Thonon-Les-Bains : triste fin pour La Frégate
12/09/2023 17:32



Cela devient presque une histoire banale, tant les exemples sont nombreux. Mais il est capital de relayer les appels à mobilisation que nous recevons quasi quotidiennement.
Toujours le même scénario : prenez une maison à l’architecture très particulière et typique d’une époque. Vendez-là à un promoteur, car c’est bien plus lucratif que de la vendre en tant que maison d’habitation, et sous vos yeux émerveillés Mesdames et Messieurs, vous verrez apparaître un bel immeuble de 16 appartements.
Cette « vieille Dame » de 90 ans, au physique si particulier, était un marqueur fort du quartier. Mais de nos jours, il semblerait que le physique ne compte plus. Seuls les intérêts financiers sont importants.

Cette architecture, on l’aime ou on ne l’aime pas, mais il faut reconnaître que sa singularité devrait être un atout pour une mise en valeur. D’ailleurs, on labellise à tout va le patrimoine du XXe siècle, mais pas à Thonon-les-Bains visiblement.
Le collectif local opposé à cette démolition a tout d’abord déposé une demande de recours gracieux, qui a été rejeté, et attend maintenant le verdict du recours devant le Tribunal Administratif — hélas sans grand espoir.
Afin d’étayer leur argumentaire, comme nous savons que de nombreux Architectes, Architectes du Patrimoine et même Architectes de Bâtiments de France nous lisent, si parmi vous, quelques bonnes âmes acceptaient de rédiger une petite note es qualité, afin de démontrer que cette maison a un réel intérêt, cela nous rendrait bien service. Notre mail : urgences.patrimoine@gmail.com
En attendant, voici les quelques lignes que Monsieur Marius Guillemot, membre du collectif Patrimoine du Léman, nous a adressés, afin de plaider la cause de La Frégate.
Merci de bien vouloir signer la pétition en fin d’article.

Appel à la mobilisation pour sauver LA FRÉGATE
Située au n°72 de l’avenue du Général de Gaulle à Thonon-les-Bains, la villa FREGATE est facilement repérable dès l’arrivée dans la seconde ville de Haute-Savoie. Localisée sur l’axe historique, autre fois connu sous le nom de route de Genève, cet édifice est associé au lotissement Michaud, conçu au début des années 1930 par un découpage parcellaire pour générer des terrains d’environ 500 m2, suffisants pour permettre la construction de maisons individuelles.
L’autorisation de construire fut déposée le 16 novembre 1932 pour être accordée le 30 novembre par la mairie de Thonon-les-Bains. Sur les plans et élévations du permis, le projet est nommé La Clarté. Tout comme l’immeuble construit par LE CORBUSIER (1887-1965) dans le quartier de la Terrassière à Genève en 1932.
L’architecture moderne de la villa que l’on peut rattacher au style dit « paquebot » représente une véritable évolution dans l’architecture locale. En plus de posséder un toit-terrasse, elle présente une courbe qui confère à son volume une dynamique très contemporaine, contrairement à la forme classique à deux pans des maisons. Répartis sur quatre niveaux dont l’un est en sous-sol, elle bénéficie de larges ouvertures en bandeaux marquant l’horizontalité.
La courbe correspond à l’escalier permettant de relier chaque niveau, créant ainsi une tourelle de circulation. Le dernier étage, conçu initialement comme un studio selon les plans du permis, évoque une vigie d’où l’on pouvait observer les navires voguer sur le lac Léman à l'époque de sa construction. De multiples détails rappellent l’architecture navale comme un œil-de-boeuf disposé au-dessus de l’entrée qui peut être comparé à un hublot, ou ces garde-corps tubulaires typiques des paquebots transatlantiques.

L’architecte et maître d’ouvrage, Félix ROY (1901-1963) ne semble pas avoir suivi de formation dans une école d'architecture, mais plutôt au sein d'un atelier d'architectes. Prolifique dans sa production, on peut supposer qu’il avait une parfaite connaissance de la construction. Ses réalisations sont variées et possèdent toujours une expression particulière avec des toitures non-symétriques, des façades courbées, des angles arrondis, des bow-windows, des soubassements en pierres, des colombages en ciment, des ouvertures en arc.
Dans le langage maritime militaire, le rôle d'une frégate est de protéger les bâtiments précieux tels que les porte-avions, bâtiments ravitailleurs et sous-marins. Aujourd’hui, il est essentiel de préserver cette figure de l'architecture moderne et de la défendre contre toute démolition.
Marius Guillemot
Lien vers la pétition ICI.
Un rassemblement devant la maison est prévu le dimanche 17 septembre à 10h30 à l’occasion des Journées du Patrimoine.


Crédits photographiques : Marius Guillemot
Clisson (44) : veuillez ôter ce calvaire que je ne saurais voir !
15/08/2023 16:42



Si cet article avait été publié un 1er avril, nous aurions pu penser que « ça sentait le poisson à Clisson ». Mais pas du tout. Le calvaire de la route de Saint-Hilaire a bien été enlevé.

En temps normal, quand ce genre de chose se produit (assez rarement fort heureusement), on trouve aux commandes nos « grands amis » de La Libre Pensée, les grands chasseurs de représentations religieuses qui soit disant, « polluent » l’espace public, comme par exemple le Saint-Michel des Sables-d’Olonne ou la Vierge de l’Ile de Ré.
Mais ici il n’en est rien. Ce calvaire érigé au milieu du XIXe siècle a été enlevé à la demande du nouveau propriétaire d’un terrain mitoyen.
La raison ? l’édifice l’empêcherait de clôturer le terrain sur lequel il compte faire construire la « maison de ses rêves ».
Visiblement, le Diocèse, propriétaire du calvaire et de la parcelle sur laquelle il est installé, ne s’est pas débattue et a accepté de le déplacer à condition que cela n’engendre aucun frais.
Il serait intéressant de connaître les termes du legs de la paroissienne qui avait offert l’édifice et ses 8 mètres carrés de terrain à l’association Diocésaine de Nantes, car elle ne devait pas s’imaginer qu’un jour sa parcelle serait vendue et son calvaire dégagé.

Stocké désormais chez un particulier, ce pauvre calvaire attend de reprendre place ailleurs, un jour peut-être… ou peut-être pas…
Pour en savoir plus, voici l’article très complet de L’Hebdo de Sèvres et Maine ICI.


Crédits photographiques : Gaby Zamblera / L’Hebdo de Sèvres et Maine
Églises victimes d’incendies : que dit la législation ?
11/08/2023 18:17



Le 7 juillet, l’église de Dronay dans la Marne était ravagée par un incendie. De cet édifice à pans de bois, classé Monument Historique, il ne reste plus rien, à part des souvenirs et une peine immense pour les habitants. Les images ont « enflammé » les réseaux sociaux, car il est vrai qu’une église qui brûle est toujours perçu comme un drame.
Étonnement, une église démolie suscite moins l’indignation. Mais ce n’est pas le sujet. Quoi qu’il en soit, un mois après ce drame, les causes de l’incendie ne semblent toujours pas être connues. Si l’enquête est aussi longue que pour celle de Notre-Dame de Paris, il est probable que ces causes ne soient jamais connues.

Le 9 juillet, une autre église était fortement endommagée dans la commune de Descartes en Indre-et-Loire
Comme elle n’était pas protégée au titre des Monuments Historiques, et surtout, que les images de l’église de Dronay en flammes tournaient encore en boucle sur les réseaux, cette information est restée beaucoup plus confidentielle, d’autant que l’édifice a eu « la chance » de ne pas être totalement détruit. La cause du sinistre serait un impact de foudre sur le clocher.

Dans cet article, nous n’allons pas faire la liste des édifices victimes d’incendies, mais nous avons souhaité nous intéresser à la législation en vigueur concernant les obligations des communes propriétaires d’églises en matière de protection contre les incendies et plus particulièrement sur les dispositifs contre la foudre.
Nous avons donc fait appel à un spécialiste du sujet pour nous éclairer. Nous remercions très sincèrement Bastien Bizieux pour toutes ses précieuses informations.
« Malheureusement les textes relatifs à l’installation d’un parafoudre sur une église n’imposent pas aux communes de quelconques obligations générales transposables à tout le territoire national sauf une :
Si le bâtiment est équipé d’un paratonnerre et ce dans toutes les régions de France sans distinction. En effet l’installation d’un parafoudre sur un bâtiment n’est obligatoire que suivant la densité de foudroiement du lieu, le niveau kéraunique, le type de bâtiment, et le type de son installation électrique.
Enfin, le parafoudre installé sur le tableau électrique est obligatoire dans les cas suivants : Les bâtiments et les logements situés dans les zones géographiques AQ2 de la moitié sud de la France, c’est-à-dire présentant un niveau kéraunique NK > 25 jours par an, et dont l’alimentation électrique est entièrement ou partiellement aérienne.
Les bâtiments et les logements situés dans les zones géographiques AQ2 de la moitié sud de la France, dont l’alimentation électrique est enterrée et met en péril la sécurité des personnes (exemple : équipement de médicalisation à domicile, alarme incendie, alarme technique…). Pour rappel le paratonnerre protège la structure du bâtiment en apportant la foudre à la terre et le parafoudre protège l’installation électrique.
Cependant quand les églises sont classées en ERP (établissement recevant du public), elles sont soumises à une réglementation propre aux ERP qui prévoit des mesures adaptées contre justement le risque incendie.
De l’arrêté du 25 juin 1980, aux différentes modifications apportées de mémoire en 2005 et en 2010, différentes obligations incombent aux gestionnaires de site. "Les édifices du culte ouverts au public sont des établissements recevant du public (ERP). Ils doivent à ce titre satisfaire aux règles générales régissant les ERP. " Il est donc du ressort des maires, et présidents d’associations cultuelles pour les édifices privés, de mettre en œuvre les mesures nécessaires à la protection, car leur responsabilité peut être engagée. En revanche pour tous les édifices classés monuments historiques qui appartenaient à l’État, c’est l’architecte des bâtiments de France, qui en est le "responsable".
Mais Il n y a aucune obligation légale compte tenu des différences d’ implantation des églises.
Par exemple si un autre bâtiment est plus proche du ciel ou qu’un autre bâtiment porte un paratonnerre, il n’y aucune obligation légale de faire installer un paratonnerre sur une église donc aucune obligation légale de faire installer un parafoudre.
En revanche si l’église dispose d’un paratonnerre elle doit avoir un dispositif complémentaire et ces deux dispositifs paratonnerre et parafoudre sont soumis à des obligations de contrôles périodiques.
A titre de comparaison : dans le « plan Cathédrales » qui est paru en mai 2023, on retrouve dans les grilles d’action ceci :

Ligne 8 installation d’un paratonnerre et d’un parafoudre. Application immédiate. Il paraîtrait logique que cette application soit transposée aux églises si certaines ne sont pas équipées.
Attention ! Certains organismes avancent 250 clochers par an victimes d’un début d’incendie lié à la foudre. Cela ne me paraît pas possible, ou du moins pas à l’échelon national.
Voici 2 photos issues du colloque du patrimoine, qui donne une lecture intéressante des causes d’incendies, et lieux de départ des sinistres.


Enfin même si cela ne concerne que les Cathédrales voici un extrait du « plan Cathédrales » qui parle de 30% des sinistres liés à un défaut électrique et 10% liés à la foudre.

Ce « plan Cathédrales » est une bonne chose. Il ne reste qu’un plan, mais il a le mérite de faire le tour de l’ensemble des risques, et au moins on ne pourra plus nous dire "nous ne savions pas… ou nous ne pensions pas que...".
Reste encore à voir son application et toutes les excuses que l’on nous donnera à chaque visite ou point d avancée.
Entre "oui je sais qu’il ne faut pas laisser les cierges et autres bougies, mais vous comprenez nos fidèles qui viennent le matin ne sont pas contents que nous ayons soufflé leurs bougies, c’est pour eux, comme si nous effacions leurs prières" ou encore : « oui je sais que les 5 rallonges électriques sans fil de terre de 1970 sont un peu trop vieilles, mais on a mis du Scotch autour pour les parties dénudées car ça coûte cher quand même une rallonge."
Ou bien encore : "Alors, les semaines paires le ciboire la paterne, et la croix de procession à sauver se trouvent dans tel et tel placard mais les semaines impaires c’est dans le placard x et y. Sauf en période de fêtes car là ça dépend du bénévole qui vient. Vous savez on préfère éviter les histoires entre les paroissiens alors on s’adapte."
Et une dernière : "en cas de feu par contre pour sortir le trésor il faudrait que vous veniez avec des gants blancs pour éviter de tout salir."
Espérons que le plan église sera aussi avancé que le « plan Cathédrales » et que surtout chacun prendra en mains ses responsabilités.

Les néophytes que nous sommes en matière de protection contre les incendies, voient dans le « plan Cathédrale » une avancée majeure. Nous espérons surtout qu’il sera appliqué dans les meilleurs délais, et qu’il sera dupliqué au profit de l’ensemble de notre patrimoine religieux, aussi modeste soit-il. Et que l’on ne nous dise pas que cela coûte trop cher à mettre en place, car ne pas allumer un radiateur à côté d’un rideau, ou éteindre les cierges quand l’église est fermée ça ne coûte rien, à part trois sous de bon sens.
Enfin, n’oubliez pas que dans le « Pack Sécurité » que nous avons créé en partenariat avec la société VPsitex, nous proposons des équipements de surveillance et de détection à des tarifs extrêmement attractifs, même pour les petites communes rurales, afin que justement, le coût pour une protection optimale ne soit plus un obstacle.


Crédits photographiques : photo 1 : Mathis Perard / France 3 ; photo 2 : SDIS 37 ; photos 3-4-5-6 : Bastien Bizieux ; photo 7 : Marc Braun
La Baconnière (53) : chronique d’une mort dénoncée
07/08/2023 11:22



La démolition de l’église de La Baconnière en Mayenne a marqué l’actualité de la semaine.
Mais, dans quelques jours, celle qui a fait l’actualité sera reléguée au rang des « faits divers » et sera très vite oubliée.

Avant de rédiger cet article j’ai attendu un peu. J’ai lu beaucoup de commentaires sous de nombreuses publications, et j’ai pu observer une certaine récurrence d’avis qui font tout, sauf servir la cause.
En tête arrive le fameux : « ils vont faire une mosquée à la place ». Argument d’ailleurs utilisé par un des collectifs de sauvegarde lors d’une manifestation devant l’église en février.
Que tout le monde se rassure, il n’est pas question ici, et nulle part ailleurs, de démolir une église pour construire une mosquée.
En revanche, je vais me permettre une « piqûre de rappel » : en 2015, le recteur de la Grande Mosquée de Paris avait suggéré qu’il serait peut-être judicieux de récupérer des églises désaffectées pour en faire des mosquées. Cette suggestion avait déclenché un soulèvement immédiat de l’opinion publique, et une pétition avait connu un succès fulgurant. Parmi les signataires figurait même Nicolas Sarkozy.
Ce que je trouve curieux, c’est que tout le monde s’insurge quand on évoque l’éventualité de transformer une église en mosquée, mais que personne ne s’émeuve vraiment de l’état d’abandon de notre patrimoine religieux.

Vient ensuite : « le Vatican est très riche, il n’a qu’à donner de l’argent pour restaurer le patrimoine religieux français ». Il est inutile de rappeler que notre « chère » loi de 1905 a fait que les églises sont devenues propriétés des communes, charge à elles de les entretenir, au même titre que n’importe quel autre bien communal. Alors au lieu de toujours chercher une quelconque responsabilité ailleurs, il faudrait peut-être se demander pourquoi cette obligation d’entretien n’a pas fait l’objet d’une surveillance des services de l’État, et ce afin de faire appliquer la Loi. Cela n’aurait ainsi pas conduit des centaines d’édifices à se retrouver à l’état de ruines. Des milliers, voire des millions d’euros , sont à présent nécessaires pour les restaurer.

Autre commentaire récurrent : « de toute façon plus personne ne va à la messe, donc les églises ne servent plus à rien. »
Que l’on soit croyant ou non, ces édifices sont des marqueurs forts de l’identité de nos territoireet sont très souvent liés à notre histoire personnelle, de la naissance jusqu’à la mort. Le fait qu’il y ait moins de catholiques pratiquants justifierait-il que l’on défigure notre pays en le privant de ses clochers? Ces édifices sont les témoins de notre identité culturelle et, qu’on le veuille ou non, ils sont un héritage qu’il est de notre devoir de transmettre aux générations futures. Un héritage peut-être encombrant pour certains « wokistes », mais un héritage respectable et qui doit être respecté. Nous oublions trop souvent qu’au-delà de sa valeur cultuelle le patrimoine religieux a une valeur culturelle qui contribue au rayonnement de notre pays. N’en déplaise à Madame Bachelot qui a un profond dégoût pour les églises du XIXe, même l’édifice le plus modeste a un intérêt et mérite un avenir.
À nous d’inventer aujourd’hui une façon intelligente de faire vivre ce riche patrimoine. Arrêtons de toujours le considérer comme une charge et voyons-le comme un atout permettant de renforcer l’attractivité d’un territoire.

Une autre réflexion revient souvent : « il fallait se réveiller avant ».
Je suis d’accord et, d’ailleurs, je me sens coupable de n’avoir rien tenté. En revanche, nous ne pouvons pas en vouloir aux habitants qui n’ont pas osé s’opposer à cette décision municipale. C’est partout pareil, s’opposer, c’est prendre le risque de se voir plus tard refuser par la mairie un permis de construire, une place en crèche ou tout autre service.
C’est la raison pour laquelle faire appel à une association comme la notre peut apporter une certaine neutralité et éviter ce genre de situation.
Et puis comment en vouloir à des habitants à qui l’on dit qu’il faut 6 millions d’euros pour la restauration et que, si l’église est restaurée, cela va fortement impacter la fiscalité locale ? Argument imparable qui engendre forcément la résignation.
Enfin, Je vous passe les sempiternels couplets du genre : « demandez au Pape, ou appelez Stéphane Bern ».
En revanche, des milliers de personnes semblent consternées par ces démolitions, ce qui est plutôt bon signe. Le problème, c’est que la majorité d’entre-elles sont certes vent debout contre les démolitions, mais quand il s’agit de faire un geste pour la sauvegarde du patrimoine, il reste quand même très peu de monde, je suis bien placée pour le savoir.
À l’heure actuelle, pour freiner la vague des patrimonicides, jusqu’à ce que des Lois dignes de ce nom soient mises en place, il ne nous reste que les recours devant les tribunaux, ce qui a un certain coût. Tout le monde est prêt à donner pour Notre-Dame, mais donner 10 euros pour participer au financement des recours qui peuvent permettre de sauver les « petites Notre-Dame » de nos campagnes, c’est beaucoup plus compliqué.
Mais je m’égare, revenons au triste sort réservé à l’église de la Baconnière.

Pourquoi en est-on arrivé là ?
De multiples tempêtes semblent être à l’origine des importantes dégradations dont souffrait l’église. Fermée en 2014 pour raisons de sécurité, la tempête de 2019 lui a mis le coup de grâce, la privant d’une grande partie de sa toiture.
La question que l’on peut se poser est : pourquoi n’a-t-on pas réparé les dégâts lors de la première tempête ? Il y a forcément eu des experts d’assurance qui sont venus constater les dommages, peut-être même que des sommes ont été allouées pour les réparations, mais visiblement, on a préféré donner un tour de clé à la porte de l’église, signant en quelque sorte son arrêt de mort, plutôt que lui ouvrir la porte de l’avenir en la restaurant.

On ne réécrira pas l’histoire et, malheureusement, il n’y a pas qu’à la Baconnière que cela se produit. Il y a des centaines d’églises sur l’ensemble du territoire qui ont été endommagées, soit par des incendies, ou des tempêtes, et dont personne ne semble vouloir se préoccuper. La politique du « après-moi le déluge » est légion dans notre beau pays de France. Cela fait des décennies que certains élus ferment les yeux sur l’état calamiteux des églises de leurs communes et se disent que c’est celui qui leur succèdera qui prendra en charge l’épineux dossier de la restauration. C’est la raison pour laquelle nous payons aujourd’hui près de 50 ans de « déni de clocher ».
L’argument est toujours le même : « cela coûte trop cher et la commune n’a pas les moyens. » Sauf que si la commune avait procédé à l’entretien régulier de l’édifice, elle ne se retrouverait pas avec des devis qui souvent dépassent le million d’euros.
Concernant La Baconnière, il s’agissait de 6 millions. Argument fatal pour faire « passer la pilule » auprès de la population.
Cela dit, je n’aurais pas voulu être à la place du maire qui a pris cette décision. Si la démolition semblait être actée depuis un certain temps, tout est allé très vite. En février le Préfet signait l’arrêté de désaffectation et, six mois plus tard, l’édifice était rayé de la carte. Enfin, pas tout à fait.
Explications de Monsieur le Maire sur France Info :
« Après trois années de réflexion, la mairie a acté la déconstruction du monument. "Aujourd’hui, pour entretenir le bâtiment et pouvoir le réhabiliter complètement, c’était aux environs de 7 millions d’euros. La municipalité a un budget d’investissement qui tourne aux alentours d’1 million d’euros, donc ça ne pouvait pas être soutenable et supportable pour les contribuables baconnériens", explique David Besneux, maire de La Baconnière. Dans une dizaine de jours, il ne restera plus que les fondations. La municipalité ne souhaite pas raser complètement l’édifice, et pense déjà créer un lieu de mémoire et un espace de rassemblement. »

Tiens, ça nous rappelle quelque chose. C’est tendance le lieu de mémoire et de rassemblement en lieu et place d’une église. C’est ce qui a été fait à Asnan, dans la Nièvre, où la mairie a planté la cloche sur un socle et a conservé quatre ridicules bouts de piliers. « Lieu de mémoire et de rassemblement », c’est aussi le projet de la maire de Denain qui souhaite conserver la façade de l’église du Sacré-Cœur et abattre tout le reste. Elle a même évoqué la création d’un jardin de méditation… No comment.
Je trouve ce genre de procédé complètement démago. Si on décide de démolir une église, on assume, mais on ne se donne pas bonne conscience avec un « trophée » provenant de la « victime ». Ces propos n’engagent que moi, mais je sais que nous sommes nombreux à le penser.

Ce qui me chagrine encore plus dans le cas de La Baconnière, c’est qu’on nous ressort une fois encore le terme de « déconstruction ». En théorie la déconstruction permet :
1/, le tri vertueux des déchets,
2/ la récupération de tous les éléments architecturaux qui pourraient être revalorisés ailleurs.
Ici, il s’agit plutôt de « pulvérisation » que de déconstruction.

Si les principales œuvres ont été préservées avant l’arrivée des pelleteuses, de nombreux éléments notables sont partis en poussière. Chapiteaux sculptés, boiseries, statues et même certains vitraux, n’ont pas été démontés, alors qu’ils auraient pu s’offrir une seconde vie dans d’autres édifices.
Je ne veux pas m’inscrire dans la mouvance des « y a qu’à, faut qu’on », mais si c’est trop tard pour La Baconnière, cela va nous permettre de rajouter une mesure dans la longue liste que nous sommes en train d’établir pour tenter de ralentir la déferlante de patrimonicides. Celle d’une obligation de mise à disposition des éléments décoratifs et architecturaux afin de les faire revivre ailleurs, ne serait-ce que par pur respect des artisans qui ont œuvré à leur réalisation.
Car détruire en quelques minutes des centaines d’heures de dur labeur des tailleurs de pierre, des charpentiers, des ébénistes, des sculpteurs ou des maîtres verriers, nous semblent inconcevable.
Ne pas respecter le passé est une insulte à l’avenir.

J’ai cherché à comprendre les raisons pour lesquelles de nombreuses œuvres ont été détruites, j’ai trouvé la réponse dans le journal Ouest-France qui a interviewé le patron de l’entreprise de démolition. Extrait :
« L’une des questions restée en suspens cette semaine était la sauvegarde du mobilier et des œuvres à l’intérieur de l’église de la commune. « Nous avions une liste de choses à garder dans la mesure du possible, explique Arnaud Pinçon. Nous avons essayé. » Mais l’eau et le temps avaient déjà attaqué une partie des statues, tableaux et mobilier en bois, exposés aux intempéries depuis 2019. On a sauvé tout ce qu’on a pu, indique-t-il. Une partie des statues de l’église étaient irrécupérables, elles étaient devenues friables à cause de l’eau qui s’y était infiltrée. C’est pareil pour l’autel, les bancs et les chaises de l’église : tout avait pourri. » Mais l’état du mobilier n’est pas le seul obstacle des ouvriers. Le toit de l’église s’étant affaissé sur la partie arrière de l’édifice, il était trop dangereux pour les hommes d’Arnaud Pinçon de s’y aventurer. Son équipe parvient tout de même à conserver les quatre cloches de l’édifice « qui pèsent une tonne chacune », une vingtaine de statues, un mécanisme d’horloge et quelques tableaux. Les biens sauvegardés seront répartis entre le diocèse de Laval, les églises alentour et la mairie. Et une partie de l’édifice demeurera. L’arche de l’église, elle, ne sera pas démolie. « On l’a gardée », conclut Arnaud. »

Je ne jette absolument pas la pierre à l’entreprise de démolition qui ne fait que son travail. En revanche, je trouve absolument inconcevable que, lors de la tempête de 2019, personne n’ait eu l’idée de mettre les statues, le mobilier et les tableaux à l’abri, ne serait-ce qu’un utilisant des bâches. De plus, nous savons très bien, pour en faire « soigner » régulièrement, que les tableaux, même très endommagés, pouvaient être sauvés. Quant aux vitraux, l’argument des infiltrations d’eau n’est absolument pas recevable. Il était tout à fait possible de tous les déposer avant la démolition.
J’espère sincèrement que la triste fin de l’église de la Baconnière servira d’exemple à ne pas suivre et surtout, permettra de sauver de nombreuses œuvres qui se trouvent dans des édifices très endommagés, et qui risquent de subir le même sort.

Nous comptons vraiment sur vous tous pour nous informer le plus tôt possible des projets de démolition. Dans ce cas précis, il était déjà bien tard lorsque nous avons reçu l’alerte et, surtout, il semblerait que le collectif qui s’est mobilisé n’ait pas souhaité d’aide extérieure. Je rappelle qu’Urgences Patrimoine peut prendre en charge les frais de recours, et essaie de soutenir au mieux les collectifs locaux dans leurs démarches. Alors certes, nous ne faisons pas de miracles, mais nous faisons de notre mieux pour empêcher l’accélération des destructions de notre patrimoine sur l’ensemble du territoire.

Enfin, rappelons que chaque édifice qui tombe ne tombe pas pour rien. En effet « grâce » à cette pauvre église, nous en avons identifié une autre qui risque de subir le même sort à quelques kilomètres de là, et cette fois nous mettrons tout en œuvre pour qu’elle ne finisse pas sous les dents des pelleteuses. Notre délégué local, Michel Rosiaux, est déjà prêt à organiser une rencontre avec les élus de la commune.
« Le patrimoine ne peut pas lutter, ensemble, nous pouvons ».
Alexandra Sobczak-Romanski
Présidente d’Urgences Patrimoine



Crédits photographiques : Christine Chêne. Nous remercions très sincèrement Madame Christine Chêne de nous avoir permis de diffuser ses photographies prises lors de la démolition de l’église de la Baconnière.
Chapelle Saint-Joseph à Lille : résultat de l’audience du 6 juillet 2023
03/08/2023 11:48



Nous le savions en sortant du Tribunal Administratif, même si au fond de nous-mêmes nous espérions un miracle. Le miracle n’a pas eu lieu, mais nous sommes tout de même satisfaits du résultat de cette audience. Car nous échappons aux 3000 euros de condamnation demandés par le Ministère de la Culture (c’est le sort que réserve le Ministère lorsqu’on tente de sauver le patrimoine des territoires), mais en plus, pour la première fois, le Tribunal reconnaît que l’un de nos deux arguments était recevable. Donc, c’est une très belle avancée pour que la mémoire de « Notre » chapelle Saint-Joseph soit réhabilitée.
Seul demeure le soit-disant manque d’intérêt architectural avancé par le ministère, alors que pourtant nous avons prouvé à maintes reprises que son intérêt était incontestable. La meilleure preuve étant la tribune signée par plus de 100 professionnels du patrimoine et universitaires du monde entier. Le lien pour prendre connaissance de cette tribune est disponible à la fin de notre article.

Donc, comme notre avocat le préconise dans son compte-rendu ci-dessous, nous allons faire appel. Cela ne ramènera pas la chapelle Saint-Joseph, mais si nous arrivons, lors de l’appel, à enfin prouver qu’elle avait un réel intérêt, alors nous aurons fait un énorme pas en avant pour espérer sauver d’autres édifices menacés de démolition.
Nous avons toujours dit que nous souhaitions que la chapelle Saint-Joseph ne soit pas tombé pour rien et c’est bien pour cette raison que nous poursuivons le combat.

Communiqué de Maître Théodore Catry :
« Le tribunal a décidé de rejeter notre requête, en refusant toutefois la demande de la partie adverse visant à la condamnation d’Urgences Patrimoine au paiement d’une somme de 3000 euros, ce qui signifie qu’il reconnaît l’intérêt juridique du débat qui s’est tenu sur la légalité du refus de mise en instance de classement.
Et pour cause : le juge administratif reconnaît dans son jugement que la décision de la ministre est partiellement illégale. En effet, celle-ci s’était crue autorisée à refuser notre demande au motif que la mise en instance de classement n’aurait pas d’utilité. Le tribunal a censuré ces motifs en considérant qu’ils « ne sont pas au nombre de ceux qui peuvent légalement justifier une décision de refus de mise en instance de classement. »
Il relève donc une erreur de droit, fait rare qui confirme le peu de sérieux avec lequel la décision ministérielle a été prise.
Mais le juge a ensuite estimé que cette erreur était rattrapée par le reste de la motivation du refus de mise en instance de classement, à savoir l’absence d’intérêt patrimonial de la chapelle Saint-Joseph. Théorie qu’il avalise malgré nos arguments, le jugement évoquant les transformations de l’ensemble architectural dans lequel l’édifice s’insère, sa désacralisation et son vieillissement.
C’est une interprétation contestable. Nous défendons depuis le début qu’une mise en instance de classement doit être activée dès lors que l’édifice présente un intérêt patrimonial réel, à charge ensuite pour l’administration de mesurer le degré de cet intérêt. La mise en instance n’est pas une préinscription : elle est une mesure conservatoire, de sauvegarde, qui permet le gel de toute menace sur un bien patrimonial en vue d’examiner sereinement la possibilité de le placer sous le régime des Monuments Historiques.
Ce jugement est susceptible d’appel. Je pense que nous devons poursuivre sur cette ligne de défense. »

Nous risquons cette fois de ne pas échapper à la condamnation car notre obstination risque de déplaire, c’est la raison pour laquelle nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin de votre soutien.
Si vous êtes en mesure de faire un petit geste, il sera le bienvenu.
Pour nous aider, cliquez ICI.
Lire la Tribune des professionnels du patrimoine et des universitaires ICI.


Crédits photographiques : Josette Hemsen / Urgences Patrimoine