Vente aux enchères du Mobilier national : scandale d’État ou fausse bonne idée ?

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Cela n’aura échappé à personne, la presse nationale et même internationale a fait grand bruit autour de la vente aux enchères publiques d’une centaine de pièces sortant directement des réserves du sacro-saint Mobilier National, qui devrait avoir lieux les 20 et 21 septembre prochains.

Cette vente, organisée au profit des soignants, mais aussi de quelques artisans d’art, pourrait effectivement être controversée et considérée comme une atteinte à l’intégrité du patrimoine français, mais après la sidération, vient la réflexion.

Et si cette vente était en fait un acte « banal », victime d’une communication défaillante et d’un contexte particulier où un simple « fait divers » revêt l’allure d’un scandale d’État.

Car ce genre de vente a déjà eu lieu et aura encore lieu. Le Mobilier National appartient à la Nation, donc, au peuple et, de ce fait, il est inaliénable. Mais une mesure que l’on appelle le déclassement rend possible la vente. Ce sont donc une centaine de pièces qui vont être soumises à cette procédure, afin de permettre leur vente.

Le Hervé Lemoine, Directeur de la prestigieuse institution, précise que le mobilier mis en vente n’aura ni valeur patrimoniale, ni valeur d’usage et que la liste sera validée par l’ensemble des conservateurs.  D’ailleurs, au sein du MN il y a deux catégories de biens : ceux qui effectivement ont une valeur patrimoniale indéniable et qui sont dignes des plus grands musées, et ceux dit « courants ». C’est bien dans cette seconde catégorie que le mobilier de la vente devrait être choisi.

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Ce qui bien évidemment pose question en terme de communication.

Pour résumer, l’on nous dit : « on vend une centaine de « trucs » sans valeur, qui nous prennent de la place pour rien ». Pour une vente caritative c’est un peu léger comme argument de vente. Les acheteurs potentiels apprécieront, tout comme les destinataires des fonds récoltés.

Et puis on nous précise bien que ce mobilier sera du mobilier XIXe, histoire de rappeler qu’il ne vaut rien. Une commode Louis-Philippe en salle des ventes à souvent du mal à trouver preneur pour 50 euros, alors si en plus les grands professionnels nous disent clairement que ce mobilier est sans valeur, pourquoi le proposer pour une vente de charité ?

Cela nous semple un peu confus.

Mais au moins, cela a occupé les réseaux sociaux quelques jours et nous a changé du : « on va tous mourir » ou du : « où sont les masques ? ».

Donc, pas d’inquiétude pour le patrimoine mobilier français, du moins, concernant cette vente.

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En revanche, il faudrait plutôt faire le chemin à l’envers et plonger au cœur de cette institution, que la Cour des Comptes a rappelé à l’ordre en 2019.

Dans son rapport accablant il est question d’une gestion calamiteuse. Absentéisme, travail dissimulé, manque de productivité, abus et privilèges des agents et accomplissement médiocre des missions…tout y est passé, causant la colère des employés et de la direction.

Voici les préconisations de la Cour des Comptes dans son document de synthèse :

La rationalisation du fonctionnement :
1. dans le cadre du futur schéma directeur immobilier, transférer sur des implantations moins onéreuses les activités de production installées à Paris et l’excédent des réserves qui ne pourra être gardés à Pantin ou à Perret ;
2. recourir systématiquement à la sous-traitance chez les prestataires agréés dès lors que leurs devis sont inférieurs aux coûts complets des ateliers du MNGBS et en tirer les conséquences sur le format des e ectifs de ceux-ci lorsque l’o re privée est performante ;
3. proscrire la « perruque », c’est- à-dire l’utilisation par les agents, à des ns privées, des moyens publics de production.
La remobilisation des équipes :
4. mettre en place un système automatique de suivi des présences sur les lieux de travail avec des badges individuels ;
5. prendre en compte dans les rémunérations indemnitaires (RIFSEEP) des agents des ateliers les qualités et quantités de leurs productions individuelles.
L’amélioration de la préservation et de la valorisation du patrimoine national :
6. diversifier le recrutement des jurys de concours des métiers de restauration ;
7. pour l’activité d’ameublement, mettre à l’étude la substitution d’une location mobilière assise sur la valeur d’assurance des objets déposés au système actuel de dépôt gratuit.

Si le cœur vous en dit le rapport complet est à votre disposition ici :

En revanche, ce qui nous semble bien plus grave que la vente de 100 meubles et objets de « second choix », ce sont les « disparitions inquiétantes » de près de 60.000 meubles et objets qui manquaient à l’appel lors du dernier inventaire de 2017.
Des vols certes, des oublis sans doute, de la malveillance parfois, mais surtout un « joyeux bordel » qui ne permet pas de retrouver nos « chers disparus ».

Nous ne pouvions pas terminer cette liste non exhaustive, sans évoquer la conservation de certaines œuvres, abandonnées au milieu de nulle part et en proie à l’humidité, aux vrillettes (insectes qui se régalent en dévorant le bois, ancien de préférence) et autre risque d’incendie.

Pour résumer, nos greniers sont bien mieux rangés.

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Mais ne tirons pas sur l’ambulance (même si c’est tendance). L’institution essaie de se réinventer. C’est Françoise Nyssen, alors Ministre de la Culture, qui avait jeté le premier pavé dans la mare (au diable) et depuis l’arrivée du nouveau directeur, en la personne d’Hervé Lemoine, les choses semblent vouloir bouger un peu. Comme par exemple, la bonne initiative de collaborer avec une célèbre marque de mobilier, afin de produire des meubles et de les vendre, pour permettre de faire rentrer quelques sous dans les caisses.

Cela ne fera pas oublier les manquements, mais il faut voir là une réelle volonté de bien faire.

N’oublions pas aussi que de nombreux artisans d’art dépendent de cette institution, dont certains possèdent des savoir-faire rares. On regrettera toute- fois, comme le préconise la Cour des Comptes, que les artisans d’art extérieurs, ne puissent jamais intervenir dans le cadre des restaurations des collections.

Enfin tout ça pour dire qu’il n’y avait pas forcément faire toute une histoire pour pas grand-chose, du moins sur la forme.
Sur le fond, ce qui est plus grave, c’est qu’il faille organiser des ventes caritatives pour venir en aide aux Hôpitaux et aux soignants, mais qu’importe le mode opératoire, à la fin, c’est toujours le contribuable qui paye.

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Crédits photographiques : Photo 1 : Photo : Château de Versailles / Christian Milet Photo 2 : Thibault Chapotot Photo 3-4-5 : Mobilier National