Place des grands hommes
Octobre 2020
Louis Ducos du Hauron, inventeur de la photographie couleur et du cinéma
Lumière sur un grand oublié de l'histoire
Jean-Louis Guidez


Dans la foulée, la municipalité agenaise et son maire Jean Dionis lui demandaient d’étudier un programme de manifestations pour le jour du centenaire de la mort de Louis Ducos du Hauron, le 31 août 2020. Mais le Covid a réduit les célébrations à un dépôt de gerbe sur la tombe de l’agenais, la pose d’une plaque de rue rappelant que Louis Ducos du Hauron est l’inventeur de la photo couleur et une exposition réalisée par l’association retraçant son histoire, et la présentation, au musée d’Agen, de l’acquisition faite du mélanochromoscope de Ducos du Hauron dont il n’existe que deux autres exemplaires aux musées de Bièvre et de Châlon-sur-Saône.
Les manifestations ont été reportées au 31 août 2021. Elles comprendront l’inauguration au musée des Beaux-arts d’Agen d’une salle permanente consacrée au savant agenais, un colloque au théâtre municipal scientifique le matin et tous publics l’après-midi . Il sera présidé par Alain Aspect, physicien quantique de renommée internationale, qui est originaire d’Agen. Adolescent, pour se rendre au lycée, chaque jour, il empruntait précisément la rue Louis Ducos du Hauron, ce qui a peut-être décidé de sa vocation de physicien. Par ailleurs, l’église des Jacobins, reconvertie en vaste salle d’exposition, inaugurée par une exposition des œuvres de Goya en 2019, accueillera une présentation internationale de photographes coloristes.
L’association des amis de Louis Ducos du Hauron a prévu aussi plusieurs animations propres, comme la sortie d’une bande dessinée pour enfants et adultes, consacrée à la vie et aux inventions de Louis Ducos du Hauron. Elle a par ailleurs créé, d’ores et déjà, un site Internet consacré au savant agenais et que l’on peut consulter : www.ducosduhauron.com.
Qui est Louis Ducos du Hauron ?
le nom nobiliaire traduit une appartenance à la haute société du XIXème siècle. Il est né à Langon, rue Notre Dame le 8 décembre 1837, et est en effet issu d’une famille privilégiée et aisée. Son père Jérôme, dit Amédée, exerce la charge de fonctionnaire des contributions indirectes. Il a épousé Marguerite Boivin, originaire de l’Agenais et petite fille d’un député du Tiers aux États Généraux. Louis est le second enfant d’une fratrie de trois. Alcide, l’aîné, est né à Coutras le 29 janvier 1830. C’est un juriste, fin homme de Lettres et poète raffiné. La cadette de la famille, Berthe, est née à Libourne en 1842.
Dans ces familles, on en va pas à l’école du peuple. On a des précepteurs à domicile — et non des moindres — rétribués en fonction de leurs connaissances. Louis en fait l’ expérience et présente des dispositions multiples. S’il se montre passionné par les sciences, notamment la physique et la chimie, il présente aussi des dispositions pour la peinture, un art lié de près à la lumière dont il s’efforcera toute sa vie de percer les divers secrets pour ses inventions. Il est aussi un jeune Mozart qui, dès l’âge de 15 ans, est un pianiste remarqué. En particulier par Camille Saint-Saëns, avec lequel il entretiendra une correspondance nourrie. En revanche, Louis, s’il deviendra un chercheur assidu, ne saura jamais monnayer des découvertes pourtant révolutionnaires et sera bien incapable de subvenir à ses besoins. Au point qu’il vivra toute sa vie aux crochets de son frère aîné Alcide qui sera en quelque sorte son mécène et son protecteur, avec d’ailleurs les recommandations de son père quand il s’éteint en 1863 dans le Gers, où ses fonctions de percepteur l’ont conduit. Il fait jurer sur son lit de mort à Alcide de prendre soin de son frère cadet Louis et d’encourager ses recherches scientifiques. Ce qu’au demeurant Alcide fait déjà.
Alcide héberge son cadet qui le suit dans chacune de ses nominations professionnelles de juriste et subvient à ses besoins, notamment à Agen où il s’installe dès 1864 comme avocat à la cour impériale. Louis a installé son laboratoire dans le grenier de la maison. Il déménagera à chacune des nouvelles affections d’Alcide qui vient d’épouser une lot-et-garonnaise du Temple-sur-Lot, Marie Césarine de Foucauld. Quatre ans plus tard, Alcide est élevé aux fonctions de juge au tribunal de Lectoure puis revient à Agen en décembre 1869 en qualité de juge au tribunal civil.

Le pianiste de 15 ans a depuis longtemps abandonné le clavier pour la chambre noire, et a focalisé son esprit et ses recherches sur la lumière. Le premier au monde, il photographie en couleurs, en prenant deux vues d’Agen de surplomb et en contrebas d’un coteau, celui de l’Ermitage.



Aristote avait déjà noté à son époque que la lumière du jour, pénétrant par un petit trou aménagé dans le mur d’une chambre obscure (qu’en physique on appelle Sténopé : le principe de l’optique photo de base), projetait sur le mur d’en face l’image inversée de l’extérieur. En 1515 Léonard de Vinci décrit le même principe de la « camera obscura ».
L’italien Cardan a l’idée de fixer sur le petit trou une lentille convergente. L’optique photo est née. Il faudra attendre le XIXe siècle pour que Nicéphore Niepce parvienne à fixer chimiquement cette image sur un support sensible. C’est la naissance de la photographie noir et banc appelée alors héliographie. En 1839 Niepce s’associe à Louis Daguerre qui invente le daguerréotype, une plaque de verre étant le support de la photo réalisée avec une chambre de bois. Nadar, de son côté, va mettre au point en 1853 le flash au magnésium pour photographier dans l’obscurité les catacombes et viendra à Agen rencontrer Louis Ducos du Hauron, le photographier et évoquer avec lui les améliorations à apporter à la surface photosensible qui enduit les plaques de verre des négatifs impressionnées par la lumière. Du bitume de Judée initial, on est passé au chlorure d’argent et au gélatino-bromure.
Les couleurs primaires : rouge, jaune et bleu
Avec son précepteur, adolescent, Louis Ducos du Hauron s’était initié à l’art pictural. Il a appris alors qu’un mélange égal de jaune, de rouge et de bleu, couleurs primaires, donne un gris neutre et qu’en dosant ces trois couleurs inégalement, on produit une infinité de nuances. De là naît l’idée dans son esprit de physicien de séparer ces 3 couleurs et de les réunir ensuite en les superposant.
C’est le point de départ de ses études assidues qui dureront sept ans avant qu’il n’aboutisse à la concrétisation de la trichromie, le principe de la photo couleurs.
Il fait tailler chez un miroitier d’Agen trois verres colorés qui vont lui servir de filtres pour impressionner tour à tour ,avec sa chambre photographique, trois plaques de verre qui, superposées en sandwich, restituent la couleur originale du sujet photographié.
Louis Ducos du Hauron avait d’abord par contact réalisé un collotype de feuilles d’arbres diversement colorées par l’automne et des pétales de fleurs. C’est la toute première photo couleurs au monde.


Satisfait de sa trichromie, Ducos peut alors écrire : « Le soleil n’a pas trompé mon attente. Il fait un usage judicieux de la palette réduite à trois couleurs ». La trichromie de Ducos du Hauron est toujours d’actualité. Son principe a permis à Kodak de produire des pellicules souples couleurs, comme ensuite Agfa et Fuji. Sa trichromie est aussi à la base de l’impression des photos couleurs, de la télévision couleurs et aujourd’hui de la photo numérique.
Sous les pavés agenais... le cinéma
« Le jeune savant du Midi », comme l’appellent les membres de la Société française de photographie, auxquels il a présenté ses toute premières héliochromies en mettant au point la trichromie, avait aussi inventé préalablement les prémices du cinématographe dès 1864, date à laquelle il dépose son brevet, que concrétiseront, 30 années plus tard, les frères Lumière qui reprendront son brevet. Ils viendront aussi le rencontrer à Agen et échangeront une correspondance substantielle avec Louis Ducos du Hauron.
Le vœu protocinématographique que forme Louis Ducos du Hauron est de reproduire, comme il l’explique dans son brevet, « une scène quelconque avec toutes les transformations qu’elle a subi et de reproduire ainsi le défilé d’un cortège, celui de manœuvres militaires, une scène théâtrale, les évolutions de danseuses, le mouvement des vagues, la course des nuages, l’éruption d’un volcan. » Il définit en même temps l’accéléré et, son corollaire, le ralenti, le travelling (il précise, à ce propos : « la chambre noire sera installée sur une petite voiture que l’on fera avancer » ), la photo panoramique à l’aide d’un miroir courbe, la stéréoscopie (en doublant, dit-t-il, les appareils de prise de vue), le cinéma en relief. C’est l’anaglyphe et la future 3D. Son brevet comporte aussi des dessins et une caméra réversible en projecteur et même la pellicule crantée en celluloïd.
Louis Ducos du Hauron a même tenté un essai sur le principe stroboscopique devant son habitation agenaise en « filmant » des ouvriers pavant la rue à l’aide de demoiselles. Mais hélas ce « bout d’essai » n’a jamais été retrouvé.
Légendes photos et crédits photographiques :
Photo 1. Louis Ducos du Hauron photographié par Nadar. Musée d’Agen.
Photo 2. Le schéma de la trichromie inventée par Louis Ducos du Hauron (Selon Charles Sarion président de l’Association agenaise des amis de Louis Ducos du Hauron).
Photos 3 et 4 : Les deux premières photographies au monde en couleurs, deux vues d’Agen (Musée d’Agen).
Photo 5 : Vase au bégonia, verre de vin et tulipe, trichromie transparente à la gélatine pigmentée (ou diaphanie) de Louis Ducos du Hauron, 1879. Musée d’Agen.
Photo 6 : le chromophotoscope @ Christian Moulier.
Photo 7 -Le schéma de Louis Ducos du Hauron contenu dans son brevet d’invention du cinématographe. Il a dessiné en graphique le projecteur réversible en caméra et la pellicule souple crantée. (Reproduction Ass. des amis de Louis Ducos du Hauron, selon brevet déposé à l’Inpi).