Antiquaires : le S.O.S d’une profession en détresse

La crise que nous traversons a été un fléau pour l’économie, que ce soit sur le plan mondial que national. Certains se relèveront, d’autres pas. Mais pour se relever, il faut pouvoir travailler et si certains secteurs sont repartis « comme avant », d’autres souffrent toujours et sont dans l’attente de mesures qui leur permettraient non pas d’espérer vivre, mais au moins survivre. C’est le cas des antiquaires qui exercent leur profession majoritairement sur les salons et les grandes foires internationales.

Dans un courrier adressé à Roselyne Bachelot, notre Ministre de la Culture, François-Xavier Bon alerte sur la disparition imminente de son métier et nous relayons ici son « appel du 23 juillet 2020 ».

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Antiquaire depuis plus de 20 ans « Less Curiosités d’Ainay », installées à Lyon, ont vu le métier évoluer, mais pas forcément dans le bon sens… Comment ne pas remarquer les centres villes se vider de leurs commerces d’antiquités ?  Souvent regroupés dans les quartiers historiques, parfois acteurs d’une rue entière que l’on nommait volontiers « la rue des antiquaires », oubliant jusqu’à son vrai nom, les antiquaires se sont réduits comme peau de chagrin.

A Paris, le Louvre des Antiquaires, le carré rive Gauche, la rue du Cherche-Midi, à Lyon la rue Auguste Comte, à Rouen la rue Damiette… Les derniers, peut être les meilleurs, comme on peut l’entendre parfois, sont à leur tour touchés par la crise du COVID-19 qui peut leur être fatale si les salons et foires d’antiquaires ne reprennent pas. Comment pouvons-nous laisser disparaître ainsi dans un silence absolu et dans l’indifférence générale ce métier ? On ne peut pas l’accepter et c’est pourquoi nous avons voulu alerter de cette situation les instances gouvernementales. Comment pouvons-nous assister à ce gâchis et perdre cette spécificité et ce charme français ? La transmission de l’objet et donc du patrimoine se fait dans le dialogue et la rencontre — et éventuellement par la suite par internet. Mais il est illusoire de croire que le monde du commerce de l’art peut se passer des antiquaires.

Nous espèrons que cette démarche personnelle sera prise en compte et suivie de mesures concrètes.

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Madame la Ministre,
Lyon le, 23/07/20

Je voudrais par la présente vous informer de la situation dramatique que vit le métier d’antiquaire.

Je comprends que vous êtes sollicitée par d’autres urgences, plus générales ou plus pressantes, qui requièrent l’attention du pays. Mais je ne peux me résoudre à croire que l’actualité, chargée, semble plonger notre profession dans l’indifférence.

Depuis le 17 mars notre situation ne fait que d’aller de mal en pis à l’image du commerce en général. Mais je voudrais attirer votre attention sur une particularité de notre profession qui semble vous être méconnue.

En effet depuis les années 2000, la profession est confrontée à une crise qui nous a conduit à une situation hélas regrettable : notre marché de l'art, jadis glorieux, voire le premier du monde, s'est dramatiquement affaissé. Cette situation a conduit à la fermeture massive de confrères et poussé à une adaptation rapide et brutale pour les 15000 restants. Cette mutation s’est faite pour une grande partie (environ 80 %) par une installation dite « en chambre » et par la participation aux foires et salons. Ces derniers représentant quasiment la totalité du chiffre d’affaire.

Or, depuis le début du confinement toutes les foires et salons sont annulés et au vu de l’avancée actuelle du COVID 19 la tenue de ceux de la rentrée de septembre semblent bien compromise.

Sans points de ventes, Comment voulez-vous que l’on vive ? Si l’on voulait nous faire disparaître on ne s’y prendrait pas autrement ! A l’heure où vous semblez défendre le petit commerce, sommes-nous si petits pour vous être autant indifférents ? Je suis bien conscient que le marché de l'art en France est mal connu et ne représente plus une part majeure de l’économie mais ce marché a surtout une fonction culturelle essentielle pour notre pays. Il y a des synergies et des complémentarités entre le marché de l’art et les collections privées, entre marché de l’art et métiers de la conservation et restauration d’ouvres d’art, entre collections privées et collections publiques, entre le marché et l'histoire de l'art, dont les progrès ne tiennent pas qu'à l'action désincarnée des seuls professeurs et conservateurs.

La France ne peut se résoudre à réduire le marché de l’art aux ventes aux enchères qui grâce à leur corporatisme et internet a réussi à se maintenir, car c’est bien mal connaître les rouages. Les maisons de ventes ne sont que la partie émergée de l’iceberg, par rapport à l’ensemble du commerce de l’art et des antiquités. Les antiquaires et brocanteurs sont l’une des pierres angulaires de notre patrimoine. Le premier contact du débutant avec les antiquités se fait chez le commerçant : poser des questions, toucher l’objet, se faire conseiller, réfléchir, s’informer, revenir…. Voici tout un processus qui a besoin de temps, forme la mémoire et l’identité d’un pays par son patrimoine, ses objets, son art de vivre à la française… d’où la nécessité pour la France de conserver ses magasins, ses marchés aux puces, ses foires et ses salons d’antiquaires.

Est-il l’heure de sonner le tocsin ? Nombre de spécialistes et de professionnels éminents le pensent si vous ne prenez pas des mesures urgemment. Nous sommes des passionnés qui ne comptons pas nos heures, prêts à se lever aux aurores pour « chiner » et se coucher à point d’heure pour effectuer des recherches afin de trouver le pourquoi et le comment d’un objet, transmettre l’amour de l’art du savoir et de l’histoire dans toutes les couches de la société, participer au rayonnement de la culture française. Mais, avec tout le dynamisme du monde, nous ne pouvons relever ce défi avec une aussi grande précarité de nos revenus.

Il est possible de proposer des mesures politiquement réalistes en inscrivant notre profession dans le plan de relance sans allouer de gros moyens budgétaires pour nous aider à franchir ce cap.

Je reste à votre disposition et j’espère au nom de tous les antiquaires et brocanteurs que l’on puisse déboucher sur des décisions effectives.

Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma très haute considération.

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Souhaitons que cet appel soit entendu et que la crise du Covid ne soit pas fatale à une profession qui est pourtant l’une des grandes ambassadrices de l’excellence française à travers le monde.

Nous ne manquerons pas de revenir sur ce sujet et nous vous informerons de la suite qui aura été donnée à ce courrier.

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Crédits photographiques : Les Curiosités d’Ainay/ François-Xavier Bon

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