July 2021

Dreux : le délégué d’Urgences Patrimoine en action contre la défiguration de la place Rotrou

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Notre délégué d’Eure-et-Loir, Christophe Guillouet, maintient sa position concernant le projet d’aménagement de la place Rotrou et celui de la démolition de la crèche.

Un grand merci à lui pour son engagement à nos côtés pour la sauvegarde du patrimoine de nos territoires.
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Accéder à l’article numérique de l’Echo Républicain  ICI.

Lire notre précédent article sur le sujet ICI.

Signer la pétition ICI.




Evreux : des passionnés indexent le « Cimetière des fous » avant qu’il ne disparaisse sous le bitume

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Ce n’est pas la première fois qu’Anaïs Poitou nous fait part de sa passion pour le patrimoine funéraire, mais aujourd’hui elle nous dresse le bilan d’une journée de travail très particulière. Journée qui aura permis d’indexer le cimetière de Navarre, plus communément appeler « Cimetière des Fous », afin que les noms des défunts ne disparaissent pas pour toujours au moment où les travaux de la déviation d’Evreux feront table rase du lieu.

Anaïs Poitou est actuellement en Service Civique à la Conservation départementale de l’Eure. Suite à sa Licence d’Histoire et à son Master Valorisation du Patrimoine, elle a choisi de s’engager dans la protection et dans la valorisation du patrimoine funéraire pour lequel elle porte un grand intérêt. Membre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire et du collectif Les Gilets Bleu Horizon, elle souhaite s’impliquer dans cette cause qui lui tient à cœur.

Un dimanche au cimetière

Dimanche 11 Juillet, afin de permettre l'indexation du cimetière des indigents de Navarre, situé à l'écart de l'hôpital psychiatrique d'Evreux, j'ai réuni une dizaine de volontaires. Parmi eux, ma famille et mes amis étaient présents, ainsi que deux membres de l'association Les Gilets Bleu Horizon, le président Alain Raoul et sa vice-présidente Laure Guillaud. Deux volontaires ayant un ancêtre dans le cimetière nous ont également rejoint dans ce projet. Tout ceci a pu se faire dans le cadre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire, mise en place par l'association Urgences Patrimoine.

INDEXFOUSPHOTO-1 L'équipe d'indexation en charge des carrés A et C © 2021 Alain Raoul
Le cimetière étant à l'abandon depuis plus de 10 ans, nous avons eu beaucoup de travail ! Le site se divise en quatre grandes parties, que nous avons décidé de nommer carrés A, B, C et D en partant d'en haut à gauche. En nous séparant en différents groupes, nous avons pu effectuer un travail méthodique et rapide.

INDEXFOUSPHOTO-2 Croquis rapide du cimetière avant l'indexation © 2021 Laure Guillaud
Une équipe de cinq volontaires était au débroussaillage, un travail fastidieux, d'autant plus dans le carré C qui était presque en totalité recouvert de ronces qui cachaient un grand nombre de stèles et de tombes en pierre. Ce travail a permis de retrouver plusieurs noms et matricules tombés dans l'oubli, uniques vestiges de l’identité de ces défunts. Au niveau des carrés A et B, le principal travail de débroussaillage se situait vers le haut. En effet, plusieurs arbustes avaient poussé, cachant deux à trois rangées de tombes, ce qui nous a permis de les rendre visibles et de pouvoir les photographier par la suite. Le carré D n'a pas nécessité de débroussaillage particulier, car les sépultures qu'il contenait ont en grande majorité étaient relevées au cours de ces dernières années. Aujourd'hui, il ne reste qu'une dizaine de tombes, entourées d'hautes herbes. Il y aurait eu dans ce carré les tombes des religieuses ayant eu en charge, pendant plusieurs années, le secteur dédié aux femmes de l'hôpital, mais elles auraient été exhumées et déplacées dans leur monastère d'origine, en Vendée.

Deux autres équipes, composées de trois volontaires chacune, se sont quant à elles concentrées sur le travail d'indexation. Pendant qu'un volontaire notait les noms et autres informations disponibles sur les stèles et les monuments, un second prenait chaque tombe en photo à deux reprises. La première photo est pour l'ensemble de la sépulture, et la seconde est un gros plan des plaques ou matricules en zinc visibles, mais aussi des noms gravés dans la pierre. Le troisième volontaire déposait des morceaux de laine sur les tombes afin d'avoir un repère pour ne pas faire de répétitions avec les noms et les photos. La première équipe a pris en charge les carrés A et C, et la seconde les carrés B et D.

Cette indexation a duré toute la journée, ce qui nous a permis de vraiment prendre le temps de trouver une majorité de tombes disparues, mais aussi de retrouver des noms. Si pour les croix et stèles de bois, il était simple de déchiffrer le nom ou le matricule gravé sur les plaques, cette expérience était plus difficile pour les tombes en pierre. Au fil du temps, les noms et dates inscrits dans la pierre se sont effacés, et il a fallu souvent utiliser papier et crayon pour déchiffrer les informations. Ce fut une découverte à chaque inscription qui apparaissait.

Dans l'après-midi, suite à un piquenique champêtre, sous le couvert des arbres, nous avons continué notre indexation en modifiant quelque peu nos équipes. Certaines personnes ne pouvaient pas rester l'après-midi, mais le débroussaillage était terminé.

Nous avons donc divisé notre groupe de huit en deux groupes de quatre. La quatrième personne des équipes avait en charge le nettoyage des plaques ou des tombes en pierre, avant le passage du photographe, puis elle épelait les noms, ce qui facilitait l'avancée de la personne en charge de les noter. Pendant notre indexation, nous avons eu la chance de rencontrer Manon Maurin et Aldéric Tardivel. Manon est à l’origine de la pétition pour la préservation du cimetière qui a aujourd’hui atteint plus de 1 000 signatures. Grâce à cette pétition, le cimetière des indigents a été découvert ou redécouvert par de nombreuses personnes, en témoignent les visiteurs que nous avons pu rencontrer le jour de notre indexation.

L’un des plus beaux témoignages que j’ai pu voir au cours de mes nombreuses visites ces dernières semaines, ce sont les dépôts de roses fraîches sur les tombes de pierre et aux pieds des stèles de bois, sans aucune distinction. Ce beau geste est émouvant car une tombe fleurie est une tombe qui n’est pas abandonnée, et cela prouve que des personnes se rendent encore dans le cimetière.

INDEXFOUSPHOTO-3 Une tombe fleurie © 2021 Anaïs Poitou
Ce travail a pour but de ne pas oublier ces défunts, ainsi que ce cimetière, dont l'histoire est liée au Nouvel Hôpital de Navarre. A travers ce projet d'indexation, nous souhaitons sauvegarder la mémoire de ce lieu avant que les travaux de la déviation Sud-Ouest ne le fasse disparaître.

Avec nos différents croquis, registres de noms et les nombreuses photos prises au cours de cette journée, nous avons pu établir un travail précis avec la localisation de chaque tombe et des informations que l'on a pu trouver.

INDEXFOUSPHOTO-4 Quelques sépultures ; stèles de bois © 2021 Anaïs Poitou
Dans le futur, nous pourrons comparer nos découvertes avec les registres du cimetière. Le site possède par ailleurs du mobilier, comme un four crématoire situé en haut du carré A, à l'extérieur du cimetière, un abri pouvant servir au gardien dans la partie basse du carré C ou encore un calvaire en son centre. Un ossuaire, servant à déposer les ossements des sépultures les plus anciennes du cimetière afin d'y faire de la place, est visible dans la partie droite, en haut du carré B.

INDEXFOUSPHOTO-5 Quelques sépultures ; croix de bois © 2021 Anaïs Poitou
Nous avons d'ailleurs pu retrouver, grâce à un travail de description de dalle funéraire, la tombe d'un prêtre, placée à la gauche du calvaire, dans le bas du carré A. Ce prêtre, Jean-Charles LEMONNIER, a travaillé à l'hôpital, tout comme plusieurs infirmières et infirmiers, au nombre de six, se trouvant eux-aussi dans le cimetière. La sépulture d'Adrien BARILLON, soldat Mort pour la France, se trouve quant à elle en haut à gauche du carré C. La tombe d'un médecin, aujourd'hui relevée, se trouvait quant à elle dans le carré D.

INDEXFOUSPHOTO-6 Quelques sépultures ; tombe en pierre © 2021 Anaïs Poitou
INDEXFOUSPHOTO-7 Tombe du prêtre Jean-Charles Lemonnier après description à l'aide de mousse © 2021 Anaïs Poitou
INDEXFOUSPHOTO-8 Tombe du soldat Adrien Barillon © 2021 Alain Raoul
Concernant les autres sépultures de pierre, stèles et croix de bois, il semblerait que ces tombes soient celles des patients de l'hôpital. Parmi ces tombes, une grande majorité se compose de stèles sous forme de croix en bois, mais on compte aussi une quarantaine de tombes en pierre, et environ une vingtaine de stèles plates en bois. Sur les 522 sépultures retrouvées, 97 d'entre- elles n'ont pu être identifiées, et une dizaine possèdent un matricule sans nom. Seules les sépultures de pierre ont pu être datées, les dates apparaissant en dessous des noms, mais ce n'est pas le cas de toutes. Sur l'ensemble, on remarque d'ailleurs qu'il y a une majorité de femmes identifiées et inhumées dans le cimetière, pour environ 210 tombes, les hommes identifiés étant probablement au nombre de 189. Au cours de notre indexation, nous avons pu observer des animaux se promener sur le site, comme des lapins ou encore des souris, mais aussi de nombreux insectes, notamment des papillons : la nature reprend peu à peu ses droits sur la forêt.

INDEXFOUSPHOTO-9 Lapin gambadant entre les tombes dans le cimetière pendant notre indexation © 2021 Anaïs Poitou
Au cours de notre journée, nous avons pu faire la rencontre de nombreux visiteurs venus se recueillir en ce lieux, ou en faire la découverte. Parmi eux, il y avait un adepte du cimetière : il s'y rend régulièrement depuis 2007 ! En discutant avec lui, il nous a partagé l'une de ses idées concernant le devenir du cimetière et de la mémoire des défunts. Si les exhumations ne peuvent être faites, nous aimerions qu'il y ait au moins l'élévation d'un monument ou d'une stèle à la mémoire de ces personnes.

Si l'hôpital a proposé de déplacer le calvaire du cimetière afin de conserver une trace du lieu, ce visiteur aimerait élever une petite chapelle du souvenir, et placer toutes les plaques d'identifications en zinc, qui auraient été préalablement récupérées dans le cimetière, afin de les placer sur les murs de la chapelle. Ce serait comme un mur du souvenir, rendant hommage à ces personnes tout en conservant une trace de leur identité. C'est une belle idée qui mérite réflexion.

Afin de compléter ce descriptif de notre travail, j'ai demandé à mes proches de me décrire leur ressenti au cours de cette journée.

« Cette journée m'a permis de donner du temps pour une bonne cause, même si le cimetière est voué à la destruction d'ici peu. Participer à cette indexation nous permet de ne pas oublier tous ces défunts et de conserver leurs traces. De plus, effectuer ce travail nous a permis d'avoir une autre réflexion sur les cimetières et sur le patrimoine funéraire en général, sur le devenir de ces défunts. Le cimetière nous concerne tous, et ce qui frappe ici, c'est l'immoralité envers ces morts oubliés pour leur folie, et prochainement recouverts par les remblais de la déviation. » Laurence Poitou.

« Cette indexation nous a permis de créer des liens et de faire des connaissances autour d'un sujet qui nous rapproche malgré nos différents horizons. Ce projet était à la fois étrange, car nous n'avons pas forcément l'habitude de nous rendre au cimetière. Dans mon cas, le cimetière des indigents est une découverte totale car je ne connaissais pas son existence. Ce fut un cadre de travail agréable car nous nous trouvions au cœur de la forêt et dans le calme. Nous n'avions rien à gagner en menant ce projet, mais nous étions heureux de donner ce que nous pouvions donner pour cette indexation. Même si l'endroit reste agréable, le lieu est très triste. A chaque instant, la peur de piétiner une tombe se fait ressentir. Mais l'envie de redonner une identité à ces défunts prend le dessus et nous donne la force de travailler. Le lieu, malgré l'omniprésence de la nature, confère un aspect triste et délabré à ces stèles de bois et de pierres. C'est une page qui se tourne. » Angeles.

INDEXFOUSPHOTO-10 Stèle de pierre de Louis JOUEN © 2021 Anaïs Poitou
« Le premier sentiment que j'ai ressenti en arrivant dans ce cimetière c'est de la tristesse. La tristesse de voir ce lieu chargé d'histoire abandonné. Puis en apprenant l'histoire de cet abandon c'est de la colère que j'ai ressenti. Comment peut-on laisser à l'abandon un lieu plein d'histoire, surtout lorsqu'il y a un soldat inhumé, tout cela pour une question d'argent et de politique. Participer à ce projet m'a vraiment plu. J'ai l'impression d'avoir été utile à une bonne cause et sortir toutes ces personnes de l'oubli a été à mes yeux la plus belle récompense à nos efforts. » Laure Guillaud, vice-présidente de l’association Les Gilets Bleu Horizon.

« Tout au long de ce travail, j'ai eu un ressenti étrange car je n'aurais jamais imaginé me rendre dans un cimetière pour faire une indexation il y a encore quelques mois. Mais faire partie de ce projet, c'est avant tout aider ma fille, mais aussi donner de mon temps pour une bonne cause, ce qui m'a fait plaisir. Nous avancions rapidement et méthodiquement, sortant ces défunts de l'oubli. En effet, la plupart des stèles de bois avaient été recouvertes par la végétation des lieux. Nous avons également retrouvé de nombreuses plaques, redonnant une identité à ces personnes. » Stéphane Poitou.

INDEXFOUSPHOTO-11 Plaque de zinc d'Elisabeth LE MEUR © 2021 Anaïs Poitou
Je tiens à remercier chaleureusement les volontaires, familles, amis comme nouvelles connaissances, d'être venus m'aider dans ce projet : notre travail d'équipe a porté ses fruits. Merci à mes parents Laurence et Stéphane Poitou, et également à Victor Patry, mon conjoint. Merci à Alain et à Laure d'avoir fait le déplacement depuis Rouen, mais aussi à Agathe et à Didier, que j'ai été ravie de rencontrer. Je tiens également à remercier Angeles, Mathilde et Antoine d'être venus. C'est grâce à vous et à votre travail que cette indexation a pu être réalisée.

INDEXFOUSPHOTO-12 Matricule de zinc ; F 10 C A R 17 © 2021 Anaïs Poitou
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à me contacter : anais27000@hotmail.fr

Pour contacter la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire : urgences.patrimoine@gmail.com

Le cimetière des indigents en quelques chiffres :

  • 522 tombes, dont environ 210 pour les femmes et environ 189 pour les hommes
  • 97 inconnus
  • 454 croix de bois
  • 45 sépultures en pierre
  • 18 stèles de bois, symbolisant une appartenance religieuse différente autre qu'à la religion chrétienne
  • 13 matricules sans noms
  • 4 monuments composés de sépultures en pierre et de croix de bois
  • 1 soldat Mort pour la France
  • 6 infirmiers, dont 2 infirmières
  • 1 médecin
  • 1 prêtre
  • 1 calvaire
  • 1 four crématoire
  • 1 ossuaire
  • 1 abri de gardien

Crédits photographiques :
1. L'équipe d'indexation en charge des carrés A et C © 2021 Alain Raoul
2. Croquis rapide du cimetière avant l'indexation © 2021 Laure Guillaud
3. Une tombe fleurie @ 2021 Anaïs Poitou 4. Quelques sépultures ; stèles de bois © 2021 Anaïs Poitou 5. Quelques sépultures ; croix de bois © 2021 Anaïs Poitou 6. Quelques sépultures ; tombe en pierre © 2021 Anaïs Poitou
7. Tombe du prêtre Jean-Charles Lemonnier après description à l'aide de mousse © 2021 Anaïs Poitou.JPG
8. Tombe du soldat Adrien Barillon © 2021 Alain Raoul.
9. Lapin gambadant entre les tombes dans le cimetière pendant notre indexation © 2021 Anaïs Poitou 10. Stèle de pierre de Louis JOUEN © 2021 Anaïs Poitou 11. Plaque de zinc d'Elisabeth LE MEUR © 2021 Anaïs Poitou 12. Matricule de zinc ; F 10 C A R 17 © 2021 Anaïs Poitou


« Action Cœur de Ville », centres historiques et hidalgoïsation des esprits: l'exemple de la place Rotrou à Dreux

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Alors que la commune de Dreux bénéficie du programme « Action Cœur de Ville », la nouvelle équipe municipale en place depuis 2020 semble s'acharner sur son centre historique. En voici une illustration avec le projet d'aménagement d'une petite place officiellement destiné à « mettre en valeur l'espace public et le patrimoine » mais qui va en réalité profondément la dénaturer.

Des habitants et des riverains, très inquiets de l’avenir du vieux Dreux, ont décidé de former le collectif « Rotrou en colère ». Vous pouvez les aider en signant leur pétition s'opposant à ce projet et en vous abonnant à leur page Facebook.

La pétition est ICI.
Le collectif « Rotrou en colère » est ICI.

Il y a certaines coïncidences qui laissent pensif. On célèbre actuellement le bicentenaire du passage de Victor Hugo à Dreux et une exposition au musée d’art et d’histoire consacrée à cet épisode ne manque pas de souligner que le jeune poète fut très frappé par les monuments anciens de la ville et que cette vive impression fut peut-être décisive dans la naissance de son engagement pour le patrimoine. Pourtant, au même moment ou presque, les annonces et les projets menaçant le centre historique de la ville se multiplient. En effet, récemment évoquée dans ces colonnes, la démolition programmée de l'ancienne crèche municipale, en dépit de son intérêt historique, n’est hélas pas un fait isolé et s'inscrit, on va le voir, dans un tableau d'ensemble particulièrement inquiétant. La nouvelle municipalité de Dreux veut-elle donc la peau de son patrimoine ?

Rappelons que Dreux (30 000 habitants) fait pourtant partie des 222 communes bénéficiant du dispositif « Action Cœur de Ville ». C'est un programme national destiné à les aider à lutter contre le déclin économique de leur centre historique, perceptible notamment au travers du phénomène désormais bien connu de la « vacance commerciale ». Les motivations de ce programme nous paraissent évidemment fort louables et le fait que Dreux en bénéficie des plus logiques : le taux de vacance commerciale de son centre-ville y atteint 15% (la moyenne nationale étant de 9,5% - chiffres de 2016-2017), ce qui la place parmi les 20 communes les plus touchées de France. Il est toutefois regrettable qu'à Dreux, comme dans d'autres villes, ce plan d'aide financé par le contribuable ne soit pas assorti d'un contrôle plus rigoureux de l'Etat dans la cohérence des choix politiques locaux. En effet, on ne peut qu'être perplexe à l'examen de plusieurs autres projets qui vont mécaniquement (plusieurs études l'attestent) nuire à ce même centre-ville, comme la construction en périphérie du très coûteux centre de loisirs « Otium » ou la fermeture de l'école Saint Martin.

Mais c'est un résultat plus immédiat et plus concret de ce programme qui sera ici le cœur de notre propos. En effet, « Action Cœur de Ville » s'articule notamment autour de « la mise en valeur de l’espace public et du patrimoine », ce qui signifie en clair que ses fonds peuvent aider à financer des projets d'aménagement. C'est le cas de ceux de la place Rotrou qui devraient se dérouler dans les prochains mois (
Echo Républicain du 16.09.20) et le moins que l'on puisse, c'est qu'en termes de « mise en valeur », ils sont extrêmement discutables. Il est vrai que Dreux s'était déjà illustré en la matière avec la mise en place de signalétiques peintes sur le sol particulièrement disgracieuses et qui auraient davantage leur place dans les couloirs d'un hôpital. Mais comme dirait l'autre, quand la ligne rouge (ou jaune ou verte) est franchie, il n'y a plus de limite. Incontestablement, une nouvelle étape dans l’enlaidissement du centre-ville est ici franchie.

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A Dreux, marquages au sol pour des travaux VS « mise en valeur de l'espace public ».

Mais tout d'abord, et pour mieux comprendre ce qui se joue, revenons en quelques mots sur l'historique et les caractéristiques de cette place. De dimensions assez modestes, elle se situe en plein cœur du vieux Dreux, à moins de 500 mètres de ses principaux monuments (le très beau beffroi, l'église Saint Pierre et la Chapelle royale des Orléans) et à deux pas de la principale artère commerçante du centre historique, la rue Maurice Viollette. Son histoire commence avec une série de destructions qui s'étalent sur le premier tiers du XIXe siècle. En 1867 y est inaugurée une statue en bronze réalisée par Jean-Jules Allasseur (1818-1903) et représentant Jean Rotrou (1609-1650), le consacrant comme la grande figure héroïque de la ville. En effet, ce dramaturge du Grand Siècle, contemporain et proche de Corneille, était né à Dreux et en avait été aussi été le bailli, c'est-à-dire l'officier royal y exerçant les fonctions militaires, fiscales et de justice. Dreux étant frappé par une épidémie de peste en 1650, Rotrou avait tenu à rester auprès de ses administrés, y perdant finalement la vie. Quelques jours avant sa mort, il avait envoyé à son frère une lettre particulièrement poignante et reprise sur le piédestal de la statue : « Le salut de mes concitoyens m’est confié, j’en réponds à ma Patrie, je ne trahirai ni l’honneur ni ma conscience, ce n’est pas que le péril où je me trouve ne soit fort grand puisqu’au moment où je vous écris on sonne pour la vingt-deuxième personne qui est morte aujourd’hui. Ce sera pour moi quand il plaira à Dieu. » Cette inauguration est l’occasion d’une ambitieuse commémoration, avec un discours d'Alfred de Falloux, académicien, et une représentation de Venceslas, une des pièces phares de Rotrou, par la troupe de la Comédie-Française dans le théâtre de la ville qui se trouve alors... place Rotrou ! Ce théâtre a été détruit au début du XXe siècle, mais il en subsiste encore une partie de la rotonde, visible au n° 4 de la même place.

La statue est hélas fondue par l'occupant allemand en 1942, mais par la grâce d'un moulage réalisé avant la fonte, une réplique en pierre est réalisée par Robert Delandre (1879-1961) peu de temps après, redonnant à la place à peu près son aspect antérieur. Tel le Phénix, Rotrou renaît donc une nouvelle fois de ses cendres et son héroïsme semble à jamais enraciné au cœur de ce lieu. Comme l'écrit à ce propos Jean-François Marmontel en 1793, « il est beau de voir dans un poète tragique un caractère plus grand lui-même et plus intéressant que tous ceux qu’il a peints. Son grand trait de caractère, c’est le dévouement en qualité de citoyen au bien public dont il fut la victime. »

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Place Rotrou - état en mai 2021 (avant le début des travaux)

C'est donc un lieu à l'histoire riche, mouvementée, hautement symbolique et resté pratiquement inchangé depuis environ un siècle, comme en attestent les photographies anciennes. La dernière évolution majeure en est la disparition de l’ancien théâtre, encore visible sur la peinture qu’en a réalisée Edouard Michon (1848-1943) dans le réfectoire de l’école Saint Martin. N'étant pas le résultat d'un projet urbanistique d'ensemble, la place Rotrou offre un condensé saisissant du tissu de la vieille ville où tous les styles s'y sont sédimentés de manière un peu désordonnée, du Moyen-Age à la Belle Epoque. Place pittoresque certes, mais aussi place monumentale par la présence de Rotrou qui semble lui donner son équilibre et sa cohérence. C'est ce qui en fait la singularité et le charme.

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La place Rotrou au début du XXe siècle (photo non datée)

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La place Rotrou par Edouard Michon (1897-1898) – réfectoire de l’école Saint Martin à Dreux

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De gauche à droite : n° 4 place Rotrou (rotonde de l'ancien théâtre) - n° 7 rue d'Orléans - n° 11 rue d'Orléans

C'est donc peu dire que le projet, avec ses quatre énormes pylônes faisant presque la hauteur des immeubles, va nuire à la lisibilité et à la cohérence du lieu. On soulignera au passage qu’en dépit d’une « consultation publique » (bien vite expédiée au mois d’avril dernier), très peu d’explications ont été données sur ce projet et ce, même aux riverains. Selon nos informations, il s'agirait de « tours multimédia » permettant l'accrochage d'un filet destiné à soutenir des oriflammes ou des affiches mais aussi, comme l’expression l’indique, la production d’images, de lumières et de sons. Transformer cette place en « boîte de nuit » à ciel ouvert ? On croit faire un mauvais rêve, mais c’est bien ce dont il semble ici question ! Quant à notre pauvre Rotrou qui y trônait depuis 150 ans, il est repoussé dans un angle, relégué au rang de décor accessoire, agent de circulation le jour, tenancier de discothèque la nuit... Quelle bien étrange manière de le remercier de son dévouement et de son sacrifice! Quelle bien étrange manière de « mettre en valeur » un lieu à l’histoire et à la symbolique aussi fortes !

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Projet d'aménagement de la place Rotrou - mai 2021. Vue d’ensemble

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Projet d’aménagement de la place Rotrou – mai 2021. Un avant/après édifiant : en vert, la statue de Rotrou, rétrogradé agent de la circulation ou videur de discothèque ; en rouge, les quatre « pylônes de la honte ».

Par ailleurs, où sont les espaces verts promis ? (
Echo Républicain du 16.09.20) On est frappé par la minéralité de l'ensemble dans un centre-ville qui comporte déjà relativement peu de jardins publics. Alors que la fermeture de l'école Saint Martin est justifiée par le fait qu'elle ne serait pas « compatible avec la transition écologique » (Echo Républicain du 02.06.21), on est visiblement beaucoup moins exigeant à l'égard des réalisations contemporaines... Un comble quand on sait qu'il y a encore une douzaine d'années, la place Rotrou comportait une pelouse centrale et de grands arbres !

Certains qualifieront sans doute notre point de vue d'excessivement conservateur, mais un centre historique a une histoire qui est déjà écrite et un aménagement se doit de le mettre en valeur, avec sobriété et discrétion, sinon il cesse tout simplement d'être un aménagement. Dénoncer le déplacement non justifié d'une statue aussi emblématique de Dreux et la mise en place de quatre énormes pylônes avec un impact visuel aussi important ne relève plus du jugement subjectif. Un centre ancien n'est pas un terrain d'expérimentation, c'est bien souvent l’un des derniers liens avec notre passé que peut nous offrir une ville et ce n'est pas un hasard si nous avons fait le choix depuis environ 150 ans en France de vivre, en quelque sorte, « avec » ce passé. C'est un choix de civilisation et le remettre en cause, ce serait enterrer définitivement l'héritage des Mérimée, Hugo, Malraux et quelques autres.

Nous avons ici un exemple frappant de l'hidalgoïsation des esprits qui ne se limite plus à Paris (ou même aux grandes métropoles), mais touche aussi désormais nos villes moyennes. Par « hidalgoïsation », nous entendons l’idée qu’un aménagement ne peut désormais plus se contenter de mettre en valeur un centre historique : non, c'est bien trop banal, il faut maintenant qu'il le « réinvente », en fasse un lieu « festif » à tout prix, quitte à en sacrifier toute l’authenticité. Ce qui devrait être accessoire devient central et, inversement, ce qui devrait être central devient accessoire : triste métaphore de notre temps ! Le parallèle fera sourire, mais imagine-t-on un instant la place de la République où la statue de la République serait reléguée en marge et au rang de faire-valoir ? Imagine-t-on les places romaines sans leurs fontaines ? Car oui, la statue de Rotrou joue le même rôle à Dreux que les fontaines à Rome : elle fait partie de ces œuvres d’art, grandes ou petites, majeures ou mineures, qui ponctuent et rythment l’espace urbain, lui donne sa cohérence et sa lisibilité, chose bien comprise de toutes les civilisations depuis l’Antiquité. Et c’est bien parce que Dreux est nettement moins riche en patrimoine que Rome, qu’elle devrait particulièrement le chérir. A une époque en quête de « sens », les drouais ont besoin de la centralité de leur Rotrou, de le voir, de se rappeler en permanence qui il fut et ce qu’il fit pour eux.

Maltraiter ainsi le patrimoine et l'esthétique du vieux Dreux, c'est aussi hypothéquer l'un des quelques atouts restant à une ville particulièrement touchée par la désindustrialisation de ces trente dernières années, et il suffit d'évoquer le récent mouvement #saccageparis pour en percevoir les potentielles conséquences en termes d’image et d’attractivité. Rappelons que #saccageparis est un mouvement dénonçant l'enlaidissement général de la capitale (et pas seulement sa saleté, comme on le répète trop souvent) par la multiplication d’aménagements peu respectueux de son tissu historique et notamment un acharnement sur son mobilier de l'époque haussmannienne. En quelques semaines, l'exaspération y a fait place au ressentiment et parfois à la haine (ce qu'évidemment nous condamnons). La colère, partie des parisiens, gagne désormais un nombre croissant d'amoureux de la capitale du monde entier, y compris de ceux qui n'étaient pas a priori hostiles à Anne Hidalgo, et l'image même de celle qu'on appelait il y a encore peu la « Ville Lumière » commence à en être affectée. Veut-on voir donc fleurir des #saccagedreux ?

Pourtant il y aurait tant à faire pour donner à la vieille ville l’éclat qu’elle mérite : donner plus de place aux fleurs et aux espaces verts, mieux entretenir les aménagements existants (à ce sujet, l’état du pavement de la rue Maurice Viollette fait peine à voir) ou inciter à un embellissement général des devantures commerciales par exemple. Et puis, sur un plan plus « mémoriel », rêvons un peu... Alors que l'œuvre de Rotrou bénéficie enfin d'une édition complète et fiable (achevée en 2019 sous la direction de G. Forestier), que celle-ci est régulièrement étudiée, analysée et commentée par les spécialistes, que l’importance de Rotrou est peu à peu reconnue aux côtés des Corneille, Racine ou Molière, ses pièces restent extrêmement peu jouées. Par conséquent, pourquoi ne pas organiser un festival annuel de théâtre permettant aux jeunes et moins jeunes de se réapproprier cette gloire drouaise et de la faire connaître du grand public ? Cela donnerait également à la ville natale du dramaturge une visibilité nationale, voire internationale.

En attendant, très inquiets de l'avenir de leur centre historique, des drouais ont décidé de créer un collectif et une page Facebook, « Rotrou en colère », afin d'informer et mobiliser leurs concitoyens. Nous incitons tous nos lecteurs à les soutenir en s'y abonnant et en signant leur pétition s'opposant au projet. Rotrou le vaut bien.

Rotrou en colère

La pétition est ICI.
Le collectif « Rotrou en colère » est ICI.


Crédits photographiques : Rotrou en colère

À Blandy-Les-Tours, on soigne le « petit » patrimoine

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Vous qui suivez les « aventures » d’Urgences Patrimoine, vous connaissez forcément Steven, notre jeune bénévole qui restaure les plaques de cochers.

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Il y a près d’un an et demi, le maire de Blandy-les-Tours, charmante commune de Seine-et-Marne nous avait confié la seule et unique plaque présente, afin que Steven lui refasse une beauté. La crise sanitaire et les emplois du temps de chacun n’avaient pas permis un raccrochage rapide de ce petit témoin de l’histoire locale.

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C’est désormais chose faite, et monsieur Patrice Motté, maire de Blandy, a fait les choses en grand pour accueillir la plaque et, bien entendu, son jeune restaurateur.

Il faut dire que pendant sa période de convalescence à Saint-Philibert-sur-Risle, dans le département de l’Eure, cette plaque est devenue une « star », car à chaque interview de Steven, c’est celle qui retenait le plus l’attention des journalistes. Ceux qui sont attentifs à l’actualité des plaques de cochers n’auront pas manqué son passage sur TF1 lors du journal de 13h.

Si ce reportage vous a échappé, en voici le lien ICI.

Même si le soleil s’est montré discret, le raccrochage de la plaque fut un moment fort sympathique. C’est sur un engin agricole que les valeureux volontaires sont montés pour remettre la plaque à la place qui est la sienne depuis le XIXème siècle. Cachée par un drap, c’est vers 11h que monsieur Jean-Louis Thieriot, député de la 3eme circonscription, monsieur le maire et Steven ont dévoilé la plaque restaurée.

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Les discours ont eu lieu sous la pluie, mais les invités ont été attentifs aux explications de monsieur le Maire et de Steven. Désormais à Blandy-les-Tours, tout le monde sait ce qu’est une plaque de cocher et tout le monde a été sensible à l’initiative d’Urgences Patrimoine et, surtout, au travail de Steven.

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Ce jeune Eurois de 21 ans qui se passionne pour le patrimoine routier aimerait que, tout au moins dans son département, les élus lui confient leurs plaques afin qu’elles retrouvent leurs couleurs.

Comme ce jeune étudiant œuvre bénévolement, nous avons fait en sorte que la peinture lui soit offerte et c’est depuis un an que l’entreprise Caparol lui permet de restaurer ces petits trésors du patrimoine routier de nos territoires.

Nous espérons qu’en Normandie, la prochaine fois que Steven proposera à une commune la restauration gracieuse de ses plaques, on lui répondra favorablement. Ce petit patrimoine est très apprécié par les habitants des communes rurales et il serait dommage de ne pas profiter de la générosité de Steven et de son savoir-faire.

En attendant, en Seine-et-Marne ils l’ont bien compris, et nous remercions toutes les personnes présentes pour leur accueil chaleureux dans ce magnifique village de Blandy-les-Tours.

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Vous souhaitez faire restaurer vos plaques de cochers ?
N’hésitez pas à nous contacter par mail : urgences.patrimoine@gmail.com


Crédits photographiques : La Gazette du Patrimoine. Photo 2 : Steven Soulard

Sens : destruction de l’Hôtel de Paris et de la Poste

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Beaucoup de sénonais refusaient d'y croire et pourtant, c'est arrivé. L'Hôtel de Paris et de la Poste, édifice historique et emblématique de la ville, vient d'être détruit, avec encore une fois la bénédiction des services de la culture. Une incompréhension de plus et une nouvelle exécution patrimoniale en règle. Baptiste Gateau était sur les lieux pour La Gazette du Patrimoine.
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Baptiste GATEAU, diplômé de L’École Supérieur Arts et Design Le Havre Rouen en 2016, intègre en 2018 le Master Histoire et Valorisation du Patrimoine de l’Université de Rouen Normandie, Master qu’il obtient en 2020. Fort de la formation de guide-conférencier que propose cette formation, il intervient depuis 2019 lors des visites estivales organisées par l’Office de Tourisme de Sens.

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« Et voilà, on y est, » me soufflait un riverain alors que je prenais les premières photographies de la destruction de l’Hôtel de Paris et de la Poste. Un des bâtiments emblématiques de la ville de Sens disparaît dans l’« incompréhension » et face à l’ « impuissance » des habitants, ont-ils eux-mêmes affirmé. L’occasion pour nous de revenir sur l’histoire de cet Hôtel vieux de plus de deux cents ans.

Demolition façade 1
Façade à terre
À l’origine, le bâtiment appartenait à Jean-Charles-Joseph Roullain Delaunay de Vaudricourt, chanoine de la cathédrale et personnage important de l’Église de Sens. Le quartier canonial, où est sis le bâtiment, a connu de nombreux bouleversements, notamment suite au percement de la rue Royale (actuelle rue de la République) qui amputera l’édifice de ses ailes. Devenu bien national après la Révolution, Vaudricourt rachètera son hôtel avant de le louer en 1796.

Le premier locataire, Dominique Louge, transforme le lieu en auberge qu’il nomme « À la ville de Paris. » Il achète également une maison mitoyenne et agrandit le bâtiment. Les propriétaires et aubergistes s’enchaînent ; l’hôtel sera exploité en 1812 par François-Théodore Baudoin, et ce pendant vingt-sept ans, avant d’être mis en vente en 1839. Athanase Brochot succédera à Baudoin.

Cour de l'hôtel vers 1900
C’est à cette période que l’ « Auberge de la Ville de Paris » devient l’ « Hôtel de Paris. » Suivront Messieurs Bourgeois, Bourgenot, Lemoine père et fils, qui agrandiront encore l’Hôtel en construisant sur rue Pasteur, peu avant 1900, et enfin Monsieur Roger d’Honneur. C’est sous la direction de ce dernier que l’Hôtel de Paris vit passer entre ses murs ses plus illustres visiteurs : parmi eux, la Reine d’Italie, le Sultan du Maroc, la Reine d’Espagne, le Prince de Monaco ou encore la duchesse de Chartres. Une époque qui verra de nouvelles modifications architecturales, notamment la construction d’un garage accessible par la rue Pasteur pour accueillir les premières automobiles.

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Roger d’Honneur se retirera finalement en 1933 pour laisser sa place au couple Sandré qui donnera à l’établissement (n’ayons pas peur de le dire) une renommée internationale ! Précisons que c’est suite à l’installation en 1936 du bureau des PTT, qui jouxte l’Hôtel, que ce dernier pris le nom d’Hôtel de Paris et de la Poste. Parmi les spécialités de Maurice Sandré présentes au menu : l’escargot frais à la bourguignonne, le demi caneton à la vigneronne et son fameux boudin noir aux pommes dit « Boudin sénonais » ou « Champion du Monde ». Des spécialités qui ont attiré leur lot de célébrités : Charles Trenet, Jean Marais ou encore Albert Camus, qui décédera tragiquement en rentrant à Paris.

Depuis 1980, Charles Godard puis son fils Philippe, tous deux maîtres-cuisiniers, furent les derniers propriétaires de cette longue série d’aubergistes et de restaurateurs qui, depuis 1796, succédèrent à Dominique Louge. L’affaire s’achève fin 2019 après le rachat par la famille Jacot, propriétaire du groupe d’EPHAD Javonis.

Le 1er janvier 2020, l’hôtel est officiellement fermé : sa démolition, initialement prévue courant 2020, est reportée en raison de la crise sanitaire. La destruction commença le 1er avril 2021. « Nous aurions aimé croire à une farce », dirent des riverains. Il n’en fut rien. C’est le garage de la rue Pasteur qui tomba en premier. Seul un fin nuage de poussière s’échappa de la petite rue bloquée par les engins de chantier. La démolition se fit progressivement, de l’arrière du bâtiment jusqu’à la façade qui, ainsi, resta visible pendant les trois mois de chantier. Les habitants se sentirent « impuissants » devant la « lente maladie qui rongeait le bâtiment de l’intérieur ». Puis, au début du mois de juillet 2021, la façade céda finalement devant une foule de curieux, de touristes et de Sénonais attristés.

Finalement, un pan entier d’histoire de la ville de Sens disparaît (littéralement). Pourtant, les habitants étaient attachés à ce lieu. Nombreux étaient ceux à y avoir pris un repas, ne serait-ce qu’une fois. Et quand bien même, « l’Hôtel a toujours été là », assène le riverain. Dense fut la foule qui s’amassa devant les portes de l’Hôtel, en février dernier, pour faire un dernier adieu au bâtiment lors de la vente aux enchères et de la liquidation du mobilier. Parmi eux, surtout des curieux et des nostalgiques plutôt que des acheteurs potentiels. Certains partirent le regard humide et la tête basse.

On notera les efforts faits par le nouvel acquéreur afin de respecter le cahier des charges et l’implantation du bâtiment dans le quartier historique. Le nom du futur hôtel quatre étoiles, Epona, une déesse gauloise très populaire chez nos lointains ancêtres senons, n’est pas sans rappeler les place et rue Drapès, tout comme la statue de Brennus et la rue du même nom. Ces deux chefs, gaulois eux aussi, sont représentés en face de l’hôtel. Le bâtiment devra être complètement détruit pour correspondre aux « critères quatre étoiles ». Cela permettra surtout d’élever le bâtiment d’un étage et d’y installer un roof top, architecture très en vogue ces dernières années. L’aspect général de la façade sera « restitué », maigre consolation pour les amateurs de l’ancien bâtiment.

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La Ville de Sens sera ainsi dotée d’un hôtel quatre étoiles, qui plus est en centre-ville ! De quoi redynamiser le centre historique de la Ville, donc ?! À moins que les centres commerciaux et les zones d’activités au nord et au sud de la Ville ne continuent de développer exclusivement leurs espaces respectifs. Les touristes qui séjourneront à l’Hôtel pourront apprécier le riche patrimoine de la Ville de Sens, ainsi que sa Grande Rue piétonne aux multiples boutiques… fermées. Peut-être à cause des grands magasins du nord et du sud. Ce schéma n’est pas propre à la cité senonaise et l’on peut l’observer dans de nombreuses villes françaises de taille moyenne. En tout cas, à Sens, pour ce bâtiment, on aurait pu espérer de la part de Ville qu’elle insiste pour une restauration, un remaniement de l’édifice plutôt que d’accepter sa démolition totale. Elle qui ces dernières années, a joliment réaménagé les quais de l’Yonne et brillamment réussi la rénovation du marché couvert datant du XIXe siècle, recevant ainsi les Rubans du Patrimoine en 2017.

La Ville de Sens va donc perdre un autre élément majeur de son patrimoine architectural et historique. Après les églises, le Palais royal, les portes et les remparts, nous, guide-conférenciers, présenterons aux visiteurs et touristes un bâtiment qui, lui aussi, n’existe plus que dans les livres et les souvenirs des Sénonais.


Crédits photographiques : Gérard Kreutzer et Baptiste Gateau

Evreux : les jours sont comptés pour le cimetière « des fous »

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Nous avions évoqué le sujet brièvement hier, mais voici un article détaillé concernant le cimetière de Navarre, menacé de destruction suite au tracé de la déviation d’Évreux. Article rédigé par Anaïs Poitou, membre des Gilets Bleu Horizon et membre de la toute nouvelle Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire créée par Urgences Patrimoine.

Anaïs Poitou est actuellement en Service Civique à la Conservation départementale de l’Eure. Suite à sa Licence d’Histoire et à son Master Valorisation du Patrimoine, elle a choisi de s’engager dans la protection et dans la valorisation du patrimoine funéraire pour lequel elle porte un grand intérêt. Membre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire et du collectif Les Gilets Bleu Horizon, elle souhaite s’impliquer dans cette cause qui lui tient à cœur.

Le cimetière des Fous de Navarre

A Evreux, dans l’Eure, un espace funéraire est en danger. Le cimetière des indigents de l’ancien hôpital psychiatrique de Navarre est caché dans un écrin de verdure, où passera très prochainement la déviation Sud-Ouest contournant la ville d’Evreux. Aujourd’hui, nous ne savons pas encore ce que les corps vont devenir.

L'hôpital psychiatrique de Navarre

L'Asile d'Aliénés d'Evreux, situé dans le quartier de Navarre, a plus de 150 ans aujourd'hui. Son histoire est retracée à travers les objets et les archives du musée consacré à ce lieu par deux anciens cadres de l'hôpital. Au cours des années 1920, plus de 1000 patients pouvaient être réunis dans le centre hospitalier. L'hôpital changera de nom à de nombreuses reprises, devenant Hôpital Psychiatrique en 1937, puis Centre Hospitalier Spécialisé de Navarre, avant de devenir l'actuel Nouvel Hôpital de Navarre.

C'est suite à la loi de Jean-Etienne Esquirol en 1838, instaurée sous le règne de Louis-Philippe, que tous des départements français ont dû se doter d’un asile psychiatrique. Le but était d'y recevoir tous les malades de l'époque, ainsi qu'un certains nombres d'indigents, trop pauvres pour subvenir à leurs besoins. L'asile de Navarre a ouvert ses portes en 1866, après 5 années de travaux, et il pouvait alors accueillir jusqu’à 300 pensionnaires. Cet hôpital était véritablement une ville dans la ville, où tous les corps de métier pouvaient se trouver, car coupé du reste de la commune située à deux kilomètres. C'est de cette manière, grâce aux champs et aux fermes l'entourant, que l'hôpital a pu vivre en autosuffisance pendant plusieurs décennies. Au centre du complexe hospitalier trône une chapelle dédiée à la Vierge Marie, rappelant la primauté religieuse de l'hôpital au cours du siècle passé : les malades furent surveillés par des religieuses pendant une centaine d’années. Du fait de son autarcie, l'hôpital possède un cimetière, souvent caractérisé comme « cimetière des fous ». Pourtant, ce champ du repos contient aussi les sépultures de nombreux membres du personnel soignant, infirmières comme infirmiers et docteurs, et même une tombe de soldat Mort pour la France.

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-1 L'actuel Hôpital de Navarre vu du ciel © Nouvel Hôpital de Navarre
Un espace muséal a d’ailleurs été créé par Alain Desgrez et Jacques Vassault après 40 ans de carrière au service de l'hôpital. Ces deux retraités ont choisi de mettre en avant tous les aspects du passé de l'asile de Navarre afin de transmettre leurs connaissances de la psychiatrie. Ce musée se trouve sous la chapelle de l'ancien hôpital, et se compose de plusieurs salles contenant divers objets liés à l’histoire de l’hôpital en lui-même et de la psychiatrie. L'espace muséal de Navarre ouvre ses portes à la demande des visiteurs.

Situé dans une forêt à l'écart de tout lieu de vie, à l'arrière de l'ancien Hôpital Psychiatrique de Navarre, le cimetière repose dans le calme et dans le silence. Les sépultures furent mises à cet endroit dans le but d'être cachées du reste de la société, car la psychiatrie était un sujet tabou au XIXème siècle, ce dont ce cimetière témoigne. Lors de sa création entre 1865-1866, ce cimetière a pour but premier d’accueillir les patients et les membres du personnel, décédés des suites d’une épidémie de choléra. Un muret fut ainsi érigé pour délimiter ses frontières. En le plaçant à l’abri des regards, les habitants de la ville ne pouvaient pas voir les morts de l'asile. La majorité des stèles sont identiques, ce qui ne permet pas de différencier les aliénés les uns des autres.

Pour atteindre le cimetière des « Fous de Navarre », il faut tout d'abord traverser un chemin entre champs et forêt de chênes. De loin, on ne se rend pas compte qu'un cimetière se cache sous ces arbres, mais c'est en s'approchant que l'on aperçoit ces croix alignées, ceinturées d'un muret de silex. Le site possède sur sa partie basse un bâtiment qui servait à la surveillance du cimetière, et un four crématoire, aujourd’hui effondré, dans sa partie haute. Scindant le cimetière en deux, il y a un escalier au pied duquel se trouve un calvaire. Certains vestiges du souvenir sont encore visibles, notamment des fleurs de céramiques ou encore des plaques de commémorations. Placer au cœur de la forêt, l'ambiance de ce lieu est étrange, la nature ayant repris ses droits, il est parfois difficile de se rendre compte que cet endroit est un cimetière avec sa forêt de croix de bois qui se confond avec les hautes herbes. Eloigné de l'hôpital et de tous, ce cimetière fut peu à peu oublié. Il est pourtant un témoin important des modalités funéraires pour l'inhumation des aliénés, longtemps ostracisés dans la vie comme dans la mort.

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-2 Cimetière des indigents de Navarre vu de l'extérieur du muret © 2021 Anaïs Poitou
Pendant de longs siècles, la folie a fait peur, et l'on ne souhaitait pas connaître le sort des fous, ce qui explique d'une part le placement hors de la ville de l'hôpital, mais aussi la situation du cimetière, d'autant plus écarté. Aujourd'hui, entre 460 et 480 tombes sont encore visibles, les premières ayant été misent en place en 1866, alors que la dernière inhumation a eu lieu en 1974. Son utilisation est donc diverse : il accueille à la fois les patients de l'hôpital autant que son personnel. Au total, ce sont plus de 1600 corps qui ont été inhumés au fil des années dans ce champ du repos, mais la plupart d’entre eux ont été déplacés dans l’ossuaire du site.

Depuis 2010, le terrain du cimetière n'appartient plus à l'hôpital de Navarre mais à l'Etat, ce dernier souhaitant mettre en place la déviation Sud-Ouest d'Evreux, en passant par la forêt où se trouve le cimetière. Ces travaux vont être un second enterrement pour ces corps dont le devenir reste aujourd'hui encore incertain. Depuis la vente du cimetière les 2 700 m² de terrain n’ont plus jamais été entretenus

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-3 Quelques-unes des sépultures, elles ne sont plus entretenues aujourd'hui © 2021 Anaïs Poitou
Les différents carrés du cimetière sont donc aujourd'hui en total abandon. Les stèles de bois tombent ou se désagrègent au fil du temps. Les premières stèles se composaient de matricules inscrits sur des plaques de fer qui englobaient les personnes atteintes de folie dans un même groupe sans nom, supprimant la personnalisation. Certaines sont encore visibles aujourd’hui, mais la grande majorité d’entre elles comportent simplement un nom et un prénom. Aucune date n'est inscrite, que ce soit pour la naissance comme pour le décès. D'autres sépultures se démarquent par des stèles de pierre pour les infirmières et les infirmiers, ou encore par des pierres tombales en béton gravillonné, dont une en marbre pour un docteur, mais elles sont aujourd'hui tout autant abandonnées. Ce cimetière ne renferme pas seulement des fous, mais aussi un grand nombre de membres du personnel soignant, et des tombes de religieuses furent longtemps visibles. Ces dernières ne semblent plus se trouver au cimetière aujourd’hui, car leurs corps auraient été rapatriés dans leur lieu de culte d’origine. Parmi les tombes encore visibles se trouve également au moins un soldat Mort pour la. De nombreuses sépultures ont été visitées au cours des années d'abandon, certaines d'entre elles sont aujourd'hui ouvertes, ce qui témoigne d'un état plus qu'alarmant de la situation.

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-4 Inscription presque effacée sur la stèle d'une ancienne patiente de l'hôpital, Mathurine Lelievre © 2021 Anaïs Poitou
Une pétition a été lancée par Manon Maurin sur le site Change.org. Elle travaille dans le monde du funéraire et est passionnée par ce patrimoine. Son souhait est de permettre la protection des corps inhumés dans ce cimetière. A ce jour, la pétition a déjà été signée par plus de 680 personnes. Le but est de permettre la conservation de l'intégrité des cadavres en accord avec l’article 225-17 du Code Pénal, stipulant que « toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». Le recouvrement d'un cimetière sous une couche de goudron sans en prélever les corps est sans aucun doute une atteinte à l’intégrité d’un cadavre…

De plus, il faut savoir que la tombe d’un soldat Mort pour la France doit bénéficier d’attention particulière. En effet, ces tombes sont à charge de l’Etat, qui doit les entretenir, ce qui ne semble pas être le cas ici au vu de l’état actuel de la tombe.

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-5 Tombe du soldat Adrien Barillon Mort pour la France © 2021 Laure Guillaud
La déviation Sud-Ouest d'Evreux

Depuis plusieurs années, le projet de déviation autour d'Evreux est annoncé. Cette déviation a pour but de désengorger les entrées et sorties aux heures de pointe, mais aussi de finaliser la déviation de la partie Sud de la ville.Les travaux de cette déviation, malgré les nombreux retards accumulés depuis 2013, viennent d'être relancés à environ 1 kilomètre du cimetière des indigents de Navarre, et s'en approchent de plus en plus rapidement. D’où notre grande inquiétude.

Le sort du cimetière est aujourd'hui scellé, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas tenter de sauver l'intégrité de ces corps. La Préfecture a depuis peu affirmé que cette intégrité des corps serait respectée, mais nous n’avons pour le moment aucun détail et aucune information sur le sujet. En déplaçant ces restes humains dans l'un des ossuaires du cimetière de la ville ou bien dans un ossuaire dédié, la mémoire de ces défunts serait respectée. Cela ne serait pas le cas en les recouvrant d’une route. Le Nouvel Hôpital de Navarre, qui fut propriétaire du cimetière jusqu'en 2010, prévoit de mettre en place une plaque à la mémoire de ces défunts et de déplacer l'actuel calvaire du cimetière, mais il serait judicieux d’ériger une stèle avec le placement des restes de ces défunts en dessous, afin de leur attribuer une place où ils seraient en paix. Aujourd'hui encore, on ne connait pas le devenir de ces restes humains. Pourtant, de nombreux cas similaires ont déjà eu lieu car le cimetière des indigents de Navarre n'est pas le premier et ne sera pas le dernier à disparaître pour mettre en place des routes ou des parkings.

A ce jour, les recherches n'ont pas permis de montrer une indexation totale du cimetière, ce qui aura prochainement lieu avec le collectif des Gilets Bleu Horizon. Ainsi, les noms de ces pensionnaires, personnel médical et soldat ne seront pas oubliés, et une traçabilité des corps sera plus ou moins possible.

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-6 Calvaire du cimetière de Navarre © 2021 Anaïs Poitou
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Un exemple comparatif : le cimetière de Cadillac en Gironde


En France, il existe de nos jours très peu de cimetière considérés comme étant des cimetières de fous ou d'indigents. En effet, ils ont bien souvent été détruits ou abandonnés au fil du temps. Pourtant, à Cadillac, le cimetière des fous contient de nombreuses tombes de Poilus oubliés de la Grande Guerre. La folie des soldats revenant du front a souvent été occultée, mais ce cimetière en est témoin. Si toutes les blessures de guerre n'étaient pas visibles, de nombreux soldats ont fini leurs vies au sein des asiles d'aliénés, enterrés dans les cimetières des hôpitaux où ils furent oubliés. Le cimetière de Cadillac est l'un d'entre eux.

Ce cimetière se compose de dizaines de croix de fer, longtemps rouillées par le temps, mais aujourd'hui rénovées par une association souhaitant la réhabilitation des soldats inhumés. Toutes alignées les unes à côté des autres sur un terrain plat et caillouteux, ces 898 stèles ne sont pas loin de l'hôpital psychiatrique où tous ces patients rendirent leur dernier souffle. Parmi ces centaines de stèles, dix rangs comptant 99 corps pour 98 sépultures se démarquent. Inhumés en pleine terre, elles ne possèdent aucune pierre tombale et seules 29 d'entre elles comportent un nom, les autres restant anonymes. Une plaque en marbre placée sur l'un des murs de l'ancien asile rappelle le rôle des défunts enterrés ici : « Les anciens combattants de Gironde à la mémoire de leurs camarades mutilés du cerveau victimes de la guerre 1914-1918 ». Se trouve ainsi une petite centaine des tombes de Poilus au cimetière des fous de Cadillac.

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-7 Cimetière de Cadillac © France Bleu
Pendant des années, ce cimetière fut oublié par la municipalité et les tombes s'effondraient, au point qu'un projet de parking avait été mis en place pour faire table rase du passé. C'est grâce à son inscription au titre des Monuments Historiques en 2010 par le professeur Michel Bénézech que ce site fut sauvé, en partenariat avec l'Association des Amis du cimetière des oubliés, fondée en 2008. Le cimetière de Cadillac est en effet l'un des rares témoins des blessures invisibles de la guerre. Suite au commencement de la guerre en 1914, les hommes avaient peur d'être appelés au front, et une hausse des admissions en asile psychiatrique s'est fait ressentir, mais cela touchait aussi les combattants revenant de plusieurs semaines ou mois sur le front.

De 1914 à 1925, l'asile d'aliéné de Cadillac recevra 561 soldats de toutes nationalités, dont 201 qui mourront en son sein. Parmi eux, 99 sont inhumés dans le cimetière de l'hôpital, abandonnés par la société autant que par leur famille. La folie était pendant des années un sujet tabou, une peur qui n’avait aucun remède. Les familles préféraient ainsi oublier ces soldats, devenus honteux de par leur folie. Cette folie était souvent dû à ce qu'on caractérise aujourd'hui comme syndrome post-traumatique. Les cas les plus graves seront internés à Cadillac.

Depuis sa réhabilitation et sa mise en travaux qui a duré 2 ans, le cimetière peut à nouveau être visité depuis 2020, grâce au travail de l'Association des Amis du cimetière des oubliés. Suite aux recherches menées, les noms de toutes les personnes inhumées sur place ont été inscrits sur un mur du souvenir, leur rendant ainsi hommage et les sortant de l'anonymat. Les travaux travaux de réhabilitation de ce cimetière de l'oubli ont principalement été financés par la Région Nouvelle-Aquitaine pour une somme d'un million d'euros au total. Le cimetière de Cadillac a échappé à la destruction, mais ce genre de protection est assez rare dans le cadre du patrimoine funéraire.
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« Notre » cimetière de Navarre est celui d'un ancien asile du XIX siècle contenant une majorité de « fous », mais s'il avait été un cimetière d'un tout autre genre, peut-être que la question de sa disparition ne se serait jamais posée. Si vous aussi vous souhaitez vous engager contre cette destruction, merci de signez la pétition mise en place par Manon Maurin. Ainsi, peut-être arriveront nous à permettre à ces défunts de trouver la paix ailleurs que sous une épaisse couche de bitume. A ce jour, nous sommes plus de 680 à avoir signés. Notre but n'est pas d'empêcher les travaux de cette déviation, nécessaire à la bonne circulation de la ville d'Evreux, mais bien de pouvoir déplacer ces ossements dans des ossuaires, et donc dee respecter la mémoire de ces défunts oubliés.

CIMETIEREDESFOUSPHOTO-8 Plan de la déviation Sud-Ouest d'Evreux © DREAL Normandie
CIMETIEREDESFOUSPHOTO-9 Les travaux de la déviation ont repris depuis peu à quelques mètres du cimetière © 2021 Anaïs Poitou
Lien de la pétition ICI

Dans le cadre de mes recherches sur le cimetière de Navarre, si vous avez des membres de votre famille, ou si vous connaissez des personnes qui ont des membres de leur famille inhumés dans ce cimetière des "Fous », merci de me contacter : anais.poitou@gmail.com

Sitographie :

Sur l'hôpital de Navarre à Evreux
Article de France 3 Normandie sur l’ouverture de l’espace muséal de l’hôpital.
Site internet du Nouvel Hôpital de Navarre.

Sur le cimetière des indigents de Navarre
Reportage de France 3 Normandie sur le cimetière de Navarre.
Vidéo de drone-malin survolant le cimetière de Navarre.
Article de France 3 Normandie sur le cimetière de Navarre.
Article du Parisien sur le cimetière de Navarre.
Article de La Dépêche Evreux sur le cimetière de Navarre.

Cimetière de Cadillac
Article de La Dépêche sur le cimetière de Cadillac.
Article de France Bleue sur le cimetière de Cadillac.
Article de Sud-Ouest Gironde sur le cimetière de Cadillac.
Article de l’Express sur le cimetière de Cadillac.

La déviation Est-Ouest d'Evreux
Site du Préfet de la Région Normandie sur la déviation Sud-Ouest d’Evreux.



Crédits photographiques :

Photo 1 : L'actuel Hôpital de Navarre vu du ciel © Nouvel Hôpital de Navarre
Photo 2 : Cimetière des indigents de Navarre vue de l'extérieur du muret © 2021 Anaïs Poitou
Photo 3 : Quelques-unes des sépultures, elles ne sont plus entretenues aujourd'hui © 2021 Anaïs Poitou
Photo 4 : Inscription presque effacée sur la stèle d'une ancienne patiente de l'hôpital, Mathurine Lelievre © 2021 Anaïs Poitou
Photo 5 : Tombe du soldat Adrien Barillon Mort pour la France © 2021 Laure Guillaud
Photo 6 : Calvaire du cimetière de Navarre © 2021 Anaïs Poitou
Photo 7 : Cimetière de Cadillac © France Bleu
Photo 8 : Plan de la déviation Sud-Ouest d'Evreux © DREAL Normandie
Photo 9 : Les travaux de la déviation ont repris depuis peu à quelques mètres du cimetière © 2021 Anaïs Poitou