OUTRE-MER
Octobre 2020


L'église du Sacré-Cœur de Balata à Fort-de-France monument historique inscrit
Un chef-d'œuvre des Arts Décoratifs à La Martinique

Nathalie Ruffin


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Nathalie RUFFIN, architecte du patrimoine, est née à Fort-de-France. En 1994, elle obtient une maîtrise d’arts plastiques à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne puis, elle entame le cursus menant au diplôme d’architecte dplg qu’elle obtient en 1999. Diplômée de l’école de Chaillot en 2005 et après sept ans d’expérience au sein du cabinet de Jean-François LAGNEAU Architecte en Chef et Inspecteur des Monuments Historiques honoraire, elle crée en 2007 « Couleur et Patrimoine ». Cette agence d’architecture se caractérise par l’étude et la direction de projets de restauration, sur des monuments historiques inscrits et classés, en Guadeloupe et en Martinique.

Vue générale depuis l’Ouest © HC éditions
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La « mission Bern » a sélectionné l’église du Sacré-Cœur de Balata en tant que projet emblématique pour la Martinique. En cette période de déroulement des Journées Européennes du Patrimoine et de la troisième édition des Jeux « Mission Patrimoine », il convient de présenter cet édifice en le situant dans son contexte général afin de mieux le faire connaître.

L’œuvre architecturale du Sacré-Cœur de Balata est construite de 1923 à 1925 à la suite d’un concours d’architecture remporté par les architectes Charles Wulfleff et Aloïs Verrey architectes du ministère des colonies.

Orientée Nord-ouest/Sud-est, l’église est juchée sur une plate-forme aménagée sur un morne perché à 277 mètres au-dessus du niveau de la mer. Là, elle domine la ville de Fort-France. Inspirée de l’architecture de l’église du Sacré-cœur de Montmartre, son organisation spatiale se base sur un plan centré couvert d’une composition de voûtes et de coupoles, prolongée au Nord-ouest, par un clocher hors-œuvre.

Par le choix d’un décor de mosaïques et de vitraux, ses dispositions intérieures témoignent de la période d’expérimentations plastiques augurées dans le domaine de l’architecture, en amont de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes. La présentation extérieure de l’église est rehaussée au Sud-est, d’une large vue panoramique s’étendant de l’Est à l’Ouest, de l’île. Ainsi doté, l’édifice apparaît comme l’un des joyaux architecturaux de la Martinique.

Pierre de fondation de l’église en andésite locale

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La pierre taillée d’andésite de fondation bénie le 02 mars 1923 et scellée à la base du portail, date le démarrage de l’unique campagne de construction fondée sur le système Hennebique. Dès lors, débute l’élévation de l’ossature poteaux-poutres en béton armé.

Trois grandes étapes de construction sont mises en relief par les documents iconographiques :

De mars 1923 à mai 1924 : élévation de la nef et des bas-côtés ;

De septembre 1924 à octobre 1924 :
élévation de l’ossature porteuse en béton armé de la coupole ;
début de l’élévation de l’ossature porteuse en béton armé de la tour-clocher ;
terme de l’exécution de l’ensemble des voûtes ;
travaux du second œuvre ;

De novembre 1924 à juillet 1925 : élévation de la tour- clocher de 37,40 mètres.

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Eglise du Sacré-Cœur à Tivoli- Balata, Martinique, in revue Le Montmartre martiniquais, n.d.
Mise en œuvre de l’ossature porteuse en béton armé au-dessus d’un soubassement en maçonnerie d’andésite locale


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Eglise du Sacré-Cœur à Tivoli- Balata, Martinique, in revue i, n.d.
Mise en œuvre de l’échafaudage nécessaire au montage de l’ossature porteuse en béton armé de la coupole


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Eglise du Sacré-Cœur à Tivoli- Balata, Martinique, in revue Le Montmartre martiniquais, n.d.
Mise en œuvre des maçonneries de remplissage de la coupole, angle sud-ouest

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Le 09 août 1925, les fidèles prennent possession de la nouvelle église tandis que les travaux de décoration, ne sont pas terminés.

Conformément au projet conçu, la mosaïque architecturale programmée, doit refléter l’esthétique dominante de la décennie 1925-1935, foisonnante de l’inventivité offerte aux regards, lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, tenue à Paris en 1925.

De même, le projet original prévoit cinquante-quatre vitraux dont seuls trente-deux unités sont exécutées, probablement par défaut de financement. Les illustrations représentées par les panneaux de vitraux ont été dessinées par les architectes.

Ainsi, la mise en œuvre des vitraux du chœur, de la coupole et de la façade principale sont terminés en 1924. Les vitraux des bas-côtés, au droit des autels de la Vierge et de Saint-Joseph, exécutés par Pierre Turpin peintre-verrier lillois, ne sont posés qu’en 1948.

En 1926, la quasi-totalité du programme décoratif est en scène. La mise en œuvre du décor sculpté a bénéficié des talents de ces trois artistes : Madeleine Chantrel, sculptrice française (1888-1957), Achille Canessa, sculpteur génois (1856-1905), Alphonse Camille Terroir, sculpteur lillois (1875-1955). Ce dernier remporte notamment, le premier grand prix de Rome en 1902.

En 1928-1929, la tour-clocher élevée à l’Ouest du chevet abrite quatre cloches monumentales fondues dans les ateliers Wauthy, à Douai.

La statuaire est posée au cours des années 1930. Certaines statues dont celles de Sainte-Thérèse (1935) et de Saint-Michel (1938) ont été réalisées par Armand Roblot sculpteur français (1890-1983). Élève des sculpteurs Mercié et Fontaine, il expose au Salon des Artistes français dès 1914.

Vue aérienne depuis le Nord-est © Geoscan 3D

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Long de 53, 67 m et large de 23, 80 m, le plan rectangulaire centré décline un unique vaisseau de nef accosté de deux bas-côtés, respectivement rythmés de trois chapelles hors-œuvre : une large chapelle centrale de plan rectangulaire, cernée de deux petites chapelles de plan à pans coupés.

Au Nord-ouest, la nef esrt prolongée d’un chœur semi-circulaire longé par un petit déambulatoire aveugle s’ouvrant sur la sacristie au-dessus de laquelle est élevé le clocher.
L’aspect avant-gardiste de l’église du Sacré-Cœur de Balata réside également, dans la mise en œuvre de sa structure porteuse élevée au-dessus d’un soubassement en maçonnerie d’andésite locale. Elle relève du système Hennebique soit, d’un dispositif de poteaux et de poutres formant une ossature dont les vides sont remplis d’une maçonnerie d’andésite locale.

Le clocher est un ouvrage en béton armé. Les remplissages de son ossature laissent percevoir les fantômes des banches. Par le jeu de contrastes des aspects de matériaux, de textures, de polychromies, des dimensions ainsi que le parti d’un profil général pyramidal, les façades apparaissent comme des paysages minéraux insérés au sein de la végétation luxuriante.

Les altérations repérées dans l’église sont variées et plutôt étendues. Les hypothèses des origines des altérations visuelles des bétons armés sont les suivantes :

  • la pose d’armatures affleurant la surface de l’ouvrage ;
  • la proximité de la mer et le transport aérien des embruns qui favorisent l’attaque de chlorures dans les armatures ;
  • l’insertion de l’église dans le tissu urbain et la proximité du réseau routier ;
  • le vieillissement naturel du béton appelé la carbonatation qui se traduit la plupart du temps, par l’apparition d’épaufrures laissant apparaître des armatures corrodées.

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Socle de la statue du Christ au Sud

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Chute d’enrobage de poutre en BA dans le clocher

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Vestige de la polychromie originale, ocre jaune et ocre rouge, en façade est

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Vestige de la polychromie originale, ocre jaune et ocre rouge, en façade est, détail
La totalité des façades est lessivée et infiltrée, notamment, les parties enduites. Les séquences de façade en maçonnerie d’andésite locale apparentes, ont fait régulièrement l’objet de campagnes de rejointoiement de fortune. En témoigne la permanence de joints couvrants, d’épaisseur et de largeur variables.

Les élévations intérieures de la nef mettent en harmonie, les lignes des supports verticaux ainsi que les courbes des voûtes et des coupoles. Elles organisent une composition d’ombres et de lumières participant de l’ambiance intimiste et feutrée, ciblée par le programme architectural.

L’originalité de leur identité réside dans le rehaussement de l’architecture par un décor valorisant un échange visuel entre vitraux et mosaïques.

Les mosaïques architecturales dessinées par les architectes et mises en œuvre par l’atelier Gaudin, viennent rehausser des séquences architecturales majeures :

  • l’arcature et la base du dôme de la coupole ;
  • une mosaïque de dédicace commémorative déclinant « La Martinique reconnaissante au Sacré-Cœur » ceint le tambour du dôme. Elle est surmontée d’une frise composée d’entrelacs, d’enroulements et de cabochons ;
  • l’arc triomphal précédant le chœur est rehaussé d’une frise de mosaïques de formes géométriques, de vagues et d’enroulements accompagnés d’oves…

En soulignant systématiquement les ouvrages d’architecture, tels que les dessus de portes latérales sud, les arcs, les arrondis de coupoles ou encore les profils de chapiteaux, les mosaïques traduisent simplement la volonté des architectes de réaliser une œuvre architecturale de haute qualité plastique.

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Fissuration structurelle

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Fissuration et cloquage

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La présentation plastique des élévations intérieures est entachée par la présence de surfaces d’enduit cloquées, de décollements de peinture et de surfaces de parements tachées de traces d’humidité.

De même, les œuvres de mosaïques présentent des manques et ne semblent pas avoir été restaurées depuis leur pose. Ces manques sont dus à des descellements consécutifs à l’usure des supports ou découlant indirectement d’une adhérence défectueuse de supports infiltrés.

Remontées capillaires

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Chœur : détail de la fresque de mosaïque. Fissuration du support

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Ecoinçon de la coupole sur trompes. Mosaïque représentant saint Jean l’évangéliste


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L’abside développe sept vitraux à motifs floraux aux tonalités de marrons et d’ocres jaunes et rouges. Dans les chapelles latérales, ces teintes sont enrichies de teintes de bleus et de verts.

Seize baies équipées de vitraux illuminent l’intrados du dôme. La lumière qu’ils diffusent fait briller les mosaïques dorées. Ces vitraux composent d’aplats colorés en jaune et rehaussés de de bandeaux rouge-orangé. Les autres vitraux présentent des motifs losangés dont les couleurs s’inspirent de celles de la coupole. Cette composition devenue translucide est encrassée parfois jusqu’à l’opacification. Elle montre en outre, des fêlures, voire des casses.

Vitraux de la chapelle de Saint-Joseph, détail de panneau de vitrail datant de 1948 et exécuté par Pierre Turpin, peintre-verrier lillois

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Le choix de soutenir la restauration de l’église du Sacré-Cœur de Balata, se fonde d’une part, sur sa charge emblématique de mémorial pour les soldats martiniquais morts pour la France, lors de la première guerre mondiale. D’autre part, cette œuvre architecturale fait la démonstration dès les années 1920, des heureux possibles issus du métissage des matériaux locaux et importés.

Enfin, le caractère à la fois expérimental et avant-gardiste, qui a marqué la décennie 1925-1935, dans tous les domaines de la création artistique et notamment, dans celui de l’architecture et des arts décoratifs, et dont cet édifice témoigne au-delà des mers, est un motif majeur.

Statue du Sacré-cœur en ciment armé, façade sud, œuvre de Alphonse Camille Terroir (1875-1955)

Le choix de soutenir la restauration de l’église du Sacré-Cœur de Balata, se fonde d’une part, sur sa charge emblématique de mémorial pour les soldats martiniquais morts pour la France, lors de la première guerre mondiale. D’autre part, cette œuvre architecturale fait la démonstration dès les années 1920, des heureux possibles issus du métissage des matériaux locaux et importés.

Enfin, le caractère à la fois expérimental et avant-gardiste, qui a marqué la décennie 1925-1935, dans tous les domaines de la création artistique et notamment, dans celui de l’architecture et des arts décoratifs, et dont cet édifice témoigne au-delà des mers, est un motif majeur.

Statue du Sacré-cœur en ciment armé, façade sud, œuvre de Alphonse Camille Terroir (1875-1955)