Sombre avenir pour la sucrerie de Georges Lish


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Encore un patrimoine industriel menacé de démolition dans les Hauts-de-France. L’association de sauvegarde du patrimoine de Ham (RESPECTH) nous a alerté afin de ne pas passer sous silence ce projet, qui priverait le pays hamois d’un témoin remarquable de son histoire.

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Cette démolition annoncée est d’autant plus consternante qu’a lieu en ce moment même dans la région, la très belle opération « Le printemps de l’Art Déco », visant à promouvoir l’architecture de cette période à travers la mise en valeur de nombreux édifices.

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Appel à soutien de l’association RESPECTH :

« Il y a un siècle se construisait à Eppeville ce qui allait longtemps être la plus grande sucrerie d’Europe dans l’esprit Art-Déco de l’architecte renommé Georges Lisch. 100 ans après, sa démolition est programmée par le groupe allemand Südzucker propriétaire du site depuis 2001.Nous nous opposons à la destruction de ce patrimoine historique, architectural et humain du pays hamois. Une concertation des différents partenaires potentiels pourra ensuite sereinement envisager les solutions de la sauvegarde et du devenir du site. Par anticipation et en toute confiance dans son avenir, la sucrerie de Georges Lisch vous remercie de votre aide.

Si vous souhaitez participer, commenter et signer la pétition que sa sauvegarde nécessite, voici le lien ICI.

Vous pourrez bien sûr aussi le partager avec ceux que vous savez proches de nos patrimoines communs. Nous vous rappelons qu’il est inutile de payer au moment de signer, comme la plateforme vous invite à le faire. »

RespectHueusement vôtre

http://www.respecth.fr/

Historique de la Sucrerie d’Eppeville

La Grande Guerre ayant détruit la quasi-totalité des sucreries de la région, M. Emile Tabary, ancien directeur de la sucrerie de Flavy-le-Martel (à 10km de Ham) veut reconstruire sur de nouvelles bases. L’industrie étant éparpillée, il veut tirer parti des circonstances pour la concentrer et ainsi obtenir de meilleurs résultats. M. Tabary voit grand… très grand ! Avec l’aide de M. Edmé Sommier, raffineur parisien et de M. Boivin, il réussit à mettre au point un projet de regroupement des dommages de guerre en obtenant l’accord de 14 sucreries et râperies détruites : Eppeville, Matigny, Monchy-Lagache, Athies, Mons-en-chaussée, Péronne, Ercheu, Moyencourt, Villers St Christophe, Flavy-le-Martel, Montescourt-Lizerolles, Seraucourt-le-Grand, Lesdins et Courcelles. L’emplacement de la nouvelle usine est choisi : Eppeville. En effet, étant donné l’importance du tonnage de betteraves à travailler, il faut que la sucrerie soit desservie par le fer (ligne Amiens-Tergnier), la route (la RN 30) et l’eau (le canal de la Somme). C’est ainsi que la C.N.S R. (Compagnie Nouvelle de Sucreries Réunies) voit le jour le 13 juin 1919. L’usine est construite de 1919 à 1922 et la distillerie en 1922. Plus de 160 entreprises se côtoient sur le chantier! Jamais, à cette époque, on n’avait vu une fabrique de sucre de cette taille ! Ne fut-elle pas, un temps, la première d’Europe et la cinquième du monde !

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L’architecte en charge du projet est Georges Lisch (1869-1960) qui travaillait à l’époque à la restauration du château de Vaux-le Vicomte pour le compte d’Edmé Sommier. La façade principale de l’usine s’inspire de la première gare ferroviaire du Havre. Dans un esprit décoratif « art déco ». Georges Lisch l’orne de motifs de briques en écaille qui riment avec la forme de l’ensemble en arc de cercle. Une vaste ouverture centrale est surmontée de l’inscription en céramique « FABRIQUE DE SUCRE ».

L’ensemble urbain et industriel constitué par la C.N.S.R. représente un exemple très abouti d’habitat social. L’architecte conçoit un vaste programme dont le dénominateur commun est l’appareillage en brique (pour les édifices de production et d’administration) et le style régionaliste. Aux côtés de l’usine, des bureaux, des services (cantine, infirmerie...), de la résidence du directeur traitée en véritable manoir, est édifiée la cité-jardin « les Chalets » pour les contremaîtres. Cette dernière, inspirée des réalisations anglo-saxonnes, forme un quartier verdoyant de 26 maisons jumelles, entourées chacune d’un jardin de 14 ares, desservi par quatre rues et doté d’un terrain de sport.

La première campagne sucrière est effectuée en 1923. En 1931 est créé un atelier de semoulerie et d’empaquetage.

Il n’y a pas eu de campagne en 1940 à la suite de graves dommages de guerre, ni en 1944 en raison de nouvelles destructions importantes. C’est seulement en 1947 qu’Eppeville retrouve son activité d’avant-guerre.

En 1968, la C.N.S.R. se regroupe avec des actifs sucriers (Bouchon et Pajot, Saint-Louis et Etrepagny) pour devenir « Générale Sucrière », se plaçant au deuxième rang des entreprises sucrières françaises et au cinquième rang de celles de l’Europe des neuf.

En 1970, un atelier de déshydratation de pulpe de betteraves est implanté.

En 1975, une imprimerie-emballages est créée.

En 1988, Générale Sucrière change à nouveau de nom et devient Saint-Louis Sucre.

Enfin, en 2001, Saint-Louis Sucre est racheté par le groupe coopératif allemand Südzucker, numéro un du secteur sucrier en Europe.

En 2019, Südzucker annonce la fermeture du site. Le 8 février 2020, la production s’arrête mettant fin à une histoire centenaire.

Une bien triste nouvelle qui n’a pas manqué de jeter la stupeur et la consternation chez les 132 salariés de l’usine mais aussi chez les producteurs, les saisonniers, les commerçants de l’agglomération hamoise…et de susciter une très grande émotion dans la population de la région parmi laquelle les nombreux retraités de la sucrerie.

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Citons quelques chiffres afin de mieux appréhender l’importance et le rayonnement de cette industrie, fleuron de notre territoire : en 1955, l’ensemble des installations comportait plus de 1000 m de quais d’expédition par camions et wagons et un port fluvial important doté de grues et de portiques roulants où accostaient plus de 1000 péniches par an. Cet équipement considérable permettait d’assurer un trafic égal à celui du port de Boulogne-sur-Mer avec près de 1.200.000 tonnes manutentionnées par an !

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En 1981, l’usine se plaçait encore au deuxième rang des entreprises sucrières françaises et au cinquième rang de celles d’Europe des neufs. Sa surface emblavée était de l’ordre de 20.000 hectares et la production journalière de sucre de 1500 tonnes. Son effectif était de 712 permanents et de 295 saisonniers.

En 2012, la surface ensemencée était de 15.900 hectares (67% dans l’Aisne, 23% dans la Somme, 10% dans l’Oise). 1200 «  Planteurs » venant d’un rayon moyen de 30 km approvisionnaient l’usine. En campagne, la quantité journalière de betteraves travaillées était d’environ 16.000 tonnes et la production journalière de sucre de 2000 tonnes. En post-campagne (travail non plus de betteraves mais de sirops en surplus), la production journalière de sucre était de 1900 tonnes. La distillerie produisait, de son côté, environ 2.500 hl d’alcool par jour, à partir de jus de betteraves et de mélasses (résidu sucré de fabrication). Quant au conditionnement, il avait emballé, toute l’année, le sucre de l’usine soit environ 80.000 tonnes (sucre cristallisé, semoule, glace, morceaux...). Et l’atelier de déshydratation avait fourni 62.000 tonnes de pellets.

François Cassel Ham
Editorialiste et rédacteur en chef, jusqu’en 2000, du Journal de Ham.
Journaliste-historien.


Crédits photographiques : photos 1-3-4 :RESPECHT ; photo 2 : Région Hauts de France