Traditions
Juin 2020


LES POTERIES DE BRISSARD

Catherine Asse-Nédellec et Samuel Collin
Photographies Pascal Achim [1]


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Présentation association GEVAC de Normandie

Le GEVAC (Groupe d’Étude et de Valorisation du patrimoine Céramique de Normandie) a été créé en 2017 à l’initiative d’un groupe de passionnés de céramiques populaires normandes. L’association a pour objectif de regrouper, d'approfondir et de diffuser la connaissance de l’histoire potière régionale auprès du plus grand nombre, en produisant des écrits synthétisant les connaissances collectées (notes, articles, ouvrages...) mais aussi par une communication interactive (internet, réseaux sociaux…). L’association propose également des expositions de céramiques dans le cadre de manifestations grand public ou le prêt de pièces dans le cadre d’expositions temporaires thématiques de musées.

Ancienne poterie Gasselin, rue des poteries à Brissard (crédit : Google Earth)

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Dans la vallée de l’Eure, l’existence des potiers de Brissard est avérée d’après de nombreux documents et pièces de référence dès la fin du XVIe siècle. La lignée d’une famille de potiers, les Gasselin, marque indéniablement l’histoire de la poterie de Brissard. Les plus anciens potiers identifiés sont Nicolas Gasselin, qui déclare la naissance de son fils en 1603, et Martin Gasselin, né en 1587, qui établit un contrat de mariage le 24 avril 1616 avec Barbe Bouchery [2]. Les productions de Brissard sont des poteries destinées à un usage populaire, d’une qualité particulièrement résistante, obtenue à la fois par l’argile utilisée et les techniques de cuisson et un savoir-faire de plusieurs siècles.

L’implantation des potiers à Brissard

Le hameau de Brissard (28410 Abondant), autrefois orthographié « Brissart » pour « bois essart » [3], avait la particularité de posséder trois éléments essentiels à une production de poteries : la terre avec un filon argileux [4], le bois nécessaire aux fours dans l’ancienne forêt gauloise du Crothais (aujourd’hui dénommée forêt domaniale de Dreux) et l’eau avec la proximité de l’Eure, favorisant également le commerce des pièces en aval vers la Normandie.

Aujourd’hui encore, des poteries de Brissard se trouvent dans bon nombre d’habitations de la vallée de l’Eure, au-delà du plateau de Saint-André-de-l’Eure.

En forêt de Dreux, à proximité du Pavillon de Chasse, autour du hameau de Brissard, des cuvettes de prélèvement de l’argile sont encore visibles et des tessonnières (où étaient jetés les « loupés de cuisson ») existent dans d’anciens trous d’extraction. A leur proximité, restent encore des petits monticules d’argile de teintes différentes, allant du blanc au vert et au jaune orangé.

Abondant est indiqué comme l’un des principaux gisements d’argile et de kaolin en France, dans un fascicule des Arts et Métiers de 1924 aux éditions Delagrave. L’association pour l’étude et la sauvegarde des vestiges du canal de Louis XIV (canal de l’Eure / canal de Maintenon) cite dans ses documents d’archives le propriétaire du château d’Abondant, le marquis de Sourches et grand Prévost de Louis XIV : « Dès 1685, Louvois conclut un grand nombre de marchés avec des entrepreneurs venus souvent de loin. Douze millions de briques furent commandées à la briqueterie Royale d'Abondant ».

L’ancienne poterie « Gasselin à Brissard » cessera sa production et fermera en 1905. Le lieu est encore identifiable (visible seulement de l’extérieur) dans la rue des Poteries, ainsi qu’un four dans l’impasse des Poteries, un des derniers fours restants en France et le seul restant à Brissard (dans une propriété privée, non visible de l’extérieur).

La région du Drouais et de la vallée de l‘Eure donnent souvent l’occasion à ses habitants de découvrir d’innombrables tessons de terre cuite vernissée de couleur verte, mêlés à la terre des jardins ou enchâssés dans de vieux murs et, sur les toits, d’étonnants éléments.

A Brissard, comme dans les hameaux et villages alentours, on aperçoit des vases décoratifs en haut de piliers de portes d’entrée, ou en levant les yeux vers les toits, des chatières, des tuiles faîtières et des épis de faîtages surmontés d’une boule ou plus rarement de décors anthropomorphes accompagnés d’animaux.

Les chatières fabriquées par les potiers de Brissard sont aisément reconnaissables : elles ont toujours une base ouverte en forme de fer à cheval et sont surmontées de différents décors comme une fleur de lys stylisée, le plus typique étant celui d’une tête de grenouille. Elles avaient un double usage : elles servaient à aérer les greniers et à laisser passer les chats, mais aussi les pigeons qui amélioraient ponctuellement l’ordinaire des repas. Certains de ces éléments décoratifs sont toujours en place et visibles, notamment dans la rue des Poteries à Brissard et sur plusieurs toits dans des communes alentours.

Épi de faîtage, fin XVIIIe siècle, terre vernissée verte
Chatière (lucarne aérant les combles des maisons), XIXe siècle, terre vernissée verte

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Les productions des poteries de Brissard et leurs utilisations

Ce sont les formes spécifiques de tout ou partie des pièces (notamment des goulots ou des cols) qui permettent de différencier les productions des poteries de Brissard de celles d’autres régions. L’utilisation de l’oxyde de cuivre produit la coloration verte de la glaçure au plomb recouvrant tout ou partiellement les poteries. Plus rarement, des poteries d’autres couleurs sont produites, vernissées en jaune ou en marron. Certaines pièces, très peu courantes, ne sont pas vernissées.

La cuisson des poteries s’effectuait dans un four couché appelé « four à tétin » où les pièces étaient entassées jusqu’à remplir entièrement l’espace. Les flammes traversaient horizontalement les pièces en les « léchant », occasionnant ainsi des effets de nuances de la terre et du vernis. La position des pièces lors de l’enfournement occasionnait involontairement des coulures (souvent très esthétiques), des gouttes (racontant la position de la pièce dans le four), des « touches », marques et traces de contact avec d’autres poteries dans le four.

Concernant la glaçure, les pièces dites « fermées », comme les pichets ou les bouteilles droites qui transportaient et conservaient de l’alcool, étaient toujours vernissées à l’extérieur. Les pièces dites « ouvertes », comme les plats, les pots à lait et les coquemars, étaient toujours vernissées à l’intérieur. Le vernis permettait d’imperméabiliser la poterie pour son utilisation, comme de faciliter son nettoyage, mais aussi de mieux protéger de l’usure.

La bonbonne de forme globulaire et ansée est emblématique de Brissard.

Si cette forme peut se retrouver dans des productions en grès d’autres régions, la bonbonne en terre vernissée est vraiment typique de la production des potiers de Brissard. Une pièce signée « Gasselin » et datée « 1796 », illustre cette forme au XVIIIe siècle, qui se distingue notamment par un goulot plus haut que les anses supérieures. Cette forme ancienne, légèrement oblongue, au pied un peu marqué et aux attaches des anses fortement digitées, se galbe et s’arrondit au XIXe siècle. Le goulot rétrécit peu à peu au cours de l’évolution de la production pour finir au même niveau que les anses, permettant sans doute ainsi de mieux rationaliser leur fabrication et leur transport. Différentes signatures, comme « Pierre Lesieur », indiquent d’autres noms de potiers.

Bonbonne patronymique à 4 anses, datée « 1796 » et signée « Gasselin »
Bonbonnes à 4 et 2 anses, XIXe siècle

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Bonbonne à 4 anses XVIIIe siècle / Bonbonne signée sur le fond « Pierre Lesieur »


Les pichets, de taille variable, sont destinés à contenir du vin ou du cidre. Peu nombreux, ce sont des pièces rares.

Des pots à crème ou pots à laits, des coquemars (littéralement : marmite à cuire) sans pied ou tripodes portent quelquefois l’estampille « Gasselin à Brissard » comme certaines briques ou pièces décoratives de la fin du XIXe siècle. Ces pots à cuire étaient posés en bord de cheminée et gardent pour la plupart des traces de chocs et de noir sur le côté exposé au feu.

Pichets, XIXe siècle / Coquemars tripodes, XIXe siècle

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Pots à lait, XIXe siècle. L’exemplaire de gauche porte le cachet « Gasselin à Brissard »

Les porte-dîners, ou « déjeuners de berger », sont appelés « bergères » à Brissard. Les porte-dîners comme les coquemars, les pots à conserves et les barattes, ont tous la même forme de bord (une caractéristique des poteries de Brissard). Le « déjeuner de berger » servait à emmener le repas ou la soupe aux champs comme à la vigne ou à la foire. Leurs couvercles ne sont jamais vernissés, mais sont souvent manquants car brisés lors de leur utilisation. Ils sont de taille variable, mais tous ont une anse penchée, bien solidaire aux deux pots, permettant d’équilibrer une bonne prise en main et leur transport sans renverser le contenu. Les deux pots sont toujours vernissés à l’intérieur. Les coulures externes et gouttes résultent des poteries placées à proximité dans le four du potier. Un seul est connu entièrement vernissé à l’extérieur.

Les chaufferettes possédaient le plus souvent un couvercle vernissé et percé de trous comme leur dessus. Remplies de braises, elles permettaient de se réchauffer les pieds, chez soi ou lors de déplacements, à l’église ou au marché. Elles gardent les traces d’usure et de chocs des sabots et galoches. Leurs couvercles sont souvent manquants ou très ébréchés.

Porte-dîners, XIXe siècle. L’exemplaire de droite est intégralement vernissé

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Chaufferettes, XIXe siècle

Les bouteilles servaient à transporter du liquide, souvent vin ou calva, parfois coupé d’eau.

Les bouillottes, parfois aussi appelées « moines », sont de forme cylindrique avec deux anses.  

Remplies d’eau chaude, elles servaient à réchauffer les lits.

Bouteilles, XIXe siècle, terre vernissée verte et ocre vert (traces de marron) / Bouillotes, XIXe siècle

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Des gourdes, aussi dites « crapauds », dons d’amitié, sont particulièrement rares et intéressantes. Moins d’une dizaine sont connues à ce jour. Une des gourdes nous permet de distinguer la forme du XVIIIe avec d’un côté une base permettant une position posée à plat, et de l’autre côté une face lenticulaire avec l’inscription : « Pour le sieur Joseph Lépousé demeurant au Marsyy 1770 » (Marcilly-sur-Eure). A la dédicace s’ajoute une fleur de lys et un dessin en arabesque retrouvé par ailleurs près de paraphes sur des actes d’état civil du 18ème siècle à Abondant. Une autre gourde confirme que les potiers exerçaient plusieurs métiers de la terre avec l’inscription figurant sur une face : « Fait par moi Jean Baptiste Cardonné berger à Abondant » ; et sur l’autre face « Nicolas Clairet bucheron au Bois le Roy 1851 ». Des décorations gravées au clou complètent la signature ainsi qu’une dédicace républicaine « République Française Liberté Égalité Fraternité », et le dessin d’une bouteille avec deux verres, symbole de l’amitié. 

Gourde lenticulaire patronymique à trois anses, datée 1770 pourtant l’inscription : « Pour le sieur Joseph Lépousé demeurant au Marsyy / Gourde lenticulaire patronymique à trois anses, datée 1851 pourtant les inscriptions : « Fait par moi Jean Baptiste Cardonné berger à Abondant » et « Nicolas Clairet bucheron au Bois le Roy »
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Gourde avec pied et anse sous le goulot, XVIIIe siècle

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En conclusion…  

L’étude des poteries de Brissard commencée dans les années 1990 réserve encore de nombreuses futures découvertes.

La proximité géographique de l’abbaye cistercienne du Breuil-Benoît fondée par Foulques de Marcilly en 1137, du château de la Robertière édifié par Robert 1er comte de Dreux en 1162, du château d’Anet construit par Diane de Poitiers (veuve de Louis de Brézé Grand Sénéchal de Normandie) en 1547, du château d’Abondant construit par la famille du Bouchet de Sourches en 1645 et devenu résidence de la duchesse de Tourzel au XVIIIe siècle  (gouvernante des enfants de Louis XVI), comme du château de Crécy-Couvé avec la marquise de Pompadour, concourent à prouver l’existence d’un centre potier important évoluant dans un contexte économique et historique riche avec le développement de villages (La Couture-Boussey et les instruments de musique à vent, Ezy-sur-Eure et les peignes). 

Les recherches à venir permettront certainement d’attribuer aux potiers de Brissard des pièces anciennes dont la production n’est pas encore répertoriée. Chaque tesson trouvé, chaque poterie, même cassée, présentée (ou même transmise en photo), permettra de compléter la connaissance des poteries de la vallée de l’Eure et du patrimoine potier local.

NOTES

1. asse.desainterose@orange.fr ; samuel.collin27@orange.fr ; gevacdenormandie@gmail.com
2. Archives départementales d’Eure et Loir (relevés des contrats de notaires)
3. Bois essarté / bois défriché
4. Mosaïque géologique en vallée sèche constituée de nombreuses poches d’argile résiduelle (ère tertiaire)


Liens utiles 


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