je tente, par le biais de mes créations, de (re)valoriser le patrimoine en travaillant avant tout sur son sens, son contexte et sa perception. J’espère ainsi déclencher chez le spectateur une réflexion, tout en évoquant l’origine ou le passé de l’objet patrimonial en question. Je pense que cette vision-là vaut la peine d’être proposée.

Saviez-vous que les peintres de Barbizon sont à l’origine des premières mesures de protection de la nature, et sont instigateurs de la notion même de patrimoine naturel ?

La Gazette du Patrimoine : Vous maîtrisez également l’art du portrait. Là encore, à l’heure ou le numérique « immortalise » de façon instantanée n’importe quel sujet, existe-il encore une clientèle pour le portrait d’artiste ?

Charles Dubus : Il existe bien entendu une clientèle désireuse d’acquérir ce genre de production. Le portrait est un art qu’il pourrait être intéressant d’employer plus souvent à la place de la photo. Même si la photo apporte quelque chose au dessin, il me semble qu’il faut bien distinguer les deux, car ce sont deux mondes différents.
Autoportrait, été 2020, fusain et craie blanche sur papier vergé teinté
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La Gazette du Patrimoine : Quel serait le plus beau compliment que l’on pourrait vous faire par rapport à votre travail ?

Charles Dubus : Me confier des sujets importants et intéressants à travailler, peut-être…

La Gazette du Patrimoine : Vous êtes originaire du Nord et fier de l’être. Pour un artiste, n’est-ce pas un handicap de résister aux « sirènes » de la Capitale ?

Charles Dubus : À vrai dire, je connais encore assez peu Paris. Je viens de débuter mon activité. Y existe-il des sirènes ?
Sinon, il est vrai que j’ai une certaine affection pour ma région natale ; Il y a une force, des paysages, une identité, une histoire qui m’inspirent beaucoup et qui me sont familiers ! Nous y sommes attachés.

La Gazette du Patrimoine : Vous arrive-t-il parfois de vous essayer à des compositions abstraites ?

Charles Dubus : Non. Sauf quand je gribouille une feuille pour aiguiser mon crayon… Plus sérieusement, je m’interroge sur la séparation figuratif/abstrait : donner quelque chose à montrer sur un support comporte forcément quelque chose de représentatif, non ? Les artistes qui font de l’abstrait eux-mêmes jouent avec les formes, les couleurs, les textures, quand ils ne cherchent pas directement à susciter un sentiment ou une réflexion chez le spectateur par des techniques visuelles… Un gribouillis sur un fond blanc montre un gribouillis sur un fond blanc. Et si jamais le gribouillis symbolise ou cherche à évoquer quelque chose de spécial, alors c’est le même principe qu’en représentation figurative. Qui oserait encadrer ses feuilles gribouillées pour les exposer ou les vendre ?

La Gazette du Patrimoine : Si vous deviez vous consacrer uniquement à un seul thème, lequel choisiriez-vous ?

Charles Dubus : L’historique, avec des paysages et des architectures comme décors. Il y aurait à découvrir, à comprendre et à faire.

La Gazette du Patrimoine : Quand vous avez fait part de votre volonté de vivre de votre art à votre entourage, quelle a été leur réaction ?

Charles Dubus : Des encouragements de la part de certains proches, du doute ou du flegme parmi d’autres, du rejet plus ou moins assumé de mon choix de la part de quelques personnes… Certains étaient restés sur mon abandon du cursus beaux-arts, qu’on croyait à tort être mon élément.

La Gazette du Patrimoine : Si l’on devait vous comparer à un artiste « classique » du XVIIIe ou du XIXe siècle qui serait-il ?

Charles Dubus : Bonne question, cela changerait constamment et il y a tellement d’artistes à ces époques ! Aujourd’hui, peut-être à un préraphaélite ou à un romantique ?

La Gazette du Patrimoine : En France, on n’aime pas trop parler d’argent, mais quel est le prix moyen d’une de vos œuvres ?

Charles Dubus : Pour commander la production d’un original (un portrait, un paysage, une architecture, etc…), je fourni des grilles d’indications tarifaires précises à qui souhaite des informations (prix par techniques, formats, supports, sujets, etc...). Il n’y a donc pas de prix moyen, puisque pas de prix fixes et pas de budgets fixes. Si le seul souci était que les gens n’aiment pas trop parler argent…

La Gazette du Patrimoine : Participez-vous à des expositions ou êtes-vous plutôt un « homme de l’ombre » ?

Charles Dubus : J’ai déjà participé à quelques expos collectives… Et de prochaines expositions sont prévues ou s’organisent !

La Gazette du Patrimoine : Qui sont vos clients ?

Charles Dubus : Selon la nature du projet, il peut s’agir d’institutions publiques, de services spécialisés, de sociétés privées, et bien entendu de particuliers souhaitant commander un original.

La Gazette du Patrimoine : Quelle est l’œuvre la plus représentative de votre travail ?

Charles Dubus : C’est un projet de portrait de reconstitution d’un grand personnage historique, sur lequel je travaille en off depuis presque un an. Il s’accompagne d’une notice méthodologique. Cela marquera un pas dans ma démarche et mes recherches. Vous aurez donc la surprise ! Vous pouvez suivre mon travail sur mon facebook, mon Instagram ou mon portfolio en ligne : https://charlesdubus.tumblr.com/ .

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La Gazette du Patrimoine : Dans 20 ans, vous vous imaginez comment ?

Charles Dubus : A priori, je devrai me retrouver en train de dessiner ou de peindre ! J’espère que ma technique et mon style auront bien progressé !

La Gazette du Patrimoine : Une citation qui vous définit?

Charles Dubus : « Ce que l’on sait, il faut le savoir l’épée à la main. Ce n’est qu’en combattant qu’on acquiert quelque chose, et, dans l’art, le combat, c’est la peine qu’on se donne. » Ingres.


Instagram :
https://www.instagram.com/charles_dubus/?hl=fr
Portfolio numérique :
https://charlesdubus.tumblr.com/
Crédits photographiques : Charles Dubus