Flèche de Notre Dame : deux architectes répondent à ceux qui déplorent la reconstruction à l’identique !


Suite à une tribune de l’architecte Christian Jonas publiée dans le journal Le Monde (lire l’article ici) qui déplore la reconstruction à l’identique de la flèche, deux architectes nous ont fait cadeau de leurs réponses à ceux qui voient dans la cette reconstruction un geste réactionnaire.


Réponse 1 :

Réaction exaspérée à l’article du
Monde du 28 juillet 2020.

Pourquoi ouvrir un débat qui, selon les chartes internationales signées par la France, n’a pas lieu d’être ? Cela fait se rouler de rire les architectes et maîtres d’ouvrage des autres pays et risque de mettre en péril le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Il serait beaucoup plus pertinent de parler de vraies fouilles sous le sol de l’édifice, voire de ses alentours. Cologne, Geneve, Florence, etc. l’ont fait et c’est un résultat impressionnant tant par les découvertes que par l’architecture contemporaine (notamment dans la qualité et l’élégance de la prise en compte des besoins et des usages).

Le phallus qu’aurait été une flèche contemporaine ne m’intéresse pas, c’est encore un moyen de flatter son ego de maître d’ouvrage et d’architecte. Les quelques images que j’ai vu passer sont juste du niveau d’une première ou deuxième année d’architecture et totalement aberrantes d’un point vue structurel et climatique (la toiture verrière sans charpente et sans installations de climatisation étant le pompon).

Viollet le Duc l’a fait en son temps, de manière assez élégante et, c’est à noter, dans la continuité et la cohérence. On en a tous les détails, pourquoi un architecte d’aujourd’hui ne pourrait-il pas exercer ses talents ailleurs, plutôt que de nous encombrer d’un truc bavard et à tous points de vue contestable ?

Des exemples nombreux, souvent contestés, d’interventions sur des ouvrages anciens dont on n’avait pas de témoins utilisables existent. Voir le château de Falaise de Decaris notamment et bien d’autres. Ce même architecte reste respectueux dans ses restaurations avec témoins. Voir aussi les colonnes de Buren et la pyramide du Louvre qui recueillent aujourd’hui l’assentiment de beaucoup. Plus récemment l’anneau de la Mémoire de Philippe Prost, admirablement intégré dans un site fragile, les interventions sur la chapelle et autres du domaine viticole Château Lacoste et autres interventions poétiques, artistiques et architecturales qui nous enchantent.

Dans les années 50 à 90 on a assez détruit d’ouvrages voire de quartiers entiers (le quartier Saint Sauveur à Lille pour n’en citer qu’un). Un « geste contemporain » c’est vieux schnok, l’avenir n’est plus à la construction neuve sur tabula rasa mais, dès que c’est possible, à la réhabilitation mâtinée d’une élégance contemporaine discrète.

PS1. Les gargouilles reprochées existaient avant Viollet le Duc. Les lui attribuer est encore un fake,
PS2. Je n’ai pas lu l’article. Ce genre de débat me fatigue : fausse modernité, incompréhension des enjeux, irrespect des engagements nationaux et internationaux.

Christian Decotignie.
Diplômé architecte, ancien élève de Chaillot, assistant maître d’ouvrage depuis 2007.




Réponse 2

Monsieur l’Architecte, Cher Confrère,

Comme disait Jean Cocteau, « la mode c’est ce qui se démode » et, depuis le dramatique incendie qui ravagea une des cathédrales gothiques les plus emblématiques de France (et non pas la « mère des cathédrales » comme tu l’écris un peu vite, le prototype étant plutôt à chercher du côté de la basilique Saint-Denis), nous avons eu notre content de projets aussi creux que déjà dépassés tant ils se sont situés dans le consensus le plus mou : du projet « inclusif » et « éco-citoyen » à « un geste de notre temps » en passant par le « roof top festif », nous avons eu droit à tous les poncifs du « progressisme en marche », mais de culture et simple respect de notre patrimoine (sans parler de Dieu et la chrétienté), point !

Le tout nous a été servi par des images de synthèse dont la putasserie dissimulait mal l’inculture, la vacuité du propos et la méconnaissance crasse des techniques de mise en œuvre aussi bien anciennes que contemporaines. Mais peut-être est-ce là justement la marque de notre temps que tu appelles de tes vœux : le « geste », la « posture » et la « com’ », Sainte Trinité d’une société individualiste superficielle et nombriliste qui a jeté la transcendance aux orties. Je me délecte à l’idée des recensions qu’en feront les historiens de l’architecture dans quelques siècles.

Finalement, au-delà du respect des traités et chartes internationales qui imposaient de rebâtir strictement à l’identique, tout se recentre sur l’essentiel : une flèche pointant l’ardente espérance des hommes en direction du ciel (je n’ose même pas écrire Dieu, de peur de me faire cataloguer deux fois de « réactionnaire ») avec des matériaux et une mise en œuvre faits pour durer « mille ans » ….
Ne varietur !

Bien confraternellement,

Alexandre Bonnassieux
Architecte DPLG et du Patrimoine,
Expert de justice près la Cour d’Appel d’Orléans

Crédits photographiques :
Photo 1 : Phil Magness
Photo 2 : Ville de Paris / BHVP


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