Panne sèche pour le petit patrimoine ?


Alors que tous les acteurs de la culture essaient de faire entendre leurs voix afin de trouver des solutions pour leur avenir, le patrimoine est comme toujours le « laissé pour compte » des grandes mesures. Enfin, pas tout le patrimoine, puisque beaucoup de dispositifs sont mis en place — ou vont être mis en place — pour les « grands acteurs ».

Report ou annulation des charges, subventions, campagnes de communication à grand frais…

En revanche, rien ne sera mis en place pour accompagner les petits projets de sauvegarde, ni les petits propriétaires qui mettent tout leur argent et leur énergie à maintenir en vie des édifices remarquables, mais non protégés au titre des monuments historiques. Pour cela, ce sera toujours taxe foncière « plein pot », zéro subvention, zéro mesure de soutien. Normal, nous direz-vous, puisque si ce n’est pas protégé MH, cela n’a aucun intérêt. Et puis si ces propriétaires possèdent de tels patrimoines, c’est que ce sont des « salauds de riches ». Cette idée reçue, nous essayons de la démonter à chaque fois que nous en avons l’occasion, mais il est difficile de faire comprendre à la majorité des gens que tout sacrifier pour un édifice, aussi modeste soit-il, est une question d’engagement personnel envers l’histoire et la cause du patrimoine, et que beaucoup de « petits » propriétaires sacrifient tout pour être à la hauteur de leurs engagements. Ils seront, de fait, les grands oubliés des mesures gouvernementales et institutionnelles.

Les grands oubliés vont être aussi les centaines de petits projets de sauvegarde, portés à bout de bras par des poignées de bénévoles qui ne comptent que sur la générosité publique pour sauver là un pont, là un moulin, où autre petit château en ruine.


Toute l’année, ces bénévoles organisent des manifestations afin de récolter quelques deniers, qui serviront à faire avancer leur cause. Bien souvent, les manifestations les plus importantes pour espérer récolter des fonds sont organisées en été. Vide-greniers, kermesses, expositions, concerts, reconstitutions historiques… ils ne manquent pas d’idées pour tenter de faire grossir leur cagnotte à destination de leur projet de sauvegarde. Ils y consacrent d’ailleurs souvent tout leur temps pour que, le moment venu, leur manifestation soit un succès. Parfois, la météo peut contrarier leur réussite, mais ils peuvent tout de même espérer quelques profits.

Cette année, aucune de ces manifestations ne seront possibles. Et de ce fait, les caisses destinées à faire avancer les projets resteront désespérément vides. Ce qui aura sans doute des conséquences désastreuses pour certains. Conséquences qui auront des répercussions sur l’économie, puisque qui dit « pas de budget », signifie « pas de restauration », donc pas d’emploi pour les artisans qui auraient dû intervenir (on en revient à l’humain même s’il s’agit de patrimoine).

Des mesures sont tout de même mises en place pour les associations et il est question de pourvoir à leurs besoins à l’aide de quelques subventions, à condition qu’elles aient
déjà bénéficié de subventions. Mais dans la majorité des cas, les petites associations des petites communes de province ne perçoivent que des subventions symboliques, permettant quelques frais de fonctionnement, mais en aucun cas la réalisation d’un projet de sauvegarde.

Autant dire que l’annulation de ces manifestations est catastrophique pour toutes ces petites structures associatives. Il ne leur reste plus qu’à compter sur la générosité publique à travers de multiples cagnottes. Oui mais… Il y a bien un mais. La situation actuelle mobilise la générosité des français sur la cause des soignants et de la recherche médicale. Il est actuellement très mal perçu de demander à quelqu’un de donner pour une autre cause que la cause « humaine ». Cela est même parfois considéré par certains comme une provocation, voire une attitude insultante.

Nous l’avons déjà évoqué dans un précédent article, sauver les pierres au moment où il faut sauver les hommes devient un acte très compliqué (
pour lire l’article)

Alors faudra-il attendre ? Le problème, c’est que, l’an dernier, l’incendie de Notre Dame avait déjà grandement détourné les généreux donateurs des « petits patrimoines ». Il fallait donner pour ce grand symbole de la France et pour rien d’autre. Combien de fois avons-nous entendu : « j’ai donné pour Notre Dame, je ne peux pas ou ne veux pas donner pour autre chose ». Même certains élus, alors qu’ils avaient dans leur propre commune des projets de sauvegarde pour lesquels ils n’étaient pas forcément généreux, donnaient des subventions pour le très célèbre édifice mutilé et appelaient à la générosité de leurs administrés, alors qu’ils ne le faisaient même pas pour le patrimoine local.

Donc résumons :

2019 dons pour Notre Dame, 2020 dons pour les hôpitaux, annulation des manifestations permettant de soutenir les causes locales. L’avenir du petit patrimoine est donc de plus en plus incertain. C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que les démolitions vont bon train et que les démolisseurs ont un bel avenir. Mais NOUS sommes responsables en partie de ces actes de « barbarie » patrimoniale, car si nous nous montrions un peu plus généreux envers cette cause, certains élus réfléchiraient à deux fois avant de voter la démolition d’un édifice.

Prenons un exemple concret : en 2018, l’église d’Asnan dans la Nièvre a été démolie, suscitant la colère et l’indignation de milliers de personnes. Une pétition avait recueilli plus de 12.000 signatures. Si chacun des signataires avait eu la bonne idée de donner 10 euros, l’église aurait sans doute pu être sauvée.


Non, nous préfèrons manifester notre mécontentement à travers une pétition, mais, lorsqu'il s'agit de faire un don, même modeste, alors là il n’y a souvent plus personne. Ah si, on remarque que sur certaines pétitions, les utilisateurs font un don à la plateforme qui l’héberge, pour que celle-ci puisse avoir plus de visibilité. Une aberration de plus. Nous l’avons d’ailleurs constaté amplement lors de la pétition mise en ligne pour sauver l’artisanat français il y a quelques semaines de cela. Plus de 2000 personnes ont donné au moins dix euros à la plateforme, alors qu’elles n’auraient pas donné un centime pour un artisan en difficulté qui aurait lancé une cagnotte pour sauver son activité.

Alors certains diront : « je paye des impôts, je n’ai pas à donner pour le patrimoine ». Ah ? Parce que vous croyez que c’était à nous de nous mobiliser pour avoir des masques de protection et offrir des conditions de travail plus satisfaisantes aux soignants ? Donc, quand une cause nous tient à cœur, il faut agir sans attendre que l’État règle tous les problèmes.

Alors si nous sommes soucieux de la cause du patrimoine et de celle de ses acteurs, il faut se mobiliser très vite, et pas seulement à travers un like ou une pétition. Si nous voyons passer une cagnotte, ne détournons pas notre regard et faisons un geste, aussi modeste soit-il, car le plus petit geste vaut mieux que la plus grande des intentions et l’intention, ne vaudra jamais l’action. Aidons tous ceux qui par leur engagement essaie de donner un avenir au petit patrimoine des territoires et qui plus que jamais comptent sur nous.

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Crédits photographiques
Photo 1 : Philippe Dorthe
Photo 2 : Fred Dussaut (chantier de restauration du Château de Brisis (Gard))
Photo 3 : France 3 (démolition de l’église d’Asnan (Nièvre) )