Un espoir pour les bains-douches de la rue Muller à Montmartre

Jeudi 11 mars, lors du Conseil de Paris, les élus à l’unanimité ont demandé que le projet immobilier soit révisé. Pour une fois, la valeur patrimoniale du lieu fait partie du trio de tête des arguments et nous en sommes très heureux. Une première victoire pour les riverains opposés au projet, ainsi que pour le laboratoire Cyclope qui occupe les bains-douches de la rue Muller depuis 1998 et dont l’activité est menacée puisque, dans le projet du promoteur, les bains-douches doivent être démolis.

Unanimité des élus

Suppressions d'emplois, hyperdensification, casse du patrimoine : chacun s'accorde sur ces points. Emmanuel Grégoire (PS), premier adjoint d'Anne Hidalgo, en tête : « Ce projet est inopportun et mérite d'être retravaillé ». « Cependant, souligne Rudolphe Granier (Changer Paris, Républicains, Centristes et Indépendants...) , je ne suis pas confiant. Il reste une véritable ambiguïté. Je crains que le « dieu béton » dirige désormais le XVIIIe à la place de son maire, Eric Lejoindre ». [Source
Le Parisien]

Le promoteur n’a pas l’air d’être ouvert au dialogue, car d’après lui, ces bains n’ont aucune valeur patrimoniale ou historique. Pourtant, ne lui en déplaise, ils font partie de l’âme du quartier. Alors oui, effectivement, cet édifice ne date pas du XVIIIe siècle. Et alors ? Pourquoi ne pourrait-on pas être « jeune » et patrimonial ?

Cette photographie, transmise par la petite fille du photographe François Gabriel, habitant rue Muller au pied des escaliers qui mènent directement au Sacré coeur, parle d’elle-même. Elle a été prise entre 1939 et 1959 et nous rappelle que ce quartier a une âme, une histoire et qu’il est « patrimonial » dans son ensemble


Une chose est certaine, dénigrer avec un tel acharnement ce lieu ne peut que déplaire à la majorité d’entre nous. Voici un extrait de l’article du
Figaro du 10 mars dans lequel le promoteur livre ses arguments :

« Pour le promoteur Pierre-Philippe Caneri, cette question patrimoniale n’a pas lieu d’être. Lors d’une réunion le 24 février avec élus et habitants, celui-ci a décrit l’intérieur du bâtiment comme « totalement sordide », « ignoble », « vraiment très laid » ou encore « dégueulasse ». Et de marteler que ces locaux n’ont « aucun intérêt historique et aucun intérêt architectural ».


Maintenant que la mobilisation est forte, l’inquiétude des riverains et des élus tombe sous le sens, et en creusant un peu on s’aperçoit que de nombreuses zones d’ombres restent à éclaircir.

Élus et riverains s’inquiètent enfin de la fiabilité de l’homme d’affaires Pierre-Philippe Caneri. Lequel aurait, selon ses détracteurs, liquidé plusieurs sociétés par le passé.

Un membre du collectif craint que l’histoire ne se répète, citant l’exemple d’un immeuble du quartier, rue Feutrier, au début des années 2000. « Le promoteur a fait faillite, des fissures sont apparues à cause de cette construction mais les copropriétaires n’ont jamais pu obtenir de dommages et intérêts. Si ça nous arrive, qui va payer ? », interroge-t-il. « La mairie avait demandé de créer des parkings en sous-sol. C’est ça qui a déstabilisé le bâti. Nous, on ne va creuser que 80 m² de cave », réfute le promoteur.


« Je ne comprends pas pourquoi on me fait ce procès politique en sorcellerie. On se croirait au Komintern en 1917 » (Pierre-Philippe Caneri, patron de la société G4CMU SAS)

Autre élément notable : selon les données gouvernementales d’Etalab, la parcelle a été achetée en août 2019 pour 2,6 millions d’euros, soit 2763 euros le mètre carré. Un montant « étrangement bas », d’après les détracteurs du projet. « À ce prix-là, la mairie aurait dû préempter et revendre avec la nouvelle sécurité du PLU, ou pour faire du logement social », ose l’écologiste Émile Meunier. Lui parle d’un promoteur « cow-boy », venu pour « faire un coup ». L’intéressé récuse formellement ces accusations, disant être un entrepreneur familial. « J’ai acheté à un propriétaire richissime de la rue, sans permis de construire. Il a essayé de vendre pendant deux ans à ce prix-là, sans y parvenir. Moi, j’ai mis l’argent sur la table. Un cow-boy aurait signé une promesse de vente et aurait fait traîner en cas de permis refusé pour acheter moins cher », tranche-t-il. Pour tenter de faire tout annuler, le gérant du laboratoire a déposé un recours gracieux auprès de la direction de l’urbanisme. Sans réponse de la part de la ville, un recours au tribunal administratif restera possible. Mais pas de quoi effrayer Pierre-Philippe Caneri. « Je vais perdre un an, mais je vais gagner », promet-il. » [Source : Le Figaro]

Nous pensons très sincèrement que ce monsieur est aveuglé par le pouvoir de l’argent et nous sommes rassurés de constater que pour une fois, ce pouvoir est contré.

Nous espérons qu’il y aura également une enquête quant au prix d’achat des immeubles, car moins de 3000 euros le m2 à Montmartre nous semble tout à fait irrationnel.


En revanche, une inquiétude vient noircir le tableau de cette première victoire : le permis de construire accordé par la ville est toujours valide, et nous regrettons qu’avant la signature de ce permis, il n’y ait pas eu d’enquête approfondie, d’autant que le permis en question a tout de même été refusé deux fois avant d’être accordé le 24 décembre dernier. Alors quel sera réellement l’avenir des bains-douches ?


Crédits photographiques : photo 1 : François Gabriel ; photos 2-3-4 : Collectif.