Secrets de l'iconographie
Octobre 2020


Le lévrier, symbole breton ?
Blandine Hirschauer


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Blandine Hirschauer est étudiante en Master 1 de Droit public général et en L2 d’Histoire de l’art.

Diplômée d’une licence en Histoire, elle est passionnée par le patrimoine et cherche à le faire connaître.

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Les fervents Bretons, attachés à l’hermine blanche s’étonneront sûrement de ce titre curieux. Et pourtant… en remontant à des noms célèbres tels que Charles de Blois, le duc Jean IV, François Ier, ou même la grande Anne de Bretagne, nous nous apercevons de l’ancrage de cet animal dans l’histoire, la légende bretonne et même dans sa pierre avec les deux exemples des villes de Nantes et de Vannes.

Charles de Blois : le lévrier Yoland, symbole du duc

Lévrier et Bretagne : tout a commencé par une histoire populaire sur la terre des légendes de Brocéliande. Le duc Jean III de Bretagne (1286-1341), après avoir secouru une vieille dame en détresse, s’est vu offrir, par cette dernière, un magnifique lévrier blanc du nom de Yoland qui « n’appartiendra jamais qu’au duc de Bretagne et à lui seul ».

Après la mort de Jean III, le duché est remis entre les mains de Charles de Blois (1319-1364) mari de Jeanne de Penthièvre la boiteuse, fille du défunt. Charles de Blois est connu pour ses grandes valeurs et sa piété. Rappelons en effet qu’il a été béatifié par l’Eglise catholique en 1904. Mais son règne est amputé par la Guerre de succession de Bretagne avec le frère de Jean III : le comte de Montfort. Le démêlé est scellé par la bataille d’Auray le 29 septembre 1364. Cette rencontre est narrée par le chroniqueur Pierre le Baud dans sa
Compillation des cronicques et ystoires des Bretons, datée de 1470-1473. Dans cette chronique, nous retrouvons Yoland qui, selon la légende, aurait changé de camp avant l’engagement des combats, pour se mettre aux pieds du comte de Montfort. Mythe ou histoire? Le fait est que Charles de Blois décéda les armes à la main et le Comte devint, par la même occasion, le grand Jean IV duc de Bretagne.

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Duc Jean IV (1365-1399) : gardien de légende ?

Cette remarque de Dom Lobineau dans son ouvrage
Les Histoires de Bretagne (1707) est pertinente tout autant que perturbante : « pour les hermines à collier et à chaînes pendantes, si le duc n’a pas voulu faire allusion par là au lévrier blanc de Charles de Blois, qui abandonna son ancien maître à la bataille d’Auray, il est difficile de deviner pourquoi il fit mettre au col des hermines une chaîne branlante et un collier ». Dom Lobineau fait référence à l’Ordre de l’Hermine fondé en 1381, au lendemain de la bataille d’Auray. L’attribut du lévrier en héraldique est en effet d’avoir un collier au col, ce qui ne l’est absolument pas pour l’hermine, animal sauvage. Pour Dom Lobineau, le rapprochement avec le lévrier d’Auray semble évident et témoignerait donc d’une fervente croyance dans le récit de Yoland vingt ans après les faits. Cette allusion de Dom Lobineau est dans tous les cas une parfaite illustration de l’enchevêtrement de l’animal avec l’histoire bretonne. Elle est également une trace historique précieuse, puisque la Révolution française a détruit la dernière trace du collier de l’Ordre de l’hermine.

Anne de Bretagne : le lévrier, emblème du patrimoine nantais

Même si administrativement la ville de Nantes n’est plus considérée comme faisant partie de la terre bretonne, il est important de rappeler son rôle historique pour la Bretagne. C’est en effet dans cette cité que se trouve le Château des Ducs de Bretagne. Après le décès de François II en 1488, sa fille, la duchesse Anne, décide d’agrandir la demeure et fait sculpter son blason sur la tour. Non sans surprise, ce dernier représente deux lévriers soutenant l’écu de Bretagne et orné de la couronne ducale. Cette modification — il est important de le noter — se situe chronologiquement avant même le rattachement de la Bretagne au royaume français.

Durant son second mariage avec Louis XII, Anne de Bretagne rehausse le Grand Logis en symbolisant sur la pierre son couple royal. Louis XII est représenté comme toujours par un porc-épic et Anne de Bretagne…par un lévrier.

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Pour rendre hommage à ses défunts parents, elle fera également sculpter, en la Cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Nantes, un magnifique tombeau à François II et Marguerite de Foix où l’on peut voir encore aujourd’hui de beaux lévriers, symbole de fidélité.

Sans mauvais jeu de mots, nous ne pouvons manquer d’observer que le lévrier semble avoir laissé sa patte dans l’histoire bretonne et mériterait d’être reconnu, lui aussi, comme un emblème du pays de l’Ouest.

François Ier : un attachement à la France sous le signe du lévrier

Le lévrier croise le règne du roi François 1er par deux fois. Lors d’un événement douloureux qui ne concerne pas directement la Bretagne et par un événement festif, qu’est le rattachement de la Bretagne au roi de France.

Après la terrible défaite de Pavie en 1525, François Ier aurait reçu de la part de l’empereur Charles Quint un Galgo, c’est-à-dire un lévrier ibérique, pour le divertir dans sa captivité. Il est étonnant d’observer en parallèle la peinture d’Alexandre-Marie Colin,
Charles Quint reçu au palais du Louvre par François Ier (1843), qui expose en premier plan un lévrier exagérément protégé par le serviteur. Le peintre aurait-il voulu rappeler avec malice le pénible événement de 1525 ?


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Le lévrier est en plus, pour François Ier, le témoignage du rattachement de la Bretagne au royaume de France. En effet, la belle cité de Vannes accueille en août 1532 l’union des États bretons au grand roi des François. Lors du Traité d’Union perpétuelle, les Bretons offrent à leur nouveau suzerain de magnifiques lévriers.

Cadeau peu anodin lorsque nous avons en tête l’épisode d’Auray, mais également la signification héraldique de ce chien de chasse. Il est en effet l’emblème de la fidélité à laquelle les Vannetais sont tant attachés; « A ma vie » n’est-elle pas, après tout, leur devise ?

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L’erreur héraldique : le blason de la ville de Vannes

Si vous avez l'occasion d’entrer dans l’Hôtel de ville de Vannes vous pourrez vous étonner de voir sur le blason de la ville un lévrier à la place de l’hermine. Cette erreur héraldique, pourtant connue (
cf. Alfred Lallemand), a continué durant une grande partie du XIXe siècle et perdure encore aujourd’hui sur la belle bâtisse de l’Hôtel de ville. Cette histoire passionnante est entremêlée de problèmes législatifs sur la question des armoiries après 1789.

Ce blason provient d’une erreur d’appréciation au XIXe siècle du dessin de Charles d’Hozier ((1640-1732) dans son Armorial général de France, l’hermine ressemblant étrangement à un lévrier.

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La confusion provient également d’un manque de connaissance de la science héraldique (pour la grosse caisse ci-dessous par exemple) puisque la couronne ornant le blason est comtale. Or, elle aurait dû être, au pire, ducale * et, au mieux, en suivant la nouvelle législation napoléonienne, murale (comme l’hôtel de ville ci-dessus).

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L’hôtel de ville de Vannes a été construit entre 1880 et 1886 et est le seul édifice sur lequel perdure l’erreur. La porte Saint-Vincent arborant les véritables armes de la ville a été restaurée en 1891, date à laquelle on a placé aux pieds de Saint Vincent les armes de la cité. Il faut citer, sans entrer dans trop de détails, que la loi du 5 avril 1884 a détaché les collectivités de tout assujettissement vis-à-vis de leurs armoiries municipales. C’est donc entre les années 1884 et 1891 que les armes de la cité ont retrouvé leur sens historique.

Même si la représentation du lévrier est peu connue, il est amusant de voir de quelle manière cet animal s’est immiscé dans la vie bretonne et est devenu l’un de ses symboles.


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* La couronne ducale ou comtale est une distinction personnelle ne devant figurer que sur les armoiries personnelles et familiales. Mais mettre une couronne ducale aurait été plus compréhensible historiquement.


Crédits photographiques :

Photo 1 et 2 :
La bataille d’Auray de Pierre le Baud. Gallica.
Photo 3 et 4 : Château des ducs de Bretagne. Trad’Histoire.
Photo 5 : Lévrier présent sur le tombeau des parents de la duchesse Anne. Beatriz Sirvent.
Photo 6 : Alexandre-Marie Colin,
Charles Quint reçu au Palais du Louvre par François Ier, (conservé à l’Assemblée Nationale). Gérard Blot.
Photo 9 : Mosaïque de l’hôtel de ville de Vannes . Gwendal Le Mouël.
Photo 10 : Charles d’Hozier
Armorial général de France. Bibliothèque nationale de France.
Photo 11 : Grosse caisse de la Garde nationale de Vannes. Musée d’Histoire et d’Archéologie, Château Gaillard, Vannes.